Archives GA - Ce que je sais et ignore de J.-M. en douze clichés photographiques (9) - CDXXII - CDXXIII

Publié le par 1rΩm1

 

 

Archives GA - Ce que je sais et ignore de J.-M. en douze clichés photographiques (9) - CDXXII - CDXXIII

 

CE QUE JE SAIS et CE QUE J’IGNORE de J.-M.

en DOUZE CLICHES PHOTOGRAPHIQUES

 

9

 

J.-M. et le pot au lait

 

 

C’est une photographie ancienne. En noir et blanc.

 

Si je l’ai prélevée parmi toutes, même si je n’ai voulu soustraire aucune photo de l’enfance et de l’adolescence, c’est qu’elle doit dater d’avant — très peu de temps avant, cependant — le moment où j’ai connu J.-M. : attablé dans ce qui pourrait être un restaurant ou un salon de thé, une boîte à gâteau ouverte qui semble contenir une tarte à demi entamée — au premier plan, occupant un dixième environ de l’image tout en bas et à gauche, l’objet apparaît flou —, en contre-plongée, il sourit au photographe.

Blouson de cuir avec manches chaussettes, pull en V, chemise ouverte : sans doute est-ce en automne qu’on a pris cette image, dont je crois que s’en est perdu l’auteur...  

Ses cheveux sont bouclés et il porte la barbe, il arbore des petites lunettes ovales.

 

Je crois avoir toujours préféré J.-M. barbu. La barbe effilait son visage, mangeait les joues, masquait la fossette du menton, lissait les contours. 

 

Les lentilles — comme pour François — ont été une libération, même si dans les derniers temps il les portait de moins en moins, préférant recourir à des loupes pour lire ce que sa presbytie l’empêchait de bien voir — et qu’il appelait ses « prothèses » (ce qu’elles étaient effectivement).

 

Sans avoir jamais été vraiment beau, J.-M. apparaît ici très charmeur, ou plutôt charmant, sans doute parce que charmé : le regard jeté sur l’objectif est franc, direct, confiant — les yeux et le sourire se livrent tout entiers, et la tête est magnifique (ou magnétisée par qui la regarde).

J’ignore quel objet se trouvent entre ses mains : comme la taille en est petite, peut-être J.-M. s'apprête-t-il tout bonnement à déballer un morceau de sucre (et me voici incapable de me souvenir si J.-M. sucrait ou non son café, ce que je devrais parfaitement savoir, lui ayant plus d’une fois servi une tasse de café ; je dirais non, mais ses goûts ont pu changer, l’évolution naturelle étant de sucrer de moins en moins les breuvages à mesure qu’on vieillit…)  

 

A la main gauche déjà la bague en jade, ce souvenir de l’amant rencontré en Thaïlande, que, le matin même de son décès, par l’intermédiaire d’une femme travaillant dans l’unité de soins palliatifs où il était hospitalisé, dans un legs ultime, il aura transmise à Pascal.

 

*  *  *

 

(Tant pis pour les redites, mais :) 

 

Cependant, derrière ce qu’elle peut avoir de lisse, cette photographie me résiste.

Plus je la regarde, moins elle semble vouloir s’adresser à moi, plus je supplée mes ignorances par l’imagination. J’aimerais savoir quand elle a été prise et par qui, afin qu’elle se livre davantage. Des douze photos conservées, c’est néanmoins elle que je trouve la plus belle : le regard, le sourire éclatent, on pourrait être jaloux de ce donné au photographe, et s’engluer dans l’insignifiance. De toutes aussi, c’est sur elle que j’aurai peiné le plus à écrire.

Je ne parviens pas non plus à donner un âge à J.-M., tout au plus — ou autour de — vingt-cinq ans.

(Le verso, s’il contient une indication — 656A — ne fournit aucun indice d’une date. Mais je crois avoir connu ce blouson. Il faudrait que je demande à François.) 

 

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[Réminiscence et ajouts des 24 et 31 décembre :

Cela m’est revenu brusquement : ce blouson était de couleur prune, un vêtement très souple, sans doute un cuir d’agneau...

Derrière J.-M. et à gauche, flou comme l’est la boîte au premier plan, ce qui ressemble à un troène. La photo ne semble pourtant pas prise à l’extérieur, mais dans une salle de ce qui m’apparaît de plus en plus comme un salon de thé (luxembourgeois ? allemand ? — hasarderais-je). Le fauteuil en bambou et osier tressé — quand on aperçoit à l’arrière-plan des chaises couvertes d’une galette rembourrée — suggère que la salle pourrait s’ouvrir sur une terrasse.

A l’arrière-plan, un couple attablé, silhouettes estompées dont le sexe est indécidable. Sur la table, deux grandes tasses et une plus petite, un pot à lait, tous en porcelaine blanche, deux verres, une carafe translucide et un sucrier lui aussi en verre forment un triangle dans des masses ordonnées alors même que la photographie a certainement été prise sur le vif, sans préméditation aucune : à preuve, la boîte béante, qu’on aurait à coup sûr écartée ou refermée si l’on avait voulu une image composée. Il se trouve d’ailleurs que le couvercle dressé à l’horizontale dessine un rectangle blanc presque parfait occupant le tiers inférieur gauche d’un volume qui lui-même occupe presque un tiers de l’ensemble de la photographie — ce qui m’avait frappé déjà quand j’écrivais que la boîte occupait « un dixième environ de l’image tout en bas à gauche »… 

Tous ces éléments sont comme floutés : seul, central, évident et radieux, tandis que les plis du blouson, dans ses ombres et lumières, se satinent de reflets plus clairs, s’impose J.-M. lui-même, frontal, le regard clair et lumineux.

 

Dans ses masses, ses contrastes de pigments et de nettetés, c’est assurément une belle photo.]

 

 

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