856 - En lombardes (versales ou tourneures) (IV)
En lombardes (versales ou tourneures)
Paris-Milan-Turin-Milan-Paris
(21 avril – 5 mai 2018)
IV
23 avril [suite]
Nous ressortons de l’exposition du Grand Palais quelque deux heures plus tard, et, puisque nous en sommes proches — et pour ne guère changer ni de sujet ni de période —, décidons d'aller à pied jusqu’à l’Orangerie voir Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet.
Claude Monet (1840-1926), Saule pleureur, entre 1920 et 1922, Huile sur toile. H. 110 ; L. 100 cm. © Internet
Alors que nous nous apprêtons à traverser en plusieurs temps la Place de la Concorde en son centre, Aymeric me raconte l’accident survenu à la députée de la France insoumise renversée et morte sur le coup près de l’Assemblée Nationale1.
La queue, devant le musée, est autrement moins importante que la fois précédente, et nous entrons presque immédiatement.
Nous commençons par les salles consacrées aux Nymphéas, devant lesquels je me trouve, comme toujours, le souffle court, mais aussi régénéré par l’air qu’ils mettent à la tête. Poursuivant mes essais de tablette, je me dépite un peu : les détails que je photographie n’ont pas de bons rapport de teintes avec ce que nous voyons — d’une colorimétrie trop rouge, selon Aymeric. Mais j’aurais mauvaise grâce à ne pas sacrifier au rituel du geste photographique qui vaut pour l’empreinte d’un état d’âme du moment.
Je me console ensuite avec ce Pont japonais, point trop rouge, dans sa variation totalement inconnue. (Peut-être le rendu en est-il toutefois assez agacément vert…)
Evidemment, après Kupka, l’abstraction américaine des années 1950, en dépit de quelques rencarts aimantant le regard, ne nous paraît pas toujours de si haute cime — mais peut-être avons-nous notre comptant et d’images et d’abstractions.
Philip Guston (1913-1980) , Painting, 1954, Huile sur toile, 160,6 x 152,7 cm, New York, Museum of Modern Art © Internet
Avant de ressortir, nous faisons toutefois encore, de toute la collection Walter-Guillaume, après nous être dit notre réticence envers les Renoir collectionnés céans, la salle consacrée à Soutine.
Le petit Pâtissier, qui était en voyage la fois dernière, est revenu docilement s’accrocher à sa place…
L’exposition aura eu au moins cette vertu : m’apprendre que Monet avait subi une éclipse auprès de la génération qui a suivi sa mort, tandis que fascinait son travail ultime outre-Atlantique.
Nous sortons du musée. Je désigne, pour en déplorer la présence, les panneaux publicitaires apposés en façade de l’ancien Musée de la Marine. Aymeric me dit que des Associations ont exigé le démontage ailleurs de pareilles enseignes géantes. Cela me rappelle Copenhague et les immenses panneaux lumineux pour une compagnie aérienne, dont les oranges et verts criards défiguraient la Place de l’Hôtel de ville. « Trop d’écrans » conclut sentencieusement Aymeric.
Nous nous cherchons un café, puis renonçons bientôt : le quartier de F. et Pascal sera plus agréable de toute façon.
Nous nous y transportons et nous posons dans un bar à quelques coudées de l’appartement. Comme j’ai mis en service ma tablette pour regarder les photos prises dans l’après-midi, Aymeric me parle de son engouement pour son propre iPad — qui, me dit-il, prend sur son temps de lecture (je ne sais si je le montre, mais je suis surpris par cet enthousiasme). Il manipule le mien avec une dextérité qui m’étonne tout autant, et je dois me faire une raison : je n’ai pas cette prétendue intelligence intuitive qui aurait dû me faire découvrir seul ce qu’il me montre — et que je serai incapable, par la suite, de reproduire…
C*** s’est trouvé une maison à T****. Il est désormais inéluctable que leur pavillon à F**** soit vendu.
Il fait beaucoup d’allers et retours entre Paris et la Bretagne : sa mère, toujours sur sa pente descendante, ne connaît plus désormais certaines recettes.
Nous parlons aussi des usages que l’un et l’autre faisons de la radio — il m’installera l’application permettant de télécharger les émissions de France Culture (que je ne saurai faire fonctionner ensuite !) lorsque, bénéficiant du Wifi, nous serons chez F. et Pascal.
Le rite catholique, quand il en entend quelques bribes avant l’émission de 11 heures, le « débecte ».
Je m’amuse de cette violence verbale. Mais, au vrai, il m’insupporte tout autant d’entendre des chœurs de messe, et, pour m’en prémunir, je change de station de radio les dimanches matins. Il ajoute s’étonner que des gens intelligents puissent avoir des convictions religieuses telles que celles que leur dicte la foi chrétienne. Je lui dis que je ne connais aucun catholique dans mon entourage, à part quelques collègues — apparemment.
Comme je le lui demande, Aymeric m’assure qu’il n’y a plus de publicité sur les pages de mon journal après que j’ai pris un abonnement payant — dit “premium” sur Overblog. Je lui dis qu’une autre raison m’y a poussé, la possibilité de lui soumettre dorénavant les articles qui le concernent avant de les publier.
Parcourant mon “blog”, je suis surpris de ne rien trouver sur Kupka [en fait, je m’en rendrai compte ensuite, j’avais déformé son nom en Kupa, une bien coupable erreur, que j’ai donc, depuis, rectifiée], dont nous parlons encore, ayant vu l'un et l'autre certaines de ses œuvres à Prague.
Nous évoquons les vacances à venir. Münich étant trop cher pour se loger, il a prévu de retourner en Autriche, à Vienne, ainsi que dans une autre ville non loin de Salzbourg, dont j’ai oublié le nom.
De mon côté, je n’ai toujours pas choisi de destination de vacances.
Nous parlons alors un peu de Milan (comme d’ordinaire, je n’ai rien planifié de mon séjour, même si Valérie et Denis, puisqu’ils y ont séjourné lors de la récente exposition universelle, m’ont suggéré de voir tel monument, tel musée, tel quartier, tel endroit). Aymeric, lui, m’évoque la gare centrale, près de laquelle je logerai, “mussolinienne”, mais pourvue de belles fresques, et me dit que Turin (où Denis et Valérie ne sont pas allés) lui a beaucoup plu.
Il déplore avoir pris du poids cet hiver. J’avais déjà remarqué le petit ventre indiscret la fois dernière. Je relaie alors la théorie, à demi consolatoire, à demi vexatoire, de N*** concernant le changement de métabolisme en fonction des âges. Il me dit pourtant faire de l'exercice, notamment « des abdos ». Je comprends bien son dépit, ayant le même, et m'irritant de ces efforts inutiles.
Contrairement à moi et pour des raisons inverses, il a beaucoup aimé un concert de Juliette auquel il a peu de temps auparavant assisté. Car, pour ma part, j’avais été, quand je l’avais vue il y a peut-être une douzaine d’années, agacé de ce que tout paraissait calculé au millimètre près — et de ce que son tour de chant d’alors constituait un récital ne varietur des titres de son dernier album, ce qui, me le confirme Aymeric, était également le cas pour le spectacle qu’ils ont vu, P*** et lui.
Cette absence de place pour l’improvisation m’avait heurté, et j’avais songé alors à ce que Barbara reprochait à Montand — en l’espèce : de régler absolument les effets au geste près, Montand, paraît-il, répétant ses chansons devant un miroir !
Le dîner se passe agréablement, même si les fraises sont insipides (sans doute est-il trop tôt encore pour goûter toute la saveur du fruit !).
Après dîner, nous prolongeons un peu la soirée dans un bar de quartier.
Je demande à Aymeric s’il est allé au cinéma, ce qui, pour ma part, m’arrive de moins en moins souvent. Mais j’ai vu récemment The Misfits de John Huston — les Désaxés en français — à la télévision, film que je n’avais pas beaucoup aimé quand je l’avais vu dans un ciné-club alors que j’étais adolescent : Montgomery Clift en cow-boy sous le charme de Marilyn m’avait déçu [!]), et le propos du film était alors loin de mes préoccupations. Or, précisément, c’est ce propos même qui m’a beaucoup touché [j’ai lu quelque part entre-temps que John Huston aurait été très hostile à Montgomery Clift en raison de son homosexualité — ce qui m’a un peu surpris, car j’aime beaucoup le cinéma de Huston en général, et Reflets dans un œil d’or, en particulier —, tandis que Marilyn Monroe aurait déclaré à propos de l'acteur : « Il est le seul être qui soit encore plus perdu que moi ». Je me souviens de la démarche chaloupée de Monty Clift, de cette crispation, cette raideur dans les épaules qui m’avait paru révéler une fragilité infinie la première fois que — était-ce la première fois que je le voyais, lui, à l’écran ? c’est vraisemblable — j’avais vu Soudain l’été dernier de Mankiewicz], comme touchent les œuvres crépusculaires lorsqu’elles attestent de la fin d’un monde de toutes les façons…
Lui me parle de deux films, dont je n’ai pas retenu le titre [aussi devrai-je lui demander, plus tard, de me rappeler l’un des deux quand il s’agira d’occuper ma dernière journée au retour, en attendant l’heure du train…].
Je lui avais proposé de voir une pièce dont j’avais entendu parler, ce qu’il avait décliné. Il n’aime pas le théâtre (il n’y a pas été éduqué, dit-il). Il me surprend à nouveau par une saillie verbale [oubliée depuis] à ce sujet. Je réponds, mais sans trouver d’argument approprié, que ce n’est peut-être pas une question d’éducation, juste une affaire de goût. Car, après tout, je n’aime pas beaucoup le théâtre non plus, où, pour ne pas être toujours grandiloquent, il me semble qu’on parle tout de même trop haut, trop fort et trop grand.
Il est assez tard pour qu’il songe à rentrer.
La journée a été dense, de toutes les façons.
[A ma demande, il m’envoie, le lendemain ou le surlendemain, les trois photographies faites avec son téléphone de l’exposition Kupka, qu’il me confirme avoir beaucoup aimée.]
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1Après que je lui ai soumis ces lignes et demandé son imprimatur, Aymeric m'écrit :
« Petit rectificatif tout de même ; ce n’est pas une députée qui est morte à vélo devant l’Assemblée, mais une assistante parlementaire.