881 - Prolégomènes à toute belgitude future (6)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Prolégomènes

à toute belgitude future

 

(Metz - Paris - ****)

 

(22 juillet - 12 août 2018)

 

 

VI

 

2 août [suite]

Soir

J’ai rendez-vous avec François.

Je le trouve attablé déjà même si je suis en avance.

Il m’explique qu’il avait l’après-midi même un rendez-vous médical en raison d’inquiétudes à propos de sa prostate, du fait d’une hérédité — un oncle, je crois, que l’on avait dû opérer du fait d’un cancer… Il me dit, à ce propos, que sa fille veut devenir spécialiste en urologie.

Le médecin consulté était en retard. Il était trop tard pour retourner travailler ensuite. Il s’est alors promené dans Paris ; un peu désœuvré, il a acheté dans — dit-il — sa librairie préférée (je me prends à penser que l’enseigne qu’il me cite n’est pas tout à fait une librairie) un livre de Mario Rigoni Stern, Sentiers sous la neige. Comme il me le demande, je prétends connaître l’écrivain de nom, mais ma mémoire incertaine désormais fait que je ne suis pas sûr d’avoir jamais lu une de ses œuvres — cependant qu’un clignotement paraît se faire dans un coin de mon cerveau… — ; je prétends néanmoins prudemment ne l’avoir jamais lu. (Je vérifierai plus tard que ma réminiscence était juste néanmoins, Valérie m’ayant prêté Histoire de Tönl, qui m’avait pourtant plu, me semble-t-il, quand bien même mon souvenir en reste confus et lointain.)

Je suis content  (je ne le lui dis pas) que François ait plaisir à lire à nouveau.

Il se dit fasciné par les écrivains de l’entre-deux guerres, pour la tourmente qu’ils ont dû traverser, les choix qu’ils ont dû faire, et je retrace à grands traits les émissions entendues tout récemment sur France-Culture à propos de Emmanuel Berl, Georges Bernanos — commentant celle entendue le jour même à l’heure du déjeuner sur les engagements politiques du second, ce que, durant les trois émissions précédentes, n’avaient pas fait le présentateur ni les invités, la question paraissant tout à fait esquivée. Je n’ai lu ni Berl ni Bernanos (ne connaissant de ce dernier que les adaptations cinématographiques, que j’ai pourtant beaucoup aimées, de Robert Bresson ou de Maurice Pialat), mais, à tout prendre, je préfèrerais lire le premier, qui en tant qu’homme m’a paru beaucoup plus sympathique, ce qui ne préjuge naturellement pas de l’intérêt réel qu’il faille porter à l’œuvre nonobstant l’homme, ce que j’ai pu vérifier de longue date (les opinions politiques de Bernanos ont toutefois quelque chose de glaçant).

François, lui, comme s’il s’agissait d’écarter le sujet, me dit qu’il n’écoute pas beaucoup la radio. (Plus tard, il me dira ne jamais aller au musée. Je lui rappelle que nous y étions pourtant allés ensemble au Musée du quai Branly.)

Face à la carte produite par le serveur, François me dit — je pense un instant à Fabien, avec qui j’ai dîné il y a peu, me tenant un même discours — s’être détesté d’avoir trop grossi ces dernières années. Aussi ne prendra-t-il ni alcool ni dessert.

Songeant aux escarmouches venimeuses récentes avec N*** et les lui évoquant, puisque François est demeuré sobre depuis dix-huit mois au moins (estimé-je dans une rapide évaluation mentale), je demande si je pourrai boire du vin à sa barbe.

Son frère, développe-t-il alors, suit une mauvaise pente : dans sa vie de célibataire malheureux, il a tendance à boire un peu trop, et François me dit s’inquiéter pour son cadet. Je lui rappelle que cette pente était la sienne, il y a peu — ce qui, bien sûr, ne peut que rendre réjouissant son propre renoncement à l’alcool.

Nous nous étions croisés, son frère, lui et moi, une première fois, puis eux, mes parents, ma sœur et moi, une seconde, lorsque François, quelques mois auparavant, était venu à **** en raison de la vente de la maison familiale bien des années après le décès de son père, sa mère et son oncle. Il n’avait pas prévenu de ce passage — mais je suis désormais habitué à cela —, tandis que, me rencontrant, et s’en sentant peut-être coupable, il m’avait appelé pour qu’on se voie alors : ses disponibilités étaient si réduites que nous avions dû remettre à ce jour-ci l’occasion de nous voir plus longuement…

Nous parlons donc de mes parents, de ma sœur.

Et je lui dis, à propos de son désir qu’il avait émis une fois précédente de prendre sa retraite à **** et d’habiter précisément alors l’appartement de ses parents, que, pour ma part, je ne trouvais pas que c’était une bonne idée…

 

Nous parlons également de Danièle, de Didier — dont lui a aussi parlé Danièle (ainsi vont ces chaînes de mots qui nous portent et emportent au-delà même de nos mots tant et si bien qu’on ne sait plus à quels mots se vouer) —, de Carine…

Selon Danièle, Didier — François utilise le surnom auquel tout le monde recourait, sauf moi, qui ne l’aimais guère — n’aurait pas changé. Je sais que Danièle a besoin de croire que jamais ne branlent les rochers du Caucase ; mais je dis que je ne l’aurais pas reconnu si j’avais croisé dans la rue Didier. Inchangé, cependant, tel qu’en lui-même et reconnaissable et fidèle à bon nombre de ses principes, certes, mais pas nécessairement inchangé de la façon idéale dont on voudrait l’habiller par pur passéisme ou nostalgie.

 

Nous prenons un dernier verre dans un bar dont l’enseigne La belle Equipe m’évoque le film de Duvivier, ses deux fins, l’ambiance toute particulière qui illumine, quelle que soit la fin, le film, que porte alors une époque plus heureuse sans doute que la nôtre, plus encline en tout cas à des projets optimistes.

Nous poursuivons la conversation, opérant quelques circuits et retours. Ainsi François me dit qu’il aime bien son nouvel appartement. Il m’en aura pourtant dit les inconvénients auparavant,  en se plaignant notamment de voisins bruyants.

Une poussière lui est rentrée dans les yeux, irritant la cornée, du fait des lentilles. Sans l’évoquer, je me rappelle le lycéen aux lunettes épaisses du fait de sa myopie.

 

François me dit que le quartier était autrefois plein d’ateliers d’artisans travaillant le bois. J’en aurai la confirmation sur le chemin du retour en passant rue Faidherbe, l'ancien atelier étant devenu un hôtel.

 

881 - Prolégomènes à toute belgitude future (6)

Rentrant à pied jusque chez F. et Pascal, je me dis que, au cours de cette soirée, j’aurai laissé beaucoup parler François, conscient pourtant d’être dans la rétention. En vérité, j’ai préféré l’écouter, quitte à paraître insipide.

Je songe aussi que c’est la même attitude que j’ai eue naguère par deux fois au moins avec N***, qui ne m’aura guère réussi, à tout prendre — et à beaucoup laisser (tant cela semble un leitmotiv du moment)…

 

3 août

Matin

J’ai mieux dormi que les nuits précédentes — la chaleur interfère de plus en plus avec le sommeil —, en laissant la fenêtre de la chambre fermée.

Je lis un peu, tout en me demandant à nouveau à qui le Funambule de Genet plaira le plus, T. ou Pascal ? (Je l’abandonnerai dans l’appartement, finalement, en l’adressant à Pascal, quoique je ne sois pas sûr qu’il ne l’ait pas lu, le livre ayant été — j’en donnerais ma main à couper — dans la bibliothèque de J.-M.)

Je vais près d’Hôtel de ville faire les soldes, m’achète une chemisette ample en ces temps caniculaires ainsi que deux paires de chaussettes.

Le miroir de la cabine d’essayage prend un malin plaisir à m’adresser une image détestable : j’ai pris du poids, quoi que je fasse les chairs s’affaissent ici, se plissent là, s’amollissent ailleurs.

Au moins ne m’étalé-je pas en sortant de l’endroit comme lorsque, pris par une image de C***, je l’avais fait — je serais incapable désormais de dater exactement quand.

 

Ni Duncan, ni Etienne — je dois m’y faire — n’ont répondu à mes messages.

 

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