837 - Des jardins sous la pluie (3)
Des jardins sous la pluie
Paris - Séville - Grenade - Malaga - Paris
(Journal extime, 24 février - 9 mars 2018)
3
Dimanche 25 février
[Je n’ai retrouvé aucune note dans mon carnet concernant cette journée, dont j’ai pourtant quelque souvenir. Les photographies prises cette journée-là et les messages du téléphone suppléeront.]
Matin
B. m’a adressé un message en proposant qu’on se retrouve vers 15 heures pour prendre un verre (« Quartier à définir, vers Châtelet, Odéon, Montparnasse », écrit-elle.) Comme j’ai envie de voir l’accrochage temporaire sur Delacroix et l’Orient (Imaginaires et représentations de l’Orient, Questions de regard(s)) dans la maison-musée du peintre, je lui propose de la visiter, ou, sinon, de nous retrouver à Odéon, tout proche. Elle décline, mais rendez-vous est pris au débouché de la station de métro.
Après-midi
Je me rends donc au Musée National Eugène Delacroix. J’y étais déjà venu, mais, malgré cette appellation plutôt ronflante — il est vrai que la maison-atelier relève du Domaine du Louvre —, j’avais oublié combien l’endroit est petit et combien on en fait vite le tour.
Je prends quelques clichés, mais les lithographies sous verre me narguent : on voit presque autant le regardeur que l’œuvre photographiée… Je renonce ici à le Combat du Giaour et du pacha, inspiré du poème de Byron, d’après Delacroix de toute façon et non de l’artiste, mais ne saurais renoncer à la prise, quoique médiocre, de l’Odalisque — eau-forte et aquatinte de 1868 —, d’autant que le cartouche signale combien le « thème orientaliste […] reste rare dans l’œuvre de Manet, à l’exception de son tableau la Sultane », toile que nous avions vue Aymeric et moi au musée Maillol en avril, ce qui appelle quelque réminiscence
— ainsi qu’à un Portrait de Charles Baudelaire, réalisé par le même Manet l’année suivante d’après une photographie de Nadar.
A l’extérieur, m’en allant vers Odéon, le soleil d’hiver éclaire la place toute proche — il fait toujours aussi froid, d’autant qu’une bise venimeuse est de la partie… —,
et mon œil est attiré vers la façade d’un immeuble 1900.
Je prends un verre avec B. ensuite. Elle me conte ses éternels démêlés avec la copropriété. Elle me rapporte aussi des difficultés financières, du fait, précisément, de travaux imprévus. Aussi ne partira-t-elle pas avant l’été — et compte-t-elle emprunter à S., qui le lui a proposé, une petite somme qu’elle lui remboursera plus tard.
Comme elle me demande si j’ai des nouvelles de A., je me sens incapable cette fois-ci de lui mentir, d’autant que le passage de cette dernière date de trois jours. Comme B. ne sait pas que j’ai vu A. de temps à autre quoique très sporadiquement, elle s’indigne : venir ainsi chez moi et chez M. sans crier gare au prétexte du deuil de sa mère ! Je me dis qu’il faudra que j’informe A. de mon aveu, regrettant à part moi que A. n’ait pas, comme je le lui avais demandé, fait avec B. une mise au point salutaire auparavant — pas seulement parce que j’ai pu être quelquefois comme un lapin dans les phares, puisque pris entre leurs deux feux…
Je propose à B. d’aller voir Phantom Thread, dont j’ai lu des critiques élogieuses — ce qui n’est pas toujours bon signe. Elle n’en a pas entendu parler, mais de toute façon n’a pas envie d’aller au cinéma. Elle m’enjoint de m’y rendre, toute séance tenante — puisque prévue à 16 heures. Je préfère m’attarder un peu avec elle, qui lève cependant le camp bientôt, désireuse de profiter qu’on est dimanche et mettre un peu d’ordre chez elle avant la fin de la journée.
Je la raccompagne jusqu’à Odéon, incertain de ce que je vais faire par un froid pareil. Or, une brusque impulsion me fait rentrer dans le cinéma où l’on joue le film de Paul Thomas Anderson — dans un désir avant tout de caverne chaude. Comme on me promet que le film ne débute que deux minutes plus tard, j’achète une place et m’y précipite. Ce n’est qu’installé que je m’aperçois que je n’ai pas du tout vérifié si j’aurais affaire à une version originale sous-titrée — ce qui, heureusement, sera le cas.
Je sors content, le film m’ayant plu de par la complexité et la subtilité des relations entre les protagonistes, bien supportées par les comédiens eux-mêmes et la mise en scène.
Soir
Nous dînons très agréablement, Patrice et moi, poursuivant nos conversations de la veille.