890 - A l'anversoise (4)
DANS ANVERS, DANSE ANVERSOISE
(AnverS, AverS et Endroits)
[titre provisoire ?]
WORK in PROGRESS
Journal extime
(Bruxelles - Anvers - Gand - Bruges : 13 août - 25 août 2018)
4
15 août
Une journée absolument perdue. Je me réveille en pleine nuit, sans doute en raison d’un de ces bruits qui accompagnent la réception d’un message, pour constater, de fait, que j’ai reçu un message de mon hôte anversois qui annule avec une légèreté tout impudente (malgré la formule de politesse finale, passe-partout) la réservation de son logement pour le jour même :
Hey man, écrit-il, im sorry to tell you this bit I have to cancel the reservation. My place cannot be rented anymore because of family issues. I will cancel the reservation so you can find something else. Best regards.
Me voici donc en train de chercher assistance, sans résultat probant évidemment, en pleine nuit.
Je trouve tout de même un numéro téléphonique en France où appeler. Décidant qu’il est inutile d’entreprendre quoi que ce soit avant qu’il fasse jour — ainsi qu’on dit bien opportunément parfois —, je finis par me rendormir.
Je me réveille cependant tôt et passe la matinée à tâcher de débrouiller la situation, à me faire rembourser et, surtout, à trouver un autre logement. La tablette, à laquelle je ne suis pas encore tout à fait rompu, s’en mêle et je multiplie les fausses manœuvres, tandis qu’elle rectifie les messages en anglais par des mots français proches, et je dois m’y reprendre presque à chaque terme. L’énervement joue contre moi, en outre. Et le clavier Bluetooth s’avère impossible à connecter.
Heureusement, je tombe vers neuf heures en ce jour férié sur une interlocutrice en France, qui s’empare de mon dossier, en m’assurant, après avoir vérifié ma messagerie (j’ai envoyé un message comminatoire pour que mon ex-logeur annule bel et bien la réservation, ce qu’il n’a — évidemment — pas fait), que je serai remboursé : à moi, me dit-elle, de trouver un lieu qui me convienne. Après maint essai raté, tentative malheureuse, méprise avec divers interlocuteurs, je finis vers midi trente par finaliser une réservation, non plus pour un logement au centre d’Anvers, mais pour une chambre chez l’habitant plus ou moins excentrée… Encore mon nouveau logeur me fait-il la chambre au prix du logement primitivement réservé, ce dont je lui sais naturellement gré.
(La veille déjà, après avoir dîné en chambre, j’y songe, j’avais déjà passé un temps infini à tenter de transférer les photos prises avec le téléphone mobile sur la tablette en pestant contre cet excursus numérique imbécile et chronophage, sans m’attendre — évidemment — devoir passer toute une demi-journée devant la tablette le lendemain.)
Il est désormais trop tard pour espérer avoir le temps de voir l’exposition à la villa Empain sur la mélancolie, que j’avais projeté de voir avant mon départ.
Je déjeune d’un sandwich acheté dans une boulangerie proche, ouverte malgré ce jour marial. Contre toute attente, le sandwich est bon, le pain tout particulièrement. Entre-temps — entre tel et tel message —, j’avais tout arrangé pour pouvoir rapidement plier bagage et j’improvise un pique-nique sur le bureau. Il est un peu plus de quatorze heures quand je décide d’avancer mon départ : que pourrais-je faire à Bruxelles avant le milieu ou la fin de l’après-midi ?
Faut-il croire à un pressentiment ? A la Gare du Midi, on claironne une autre mauvaise nouvelle. Un train a heurté une personne (bel euphémisme !) entre Bruxelles et Anvers : le trafic est interrompu entre les deux villes.
Je vais en quête de plus amples informations. Une jeune femme me grille la politesse — c’est la journée des goujats — avec un aplomb et une mauvaise foi, contre l’évidence et en dépit du guichetier. Je fais une remarque aigre ensuite et elle m’agresse incontinent : « Ne me parle pas comme ça, je ne suis pas ton pote », entre autres fleurs de rhétorique ! Le ton monte aussi chez moi : je lui réponds que, de fait, je ne voudrais pas être son « pote », et, tout en ne me départant pas du voussoiement, lui rétorque de « virer ».
Le guichetier — un jeune stagiaire qui occupe un emploi vacances (je ne sais plus s’il me l’a dit, ou si c’est moi qui l’ai déduit, ou si c’est indiqué sur un panonceau, mais il est charmant de toute façon, blond et de carnation délicate, ce qui contribue à faire fondre ma colère) — me donne une alternative pour rallier malgré tout Anvers — et arriver peut-être avant dix-sept heures, heure à laquelle mon logeur de substitution m’a dit qu’il partirait, tout en m’expliquant comment il ferait pour mettre une clé des lieux à ma disposition.
Le trajet, qui devait durer initialement cinquante minutes, du fait d’un détour par Gand, prendra finalement deux heures…
J’attends donc une correspondance à la gare de Gand, en attendant d’y débarquer vraiment. Le parc à bicyclettes, immense, que je photographie signale un pays plat (Mijn platte land mijn Vlaanderland, chantait Brel dans Marieke). Je n’ai vu que peu de vélos, en vérité, à Bruxelles…
Tous les passagers de l’omnibus que je prends ensuite sont occupés avec leur(s) pouce(s) à tapoter sur leur portable. Pour ne pas être en reste, j’écoute sur le mien le huitième quatuor à cordes de Chostakovitch. Et j’écris sur mon carnet, tout en étant fortement secoué par ce wagon, véritable panier à salade…
Fin d’après-midi
Il est plus de dix-sept heures lorsque j’arrive à bon port.
Je me trouve désemparé, à la gare : comment faire, non pour rallier la banlieue où je vais loger — je sais comment m’y prendre après consultation sur Internet —, mais pour me faire délivrer un billet de tramway et m’y rendre ? Je finis par trouver un distributeur automatique dont la page d’accueil est en français… puis, ce seuil franchi, en flamand. Il n’accepte que l’argent liquide, cependant. Par extraordinaire, je dispose des seuls billets de cinq et dix euros qu’il accepte, et il me rend même diligemment ma monnaie en régurgitant trois euros.
La ligne de tramway, elle, est moins évidente encore à trouver. Je marche assez longuement, d’abord dans un parking souterrain, puis dans de très longs couloirs.
J’arrive enfin chez S***, presque au bout d’une fort longue avenue où se construisent encore des immeubles.
L’appareil censé délivrer la clé que S*** devait mettre à ma disposition au-dessus de sa propre boîte aux lettres manque à l’évidence. Et personne ne répond à mes coups de sonnette, comme un aimable rappel de mon arrivée l’avant-veille à Bruxelles.
Des voisins surviennent à qui je demande s’ils connaissent S***. Ils sonnent à leur tour — et, cette fois, quelqu’un répond. Je me signale donc pour que l'on m'ouvre.
S*** est très avenant. Il écoutait de la musique au casque et n’avait pas entendu mes premiers coups de sonnette.
Je le remercie de m’avoir loué une chambre de façon si impromptue.
Il est assez prolixe et parle correctement français. Il m’en donne l’explication : son amie est française. Il devait d’ailleurs la rejoindre à Bruxelles et est encore là parce que retardé par l’accident qui a interrompu la liaison ferroviaire entre Anvers et la capitale.
Il me montre les lieux, qui s’éclairent automatiquement. Il a travaillé chez Philips, commente-t-il. Il me propose même de m’adresser à Siri sur sa tablette pour obtenir de la musique (j’avais déjà repéré quelques « objets connectés » de chez Apple), et j’élude bien évidemment (je constaterai, dans les jours à venir, que l’électricité ne fonctionne pas, quelque agitation qu’on y mette devant les capteurs, aux heures de la journée où je reviens déjeuner, une programmation horaire ne l’autorisant sans doute pas).
Il m’explique que mon autre colocataire, John, a loué une chambre pour deux mois. Selon lui, John est très sympathique.
Il m’amuse lorsqu’il me donne quelques indications topographiques pour me rendre d’un point à un autre, plus encore lorsqu’il me déconseille les abords de lieux en friche — qu’il me désigne par la baie vitrée de l’appartement — où des hommes très très étranges s’exhibent nus !
Il s’en va bientôt, non sans me proposer d’achever la bouteille de pinot noir qu’il avait entamée, dont je boirai les deux tiers restants au cours de mon séjour.
John survient, à qui je fais la causette. In English. Il me demande d’où je viens. Il ne comprend pas tout de suite, et je dois lui montrer un point sur une carte du guide. Il prononce alors Brussels en anglais, ce qui naturellement sonne tout autrement ! Comme je lui demande s’il dîne là le soir, il me répond qu’il est allé en Hollande durant la journée (qui était fériée, ajoute-t-il, ce que je sais parfaitement). How misunderstanding !
Il est là pour deux mois pour raisons professionnelles, ce qui confirme les dires mêmes de S***.
Soir
Débarqué Groenplaats, je découvre la cathédrale… et Rubens… pollués de diverses façons.
Un drapeau pavoise assez curieusement — pour moi ! — le Hilton local. On a les fiertés anversoises qu’on peut…
Je trouve finalement le restaurant indiqué par le guide. Le « wok thaï aux scampis excellent » s’avère une réinterprétation libre d’une cuisine “fusion” qui, après tout, a peut-être même atteint les provinces reculées de la Thaïlande — mais je trouve cela beaucoup trop sucré, même si je concède à cette “cuisine” un pavage pimenté qui, lui, m’agresse voluptueusement les papilles.
Je subis les contrecoups de la fatigue. Cependant, oubliant toute contrariété, en sortant du restaurant, me voici chantonnant, sur l’air du « tube » de Gainsbourg, Sea sex and sun, « Sea, fish and chips »
— et, façon d’éloigner ou conjurer les mésaventures de la journée, je fais tout de même une incursion dans le quartier historique.
Je reste un instant effaré par cette façade que ravage en pleine gueule la sortie d’un parking souterrain et qui vomit des automobiles quand s’en lève le portail.
Le tramway que je prends au retour est bondé. Parmi les passagers, beaucoup de gens âgés, étonnamment bon enfant. (A mon arrivée, l’après-midi, alors que je la lui avais demandé, une femme m’avait entouré les épaules et, sans me lâcher, m’avait entraîné jusqu’à la bonne entrée de l’immeuble où S*** habite.)
La pyrotechnie du lieu où je rentre est renversante et déclenche le geste photographique...
* * *
J’ai beaucoup écrit, ce jour. Mon carnet pragois va y perdre ses dernières plumes — alors que la mienne a caqueté en diable !
(Je réussis enfin à connecter le clavier sans fil et entends bien l’employer désormais !)