869 - En lombardes (versales ou tourneures) (XV)
En lombardes (versales ou tourneures)
Paris-Milan-Turin-Milan-Paris
(21 avril – 5 mai 2018)
XV
2 mai [suite]
Milan, après-midi
Le train, comme tous les autres lors de ce séjour, a ses dix minutes de retard. En outre, on se presse aux guichets automatiques. A nouveau, je vais être en retard. J’envoie un SMS à la femme de ménage censée m’accueillir.
Je me retrouve, à la gare de Milan-Porta Garibaldi, dans ce quartier de grands immeubles, dont la Tour Unicredit, le plus haut édifice d’Italie, que flanquent de larges esplanades face auxquelles on est aisément désorienté. Beaucoup d’Italiens ne parlent pas anglais — je croyais le peu d’appétence pour les langues étrangères l’apanage de la nation gauloise, mais l’incurie romaine n’est pas moins grande. Enfin et malgré tout, un homme aimable consulte sur son téléphone portable un site où s’affiche un GPS et m’indique alors mon chemin.
Personne, sur place, ne répond à l’interphone au numéro que j’ai noté sur mon carnet.
Une voisine vient à mon secours, appelle Natalia dont j’ai bien compris qu’elle ne pratiquait que peu l’anglais, ce qui n’est heureusement pas le cas de cette voisine secourable.
Me voici jeté à la rue une bonne vingtaine de minutes — alors qu’on m’en avait promis cinq tout au plus...
Soir
Émotions et contrariétés ont ouvert un boulevard à mon appétit. Je décide de m’offrir un bon restaurant (c’est le second à Milan, le premier ayant été peu bouleversant).
En chemin, je bois un verre de vin dans un endroit que m’indique mon guide. Je choisis un vin blanc sicilien, que me sert un garçon joli garçon.
Je serai le premier client du restaurant et suis reçu aimablement.
La cuisine est à la hauteur de l’accueil. Les lasagnes sont bien préparées (les amuse-bouche, inidentifiables pour moi, excellents), l’agneau au tzatziki et à la menthe, très tendre, et ses pommes de terre aux oignons, goûteuses également.
Le décor avec ses meubles en formica vert aurait plu à J.-M. (je me suis assis sur la seule chaise au dossier rouge). C’est pour l’honorer que je commande des profiteroles en dessert (je n’en ai plus mangé depuis longtemps) : je dois concéder qu’elles sont meilleures que celles que faisait J.-M. — mais ses poires au vin restent inégalées…
Au retour, je m’essaie à quelques nouvelles photos de nuit.
3 mai
Adieu Milan : je passe le plus clair de la journée à voyager. Impossible dans un premier temps, lors d’un contrôle, de remettre la main sur le ticket de train acheté la veille pour me rendre à l’aéroport. Je crains d’avoir composté un mauvais billet de même apparence, celui que j’ai donné au contrôleur. Après un bref instant où je me vois devoir acquitter une amende, je finis par retrouver le bon « titre de transport », scénario que, comme les verres que je casse, je renouvelle beaucoup depuis quelques temps…
J’ai reçu un courriel de Judith qui décline une invitation à nous voir samedi : elle se marie avec N. — « pour la pension de réversion », précise-t-elle, entre autres formules humoristiques.
N*** m’a aussi laissé un message : il n’est disponible qu’à partir de 21 heures. Je m’agace de le trouver aussi peu empressé depuis un certain temps (je n’en comprendrai que plus tard la raison, à mon détriment).
Soir
J’ai finalement reporté au lendemain après-midi la possibilité de nous voir, N*** et moi ; et, contrarié mais assommé de ma journée de voyage — ce pour quoi j’ai aussi annulé le rendez-vous que N*** me proposait —, je me couche tôt — et m’endors très vite.
Dans le rêve confus dont je suis bientôt la proie, des inconnus sont entrés dans le logement où je dors. Avec force sourires ils m’enjoignent, d’une voix mate et bienveillante, à ne pas me déranger. Or, c’est là surtout ce qui m’inquiète, cette aménité particulière, cette façon lénifiante de s’adresser à moi comme à quelque incapable. Et de me réveiller brusquement — et de comprendre alors : ce sont Pascal et F. rentrant de voyage
Voyant que je suis désormais éveillé et prêt à me lever, leurs ombres chinoises parlent encore et, toujours suaves et souriants, s’excusent — ils s’en vont de toute façon, me disent-elles, s’en vont... : on s’en va, ne te dérange pas…
Je demande l’heure alors pour tenter de regagner le territoire, sinon des vivants, des éveillés.
« Il est 22 h 40 » me répond F. Et Pascal de préciser qu’ils sont garés en double file, qu’il va — et s’en excuse — devoir allumer la lumière pour récupérer des affaires dans le placard.
Je ne parviens toujours pas à rassembler toute la force, l’énergie pour tenir un discours cohérent — moins encore pour me lever.
La lumière qui se fait me découvre deux messieurs âgés. Pascal a blanchi, semble-t-il. Il y a une année et demie au moins que nous ne nous sommes vus…
Je me reproche de noter pareil détail, bête et cruel, et certainement pas consolateur pour quiconque.
La lumière éteinte, les deux ombres agitent les mains pour dire au revoir, puis disparaissent, me laissant stupéfait, hébété — et surtout désolé de cette occasion manquée de nous voir plus longuement (car j’ai tout de même confusément compris qu’ils ne s’attendaient pas à me trouver là, s’étant sans doute emmêlé dans les dates… et avaient tâché de se faire les plus discrets possible, quoique devant s’aventurer dans la — dans leur chambre…)