914 - Ricaduta italiana (III)

Publié le par 1rΩm1

 

 

RÉCIDIVE ITALIENNE

 

Journal extime, automne 2018

 

(Paris, Venise - Ferrare - Bologne, Paris)

 

III

 

 

21 octobre [suite]

 

Après-midi

J’ai rendez-vous avec Judith au Luxembourg — c’est elle qui a proposé le lieu. Or, je m’installe près du bassin dos au Sénat face au soleil, ce qui me rappelle un autre rendez-vous avec N*** lorsque je l’avais attendu au même endroit dans une même profusion de soleil.

 

© Internet

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Elle arrive bientôt, seule. N. et Laure sont à Opéra-Bastille pour entendre la Traviata.

 

Elle raconte être allée visiter avec Laure un immeuble de quatre appartements à Orléans, dont elle a négocié le prix ; elle doit signer le compromis de vente au retour de ses vacances. Elle me parle aussi longuement  d’un studio de 18 m2 au Bourget, qui pourrait être une affaire extraordinaire. La voisine a loué à des locataires indélicats : l’endroit est envahi par les cafards, peut-être aussi par des punaises. Le studio nécessiterait d’être assaini et rafraîchi, mais elle espère persuader la voisine de le vendre pour 55 000 euros — et entend me persuader tout aussi bien de l’acheter, ce qui, dit-il, serait un investissement fort lucratif puisque le loyer pourrait en être de 500 euros : elle se proposerait alors de gérer à la fois les travaux (elle me dit avoir désormais un carnet d’artisans fiables) et la recherche de locataires. Elle m’abreuve de chiffres et de projections mirifiques : ainsi Orléans pourrait être relié à Paris par train sur coussin d’air en treize minutes. Je n’ose exprimer de doutes, mais je tâche de lui faire entendre raison : je ne veux pas acheter d’appartement, même si (ou pensais-je à part moi : surtout si, des différends pouvant rapidement se faire jour entre elle et moi dans l’incapacité que je serais de gérer les choses sur place) elle s’occupait de toute l’intendance y afférent.

Nous devisons en marchant et effectuons un très grand tour de quartier, dans le vacarme des voitures.

Judith me désigne le Val de Grâce récemment restauré, bellement doré dans la lumière du soleil déclinant.

Elle s’achète, gourmande, un chausson aux pommes dans une boulangerie dont les gâteaux ont belle allure.

Elle revient un peu à la charge concernant le studio, avouant enfin ses pensées de l’arrière : elle ne veut pas qu’un inconnu achète le studio dans cet immeuble où elle possède elle-même un appartement ; je serais un interlocuteur fiable, qui ferait mieux que la voisine et ne laisserait pas les lieux partir à vau-l’eau. Je comprends mieux alors son insistance, mais ne cède pas pour autant.

 

Nous nous installons au soleil sur la terrasse d’un café, toujours dans le bruit de la circulation automobile.

L’ami qui doit occuper le studio de N., me dit-elle, débarquera finalement après mon départ (c’est pour lui céder la place que j’avais demandé à Patrice si je pouvais venir chez lui)  — et sera parti avant mon retour.

Lucien a découché et n’a pas refait surface depuis la veille. Elle se montre inquiète, au-delà du raisonnable, pensé-je un instant, en envoyant au bambocheur un, puis deux SMS. Je raconte comment, alors que j’étais adolescent, dans une situation semblable, j’avais fraîchement, impitoyablement rétorqué à ma mère — je rentrais de chez des amis (Didier et Lise), elle s’était relevée au milieu de la nuit et m’accueillait en haut de l’escalier ; je l’avais pourtant prévenue mais elle avait dû oublier que je ne rentrais pas ce soir-là — ; à ma mère qui me disait s’être fait un sang d’encre, j’avais rétorqué que si elle n’avait rien d’autre à faire, c’était un peu triste tout de même (ou quelque chose de cette eau pleine de morgue, même si, à plus de quarante ans de distance, je n’éprouve pas vraiment de remords de ma saillie).

J’aurais toutefois évidemment aujourd’hui plus de commisération envers cette femme inquiète au haut de l’escalier,  et j’enchaîne en parlant un peu de l’inexorable déclin de son état — une dégringolade à vrai dire, puisqu’elle n’est plus guère qu’un pantin qui s’assoit, dit quelques mots comme autant d’automatismes, mange, sans toujours bien savoir s’il faut se servir d’un couteau ou d’une fourchette, et est désormais incontinente.

 

L’après-midi a passé. Nous nous dirigeons ensemble vers un même arrêt de bus. Plutôt que Lucien, je me dis que c’est Laure que je contacterai à mon retour, sans doute plus disponible et plus disposée à m’attendre si j’étais jamais en retard à mon retour d’Italie.

 

Soir

 

Patrice est absent lorsque j’arrive.

Il est toutefois bientôt là — il était allé prendre une bière dans le café tout proche où il a ses habitudes — et il nous mitonne une salade dont il dispose esthétiquement les ingrédients qui se donnera, aussi belle que bonne, à nos coups de fourchette.

Je feuillette le catalogue Miró qu’il a acheté le matin au sortir de l’exposition : non content d’être exhaustif, c’est un bel objet avec des tranches colorées bleu, rouge, jaune [?].

J’y recueillerai le lendemain — ce qui fait absolument sens pour leur première appréhension et que rendent rarement les photographies — les informations sur le format des toiles.

 

 

 

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