908 - A l'anversoise (15)
DANS ANVERS, DANSE ANVERSOISE
(AnverS, AverS et Endroits)
[titre provisoire ?]
WORK in PROGRESS
Journal extime
(Bruxelles - Anvers - Gand - Bruges - Paris
13 août - 25 août 2018)
15
24 août [suite], après-midi, Paris
Je me presse mais arrive avec une avance confortable sur l’horaire que j’avais auparavant projeté dans l’appartement de F. et Pascal.
Apparemment — et je m’en étonne — personne entre-temps n’est venu : tous les objets sont à une même place, un nolite me tangere des choses muettes me faisant comme un roi des lieux et de l’absence, me trouvant, par rêverie, comme chez moi.
Je défais mes affaires et me hâte et arrive bientôt, en avance, devant le musée Gustave Moreau — où j’ai rendez-vous avec Aymeric.
Nous parcourons longuement la maison, peut-être plus rapidement que ne l’aurait voulu Aymeric lui-même (je tâche de ne pas imprimer mon rythme, mais ce doit être la quatrième fois que je viens, ce qui n’empêche pas ma mémoire d’avoir confondu tiroirs et volets dans les meubles de l’atelier que l’on peut consulter librement pour découvrir toutes sortes de dessins).
Dans l’appartement de l’artiste, je désigne une place vacante à Aymeric, celle où aurait dû figurer une tête de Madone peinte par Moreau sous les traits de sa propre mère (!). Nous la retrouverons finalement à l’étage supérieur parmi d’autres œuvres qui composent l’exposition autour d’une ébauche de Pietà acquise par le musée. Figure aussi une gravure réalisée à partir de la Pietà de Delacroix à Saint-Denys-du-Saint-Sacrement (par un artiste dont j’ai oublié le nom) que je montre à Aymeric, puisque nous l’avions vue ensemble au mois de juillet. (J’ai plaisir à ce melting-pot de souvenirs de pas conjugués.)
J’oublie, pour mes prises de vue, de noter les références des œuvres (il n’y a pas de cartels, en effet, seulement des étiquetages sur les tableaux mêmes, tandis que de grandes feuilles plastifiées en différentes langues restent à disposition des visiteurs dans chaque pièce). Aussi, rentré chez moi, noterai-je quelques indications pêle-mêle (mais incertain de l’exactitude des titres) :
G. Moreau, les Prétendants [d’après — naturellement — l’Odyssée]
G. Moreau, Triomphe d’Alexandre le Grand (?)
G. Moreau, les différents Âges de la vie de l’homme (?)
Puis notre fin d’après-midi suit le rituel à quoi nous sacrifions, tant par habitude que par plaisir.
Nous prenons, non loin du musée, un premier verre — un chocolat chaud pour Aymeric, qui se plaint d’avoir attrapé froid dans un wagon, climatisé à l’excès, du TGV pris lors de son retour d’Autriche et d’Allemagne entre Stuttgart et Paris. Il a mal aussi au dos, plus encore que début août.
Je raconte ma chute dans les escaliers d’Orsay (en me reprochant d’exagérer mon mal, car je sais autrement pénibles les maux de dos).
Je retrace ensuite mes expériences avec les logeurs d’Anvers, occasion pour lui de décrire les siennes durant son séjour en Autriche et en Allemagne. Il me dit faire la vaisselle systématiquement lorsqu’il investit de nouveaux lieux. La première fois, son compagnon s’en était effaré : il assiste impavide désormais à ce lavage de couverts.
Nous parlons — et parlerons beaucoup — des engins électroniques qui peuplent indiscrètement nos existences. Aymeric vante la discrétion d’Apple contre les systèmes d’exploitation des concurrents, Android que développe Google — et relaie une théorie de vampirisation de données par le constructeur chinois de mon téléphone, dont il admet les performances pour un coût moindre. P***, avec qui il était en vacances, s’intéressait beaucoup, me dit-il, au nombre de pas qu’ils effectuaient au long de la journée, le mouchard électronique jouant à l’aimable podomètre.
Si elle m’agace passablement aussi, pour de mêmes et d’autres raisons, la petite machine aura cependant plutôt réussi ses clichés au zoom de la lunette supérieure du polyptique de Moreau qui figure les « différents âges de la vie de l’homme »…
Chez F. et Pascal, la conversation reprend sur les engins numériques — et les vacances que nous venons de passer.
Il m’avait dit auparavant avoir eu du mal à se faire à Münich — disproportionnée et ôtant à l’esprit les repères orthogonaux qui font qu’on embrasse autant que possible la forme d’une ville (ce qu’Aymeric évoque alors me fait songer à Milan). Puis les lieux l’ont apprivoisé.
Il s’est amusé d’une concentration de touristes dans de toujours mêmes endroits.
Il faisait très chaud à Vienne, ce qui me rappelle mon dernier séjour. Naturistes et baigneurs se laissaient dériver par le courant dans le Danube, en quête de fraîcheur. Au moins n’y avait-il que peu de monde dans les musées.
Durant le dîner, il raconte sa seconde visite au Belvédère, plus populeuse, où il était interdit de photographier, ce que personne ne respectait : et chacun de se selfier (ou selfiser, le pronominal étant dans les deux cas une redondance aussi comique que le dérivé qu’a forgé — en l’espèce — le — mauvais ! — usage, ces formes verbales n’existant pour le moment qu’au présent — bien sûr ! — des modes indicatif, subjonctif et — plus naturellement encore ! — impératif, si j’en crois mes recherches) devant le Baiser de Klimt.
Nous parlons aussi de diverses actualités. Comme à chaque fois que je voyage, je suis quelque peu hors du coup ; mais j’ai entendu parler du harcèlement d’un jeune garçon, acteur (et musicien de rock, depuis), par l’actrice Asia Argento. Aymeric m’accuse — et il a raison — de préjuger imbécilement qu’une femme ne saurait violenter un jeune homme. Mon scepticisme, en vérité, tenait surtout à ce que j’avais supposé possible que le protagoniste se fît ainsi à bon compte une publicité bienvenue…
Aymeric met en doute aussi ma façon de m’informer en écoutant France Culture. Je lui concède à nouveau, sans le dire, qu’il doit avoir également raison…
Nous sortons ensuite avec l’idée de prendre un second verre. Nous entrons et sortons dans des bars bruyants et surpeuplés. Après diverses tentatives infructueuses, nous nous installons dans un bar-restaurant (selon le calicot de l’auvent ou son enseigne) où sont servies aussi cuisine thaï et cambodgienne .
Ignorant sans doute des quantités à verser au client, le jeune serveur entame une bouteille de cognac dont il nous sert une rasade impressionnante dans un verre à whisky.
Aymeric me raconte alors combien sa mère sombre dans des conduites de plus en plus paranoïdes.
Il me dit avoir récemment fait un dépistage de maladies vénériennes — VIH et hépatite —, tant pour son souci propre que celui de ses partenaires — me livrant incidemment son besoin de pas de côté dans sa liaison avec P***. Mon cerveau embrumé n’accuse pas tout de suite réception de cette confidence à laquelle il n’était pas exactement préparé, la surprise occasionnée ne se faisant jour que bien plus tard — ayant supposé idiotement (et je ne sais pourquoi) à Aymeric des conduites plus “sages”, à l'image peut-être des miennes tous ces derniers temps… ou de mon cerveau ramolli (!) du moment.
Aymeric — je crois rétrospectivement que c’est lui, l’orthographe de ma “fusée” en étant ambiguë —, quoi qu'il en soit, « lance le signal de départ ». Ma pensée, cependant, — on l'aura compris — s’engourdissait sous les effets du cognac si généreusement servi...
Je pourrais reconduire à ce propos la même formulation par quoi s’achevait l’entrée de mon journal la fois précédente : « Il est 23 heures quand nous nous quittons près de Parmentier. »
* * *
Rentré chez F. et Pascal, je vois que Judith a répondu à mon message, mais pas Pascal. Je les suppose en vacances, F. et lui.
(Je ne saurai que bien plus tard que, peu rompu aux lances de mon téléphone mobile, le message que je leur avais adressé avait échoué à trouver sa cible.)