913 - Journal d'un conscrit (34) [in memoriam J.-M.]
19 juillet [1984]
Les notions de « protection », de « surveillance », de « sécurité » ne sont pas intrinsèques à la création d’une armée. Je crois que ce sont là des greffes artificielles [biffé : qu’] dont un idéal démocratique bancal voudrait nous faire croire qu’elles constituent l’essence même de ce qui n’a jamais été que le bras du pouvoir, sa poigne, son terrible laminoir. Aussi les mettre en avant est-il pernicieux. Celui qui croit un tant soit peu à ces impostures (quand bien même elles seraient — ponctuellement — « vraies ») méconnaît totalement le danger d’une volte-face de cette main qui aspire bien plus à la gifle, à la griffe, au déchirement qu’aux gestes du recouvrement et de la protection. Les pires des idées [biffé : à laquelle] auxquelles l’on voudrait nous faire croire, les plus éhontées, [biffé : est] sont ces concepts miraculeux (parce qu’elles mettent le militaire du côté du Bien) de « défense passive » et de « défense armée ». L’on sait bien que les armées ne sont pas toujours “en guerre” (encore que…), mais l’on nous abuse par des mots : « assurer la paix », dans cet ordre d’idées, ne serait qu’une création verbale, linguistique, tout à fait aberrante. Car, en fait, une armée demeure toujours faite pour faire la guerre, asseoir une domination, répandre sa puissance et “semer” la mort (la mort ayant ceci de particulier d’ailleurs qu’elle ne “germe” jamais…). Que protège [ajout — dans une encre différente : (par exemple)] la sentinelle, en fait ? les armes du pouvoir, toujours. Et [biffé : la notion de veiller] que l’on veille sur elles du fait du “terrorisme”, par exemple, n’est guère qu’accidentel — pour dissimuler cette profonde réalité-là. Et, s’il ne s’agissait pas de violence encore, l’on dirait que le terrorisme a “bon dos”, finalement. Je crois si peu à ces idées de « surveillance », de « sécurité », etc., — pas plus qu’il n’est possible, sinon par mysticisme, de croire à une « inversion bénigne » — que les entendre me fait horreur, violemment. Les respirer, même [ajout : de] très loin, provoque des nausées — et, quant à les voir ou les toucher, je ne tiens pas pour possible que des concepts puissent ainsi se matérialiser…
— Qu’en penses-tu ?