854 - En lombardes (versales ou tourneures) (III)
En lombardes (versales ou tourneures)
Paris-Milan-Turin-Milan-Paris
(21 avril – 5 mai 2018)
III
23 avril
Matin
Je fais des courses en vue d’inviter Aymeric à dîner le soir.
J’ai plaisir ensuite à préparer ce repas. Et l’odeur de la sauce qui mijote flatte mes narines.
Après-midi
Je suis très en avance (il n’est pas encore quatorze heures) à notre rendez-vous. J’avais enjoint Aymeric de réserver sa place pour Kupka, pionnier de l'abstraction, mais il n’y a devant le Grand Palais aucune file d’attente.
Je m’installe sur un banc au soleil en (re)lisant le début de la Chartreuse de Parme (comme un avant-goût de Milan — et ce, d’autant mieux que je ne me rappelais naturellement plus son début :)
Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur.
— préviens de mon arrivée, précise l’endroit où je me trouve, et reçois bientôt ce SMS d’Aymeric : « j’arrive dans cinq minutes ».
L’exposition Kupka nous plaît beaucoup.
Comme Aymeric avait vu un documentaire et que, de mon côté, j’avais téléchargé et lu le dossier proposé par le Grand Palais, nous nous dispensons de lire la plupart du temps, sinon en diagonale, les commentaires muraux. La chronologie et l’œuvre parlent d’ailleurs pour eux-mêmes, illustrant sans conteste le titre de l’exposition, Madame Kupka dans les verticales se faisant peu à peu recouvrir et évincer par les lignes en question, puis par des courbes, des géométries abstraites et colorées, foisonnantes, florissantes, pointillantes, puis de plus en plus ascétiques… Cette obstination à aller jusqu’au bout de partis pris est très convaincante — et très belle, au double sens du mot.
1. Madame Kupka dans les verticales, 1910-1911, 135,5 x 85,3 cm, New York, MoMA ; 2. Plan par couleurs (Femme dans les triangles), 1910-1911, Huile sur toile ; 3. Plans verticaux, 1912-1913, Huile sur toile ; 4. Plans mobiles, 1950, Huile sur toile
Très beau — par conséquent — ce « premier pas », ce saut périlleux, ce saut qui crève la toile, et les explorations systématiques qui suivront, et ce, durant toute une vie.
S’il n’y avait pas de queue dehors, beaucoup de gens piétinent là, massés surtout dans les premières salles… La foule heureusement s’éclaircit ensuite.
Je fais, avec maint essai mainte erreur, mes premières photographies au moyen de ma tablette, après que, non sans mal, je l’ai désincrustée de sa coque…
Etude pour Le Langage des verticales, 1911, Huile sur toile
Du fait des 9,2 pouces d’encombrement de l’engin, d’autant que je fais mes clichés à bout de bras, je ne passe sans doute pas inaperçu, et je dois surmonter ma timidité à exhiber ainsi une activité qui n’échappe pas à ceux que je croise…
Aymeric et moi, tout en progressant de salle en salle selon nos circuits propres mais selon des boucles où nous nous retrouvons, nous parlons peu — sauf quelques plaisanteries qui nous viennent en nos points de rencontre —, tout en avançant d’un même rythme. Et je sais alors que l’exposition lui plaît autant qu’à moi.
Je prends plus de photographies que nécessaire peut-être, pour me faire la main — et parce que je vois bien que ma tablette réussit bien mieux ses prises que d’ordinaire l’appareil photo, qui ne rivaliserait que pour des clichés pris à l'air libre (je recourrai donc pour le restant de mon voyage à la tablette pour les musées, à l’appareil photographique pour les extérieurs).
(En parcourant les salles, je reconnais les toiles vues à Prague, spécialement cette dernière, qui paraît vouloir rivaliser avec certains vitraux, — toiles qui avaient donc impressionné très durablement ma rétine, alors même que je ne leur avais consacré que deux malheureuses lignes en août 2014.)
Série Contrastes X, 1935-1946, Huile sur Isorel