875 - Prolégomènes à toute belgitude future (2)
Prolégomènes
à toute belgitude future
(Metz - Paris - ****)
(22 juillet - 12 août 2018)
II
Dimanche 29 juillet
Les dimanches ne me réussissent guère en ce moment — celui-ci plus navrant (au sens premier ou propre) encore que le précédent.
M.-C., la veille, m’avait téléphoné pour me dire que ses buis étaient infestés de chenilles. Aussi viendrait-elle le lendemain récupérer le pulvérisateur qu’elle m’avait prêté pour éradiquer les mêmes bestioles quelques semaines auparavant — bestioles dont je me disais qu’elles avaient peut-être fait un même retour dans mes arbustes.
Je déteste jardiner. Il ne se passe pas de saison que je regrette feue ma voisine horticole, même si, cet hiver, j’ai mis une entreprise sur l’affaire de mon jardin après des années d’incurie où les plantes avaient poussé en toute liberté, spécialement le liseron et les ronces qui, chaque été, recouvraient de leur coupole tous les autres végétaux tandis que des roses rouges ascensionnaient le cytise blanc — ce que je ne lassais pas d’admirer d’en haut, de la rambarde de ma terrasse.
Je déteste jardiner, mais, depuis la venue de l’entreprise en mars dernier à qui j’avais demandé un élagage sévère, je m’attache régulièrement à arracher les mauvaises herbes et ce même liseron qui persistent à envahir le jardin.
La nuit ayant été plus fraîche que les précédentes, avant même qu’il soit huit heures, je me suis décidé d’abord à m’attaquer au liseron qui prolifère faute de pouvoir jamais en extraire toutes les racines, partout répandues, puis à pulvériser le buis. Ce faisant, j’ai soulevé une nuée d’insectes furieux de voir leur milieu perturbé, mais j’ai réussi tout de même à m’occuper du buis, le plus petit. (De temps à autre, voulant moduler le jet, je perdais la goupille qui sert d’embout à la longue tige permettant l’aspersion — je ne sais si tous ces termes conviennent… —, attaqué sans pitié par les moucherons que je délogeais.)
Je n’ai pas eu le loisir de traiter l’autre arbuste. Baissé à son pied pour positionner correctement le réservoir d’eau dans lequel j’avais dilué le produit destiné à éradiquer les pyrales, en me relevant, j’ai heurté à l’arrière gauche de mon crâne une barre en fer rouillée qui dépasse de la maçonnerie du mur — barre en fer dont je n’ai jamais compris ni la présence ni l’usage.
Par une habitude qui remonte à l’enfance, j’ai incontinent frotté le sommet de mon crâne afin d’éviter la formation d’une bosse ; j’ai alors senti quelque chose d’humide — à moins que n’ayant pas retiré le gant de plastique dont je m’étais protégé, j’ai vu le liquide, j’avoue n’en plus rien savoir… — dont je n’ai pas compris à première vue qu’il s’agissait de sang. Car je saignais abondamment, si j’en croyais la sensation d’un ruissellement du jus purpurin s’étendant au cou, aux tempes, à la joue…
A l’évidence, je m’étais entaillé le crâne. Je suis alors remonté précipitamment du jardin jusqu’à mon appartement, abandonnant le matériel sur place, pour tenter de constater l’étendue des dégâts (que le sang, toujours spectaculaire, s’épandant je me suis d’emblée exagérée).
Dans la salle d’eau, devant la glace, sinon constater que j’avais la tête ensanglantée, je ne pouvais voir la blessure elle-même (en avais-je envie ? je n’en suis pas certain…). Et, devant ce sang spectaculaire, je commençais à ne pas me sentir très bien. J’ai saisi la serviette, dont je me suis tamponné, puis enrubanné — ayant le temps de songer absurdement à un autoportrait célèbre de Chardin.
Peut-être est-ce aussi qui m’a fait songer ensuite que j’avais perdu mes bésicles — puisque j’avais chaussé mes lunettes pour examiner la présence d’éventuelles chenilles dans le buis, tombées et laissées sur place alors que je m’enfuyais du jardin.
Ne sachant trop quoi voir ni quoi faire, j’ai appelé ma sœur, seule personne que je voyais de bon conseil en la circonstance. Elle prenait son petit-déjeuner et m’a dit venir aussi tôt qu’elle pourrait.
Doublement avisée, elle s’était munie de clés (que je lui avais données l’avant-veille pour qu’elle vienne arroser mes plantes quand je serais à Paris) et d’une carte indiquant des horaires qui allaient bientôt jouer leur partition… Quoi qu’il en soit, m’examinant, elle était incapable de déterminer quelle profondeur avait la blessure au travers du sang et des cheveux. (Je ne m’étais toutefois pas scalpé sans doute. Le sang d’ailleurs semblait se tarir, et je ne le sentais plus couler.)
Je lui ai proposé de nettoyer à l’eau oxygénée la plaie, ce qu’elle n’a pas voulu faire, préconisant plutôt de m’emmener, de préférence aux urgences, dans un « centre de soins immédiats » (ayant pris donc avec elle la carte indiquant les horaires de l’endroit) — ce à quoi j’avais moi-même songé, n’ayant aucun vaccin à jour et me disant qu’il conviendrait de me faire injecter un sérum contre le tétanos.
Nous avons cherché — et retrouvé — les lunettes dans le jardin, au pied du buis.
Dans l’annexe de la clinique dévolue aux urgences, nous avons dû attendre une quarantaine de minutes tout au plus avant qu’on m’appelle.
On m’a bientôt rassuré en ne constatant que deux estafilades sans profondeur qu’on s’est employé à nettoyer. Il n’y aurait sans doute pas besoin de recoudre — en attendant, m’a dit mon interlocuteur, que j’ai alors identifié comme infirmier, l’avis du médecin.
J’ai dû patienter assez longuement que vienne celui-ci. J’entendais les gémissements tout proches d’une femme, sa respiration bruyante et oppressée. J’ai d’autant mieux pris en patience la venue du médecin que, écoutant cela, je ne m’étais blessé que superficiellement.
On a tout de même pris mon mal au sérieux et l’on n’a pas discuté — au contraire, m’a-t-il semblé — mon désir d’un antitétanique. Mais on ne pouvait me le faire immédiatement, faute de posséder sur place le produit en question.
Je suis donc reparti avec une ordonnance en ce sens et une prescription de vaccin, la première prescription à honorer dans les quarante-huit heures.
A la pharmacie de garde où m’a mené ma sœur ensuite, on n’avait pas le produit miracle, et je me suis résolu à ne l’obtenir que le lendemain et à retourner au même endroit me faire faire une piqûre intramusculaire (perspective dont, sur l’instant, je ne me suis aucunement réjoui).
D’ailleurs, l’incident m’avait vidé de toute envie, et je n’ai plus eu aucun désir de vaquer à quelque travail que ce soit. D’ailleurs, n’était-ce pas dimanche, jour du repos ?
Retracer tout cela seul a pu me rasséréner un peu…
30 juillet
Je vais chercher le lendemain le sérum avant la fermeture de la pharmacie à 13 heures.
Je me suis muni d’une glacière ainsi qu’un dispositif visant à réfrigérer les bouteilles, ignorant combien je devrai attendre, même si l’on m’avait assuré que le délai ne serait pas trop long.
Je croise, alors que je traverse le parking, l’infirmier barbu (son pelage dépassant de l’échancrure en V de sa blouse m’avait plu), qui, au seuil du centre de soins, sourit et répond à mon salut.
Je devrai m’y reprendre à deux fois : non seulement, on compte m’injecter le sérum antitétanique, mais aussi le vaccin que je n’ai pas voulu commander la veille, pensant pouvoir remettre à plus tard, voire ayant imaginé que n'étaient pas compatibles deux injections l'une à la suite de l’autre. (L’infirmier sort, dit-il, pour se renseigner. Il revient après quelque temps, et je m’entends dire que le médecin, la veille, m’aurait expliqué précisément en quoi retournait cette double opération en me faisant des schémas — ce qui est faux, mais à quoi je me résigne. Je ne saurai plus tard que l’on pouvait me faire des tests pour déterminer s’il fallait ou non vacciner à nouveau, et j’en conclurai que je me suis par conséquent fait autoritairement administrer les deux piqûres.)
Je me mets donc en route. Il me revient entre-temps, tout en conduisant, que la pharmacie où je m’étais procuré le sérum est désormais fermée. Je pars donc à l’aventure, en songeant qu’un lundi tout n’est pas nécessairement ouvert. Je songe alors à une pharmacie dans un centre commercial. Comme, sans réfléchir, j’ai laissé la carte vital aux secrétaires, je devrai y revenir ensuite pour me faire rembourser l’achat du vaccin...
Je m’étais exagéré la gravité de l’opération à venir : il faut dire que j’avais en mémoire ce que m’avait raconté récemment J-P*** à propos de la piqûre intramusculaire qu’on lui avait faite dans la fesse, très douloureuse m’avait-il dit, après avoir découvert qu’il avait contracté la syphilis. L’aiguille dans l’épaule gauche puis droite — et non la fesse, ou la cuisse — se fait à peine sentir.
* * *
Je passe le début de soirée en terrasse avec T. — à qui j’ai donné rendez-vous avant de voir M.-C., qui en a agi de même avec M***.
Nous nous retrouvons et dînons ensemble ensuite chez moi, M.-C. et moi.
Au moment de repartir, elle se trouve dans l’impossibilité de redémarrer sa voiture. Elle trouve la solution sur Internet, qui lui permet de débloquer son volant, puis de repartir.