866 - En lombardes (versales ou tourneures) (XIII)
En lombardes (versales ou tourneures)
Paris-Milan-Turin-Milan-Paris
(21 avril – 5 mai 2018)
XIII
1er mai
Matin
Je suis tiré de mon sommeil dès cinq heures (est-ce cette heure, ce point du jour que l’on désigne quand on parle de potron-minet ?).
Je casse un verre en faisant la vaisselle. Je ne dois pas, cette fois, incriminer ma maladresse native : il se fend quand je le lave.
Décidément, j’en prends pour sept ans de malheur dans les derniers logements où je passe. (Le numérologue imbécile se garde néanmoins de multiplier les données…)
Je photographie l'objet afin d'en trouver un substitut.
Il me faut renoncer au Palazzina di Caccia di Stupinigi : le chauffeur de bus refuse de m’embarquer : mon billet n’est pas valide, m'explique-t-il, et il ne peut m’en délivrer à bord.
Je renonce également au Museo Egizio. Si l’attente avant d’entrer n’est pas trop longue, aux caisses les files massées devant les guichets signalent l’affluence en ce jour férié. Je me dis raisonnablement qu’il vaut mieux remettre au lendemain — ouvré — ma visite.
Je vais jusqu’à Santuario della Consolata. Y est célébrée la messe comme chaque matin que fait le Seigneur. Les gens se signent en entrant. Même les touristes. Je m’abstiens mais j’abrège mon tour de l’endroit en notant bien à la fois le baroque du lieu et les dénivelés de ses déclinaisons.
Dans les rues, les gens arborent une cocarde rouge — qu’on veut me vendre — dont ils se plastronnent pour honorer les luttes dont le jour est l’emblème. (Je ne comprends toutefois pas tout de suite. — Mais qu’aurais-je fait de ce pin’s comme on disait jadis ?)
Je me rends ensuite, puisqu’il est proche et doit être désormais ouvert, au Museo d’Arte Orientale.
Au comptoir, un transsexuel me délivre mon billet.
Je vais d’abord — comme d’ordinaire, mauvais aventurier — à ce qui m’est connu.
De très belles pièces sont exposées
Guanyin/ Avalokitésvara seated with child, China, 16th-17th century 5ming – Qing dynasties), Polychrome glazed stoneware
Mricchakatika, Il carrettino di terracotta, Shakara e vita, Mathura (Uttar Pradesh), II-III secolo d.C., Arenaria rossa
Totoya Hokkei (1780-1850) An actor of the bugaku théâtre, Edo peiod, c. 1825, Woodcut on paper, nishiki-e with gold and silver
Grande pagina di Corano in caratteri thuluth, nashki e muhaqqaq, Yemen, XIV secolo d.C., Carta, inchiostro nero, pigmenti e oro
Collection of the Works of Sa’di, India, 17th century A.D., Paper, black and red ink, pigments, gold, leather cover
Collection of poetry composition in nasta’liq script, India, 18th century A.D., Paper, black ink, pigments, gold, leather cover
— dont des bouddhas de différentes tailles, origines, formes, et dans diverses positions.
Testa di Buddha, Thailandia centre-meridionale, Regno di Ayutthaya, fine XV-XVI secolo, Bronzo con tracce di doratura
Testa di Buddha, Pakistan nord-occidentale o Afghanistan, IV-V secolo di d.C., Stucco con tracce di pigmenti
Standing Amida Buddha, Hollowed-out wood, gilded lacquer, En of Heian – early Kamakura, 12th-13th century
Standing Jizo Bodhisattva (Assembled sections of lacquered, painted and gilded wood) Momoyama Period (?), second half 16th-beginninf of 17th century
Buddha coronato, Arakan, Myanmar (Birmania), XVIII secolo d.C., Bronzo laccato e dorato
Puis je rentre déjeuner à l’appartement.
Après-midi
Il pleut alors que j’attends l’autobus pour le musée d’art contemporain du Castello di Rivoli.
Le bus longe, semble-t-il interminablement, des arcades sur des kilomètres et kilomètres — j’ai lu je ne sais où leur longueur totale, impressionnante cela va sans dire, sans en retenir le chiffre — d’une avenue tout en ligne droite, laquelle se poursuit encore, toujours rectiligne, au-delà de la ville, impressionnante dans son obstination à ne jamais dévier.
Je me le murmure : j'aime bien Turin.
La jeune femme à la caisse du musée, en même temps que les billets, m’offre un petit carnet. Le procédé est aimable, mais ne compensera pas tout à fait, quant au nombre d’œuvres exposés, l’indigence des lieux (deux espaces, il est vrai, sont, si j’ai bien compris, fermés en vue d’installations en cours).
Huit à dix Chirico peuplent l’endroit malgré tout
— ainsi que d’autres œuvres, en regard,
dont ce cheval suspendu au plafond : je m’apercevrai, en différé, que — on vit une époque formidable (aurait dit Reiser), ou formidablement imbécile — avant de pénétrer dans la salle on avertissait les visiteurs de ce que la pièce dans ils pénétraient pourraient heurter leur sensibilité en tant qu’ami des bêtes (The next room contains a work which might be offensive to animal lovers) !
Quant à ce pauvre élève collé à son pupitre par de bien méchants crayons, il me laisse songeur — évidemment.
J’ai vite fait de tout voir — et ronge mon frein pendant presque une heure à la cafétéria de l’endroit. Cependant, je relis et corrige à la marge ce que j’ai pu écrire il y a cinq ans sur le décès de J.-M.
A peine l’ai-je entamé que je renverse sur moi mon verre de Gewurztraminer. Je m’en commande un autre, tout en refluant sur une autre salle déserte où je poursuis mes corrections besogneuses.
Durant le trajet de retour, j’envoie un message à N***, ainsi que j’avais dit que je ferais. Rendez-vous est pris pour jeudi soir.
Le couple de barbus (ils le sont tous indifféremment, quel que soit leur sexe désormais [!]) qu’à l’aller j’avais imaginé, postulé, étiqueté, estampillé gay, s’enlace dans le bus ; puis chacun croise ses doigts aux mains de l’autre : ils sont charmants et ont toute ma sympathie sans qu’ils parviennent, quoique je n'en trouve pas la raison, à totalement soulever mon imagination.
Comme à l’aller, je lis la Chartreuse de Parme (et me souviens que bien des endroits évoqués dans le roman n’ont jamais existé en tant que tels : j’avais d’ailleurs songé à voir la chartreuse de Pavie… à défaut de celle de Parme, laquelle n’existe — donc — peut-être pas !).
Je jette un nouvel œil sur le petit carnet, qui trouvera son usage (trente-quatre feuillets encore, comme autant — je n’en veux pas davantage — de mes années à venir !) à un autre moment. Avec celui acheté à Grenade, alors même que mon carnet à spirale pragois dont j’arrache le feuilles à mesure se fait de plus en plus mince sans pour autant fondre absolument, je crains devoir parler encore de mes voyages à venir !
Dans la station de métro, quoique s’étant assis un court instant sous un abribus (d’autant qu’il pleut), les deux trentenaires barbus m’ont suivi, mais prennent chacun une direction opposée. Je les ai dans mon champ de vision, sur la passerelle entre les deux lignes, alors que je suis en contrebas, sur le quai. Ils s’embrassent. Ils se séparent. Je ne sais quelle vie imaginaire leur prêter, quoique cette séparation m’évoque quelque peu Orly, et je forme un instant des vœux pour leur avenir. Ils s’adressent tout de même un peu mieux alors à mon imaginaire…