917 - Ricaduta italiana (VI)
RÉCIDIVE ITALIENNE
Journal extime, automne 2018
(Paris, Venise - Ferrare - Bologne, Paris)
VI
24 octobre
Matin
J'attrape un bus vers 8 heures 40 et me trouve avant 10 heures Place Saint Marc. Entre-temps, j’ai pris un vaporetto — et quelques photos sur le trajet. (J’apprendrai bien plus tard qu’un collaborateur des Frères Lumière ayant eu l’idée de filmer les façades des palais le long du Grand Canal s’était effaré du résultat, en se demandant comment il serait reçu de futurs spectateurs qui se demanderaient si ce n’étaient pas les maisons qui filaient plutôt que le bateau : il venait d’inventer le traveling sans savoir combien le procédé ferait fortune ensuite — et combien nous nous y habituerions, au point de ne nous plus poser de questions, ni à ce sujet ni sur bien d'autres images que nous recevons tout passivement…).
J’ai l’envie chevillée au corps revoir le Palais des Doges, où je me rends dès la première heure. L’entrée en est chère, au prétexte d’un billet groupé, impossible étant de visiter le palais seul…
En outre, comme je le saurai bientôt jusqu’à plus faim ni soif, on commémore le cinq-centième anniversaire de la naissance du Tintoret
et je m’acquitte du droit d’entrée supplémentaire de deux euros pour voir l’exposition qui lui est consacrée.
Il est interdit de photographier les œuvres. J’y contreviendrai au début de mon parcours, sans le savoir (je me ferai rabrouer alors par une des gardiennes !), puis, dans les salles où je suis seul, en toute connaissance, sans scrupule — puisque je ne recours évidemment pas au flash. Outre l’autoportrait du peintre, je retrouve cette toile vue auparavant, en mai, au Musée du Luxembourg, parcouru avec N***, Esther devant Assuérus, dont j’avais raté la prise.
“Esther before Ahasuerus”, c. 1555. From a series of seven paintings with Biblical themes. Oil on canvas, 59 × 203cm. Madrid, Museo del Prado © Internet
Je revois également le Portrait de Giovanni Paolo Cornaro, vu cet été à Gand au Musée des Beaux-Arts.
Le mariage d'Ariane et Bacchus, décroché de la salle de l’Anticollège ne gagne pas nécessairement, lui, à être vu de très près : sans doute ne devait-il pas être conçu pour cela.
Ariane, Vénus et Bacchus, 1576, Huile sur toile, 146 x 167 cm, Venise, Palazzo Ducale, Sala dell'Anticollegio © Internet
Je note, cependant, les titres des œuvres qui m'impressionnent, en me promettant de les chercher sur la toile ensuite (et m'amuserai de la différence entre les titres et dates notés scrupuleusement sur mon carnet et ceux indiqués sur les sites).
Je m’abîmerai longtemps, en particulier, dans la contemplation de cette toile, dans laquelle la violence — outre les masses curvilignes et les couleurs affrontées qui en dessinent la carte, outre le mannequin et le coussin qui chutent — est spécialement rendue par le collier arraché à la proie, dont s’égrènent les perles comme autant de magnifiques larmes de lumière.
Mon parcours pour le reste du Palais s’accomplit presque à l’identique de l’année précédente, à ceci près que j’accélère ou ralentis le pas en fonction de ce que je sais pouvoir trouver à ma vue. Ce faisant, tablette ou téléphone, j’améliore grandement la qualité de mes clichés.
Le Tintoret, Noces mystiques de sainte Catherine et le doge Francesco Donato en adoration (1581-1584), Huile sur toile
Jacopo Robusti detto il Tintoretto et Domenico Robusti detto Tintoretto, le Paradis (1588-1594), salle du Grand Conseil, 7 x 22 m
Le Tintoret, Le Doge Nicoló da Ponte reçoit de Venise une couronne de lauriers (1584), Huile sur toile, Sala del Maggior Consiglio
Parcourant ensuite les Procuraties, Place Saint-Marc, je m’avise que l’on a, sauf au milieu où les gens processionnent, les pieds dans l’eau. Je m’interroge : le sol vénitien s’est-il affaissé sur ses pilotis, ou est-ce l’effet de grandes marées ?
Après-midi
Après un déjeuner sommaire dans un bar-trattoria, billet groupé oblige, je parcours à nouveau le musée Correre. Je poursuis mes rénovations photographiques, heureux de retrouver telle ou telle œuvre, comme cette sculpture de Canova dont j'avais raté la prise.
Dioniso e satiro, copia romana di un originale di scuola classicheggiante forse ateniese datibile alla seconda méta de II sec. A.C., proveniente da Atene, Legato Giovanni Grimani 1587
Dans un espace dédié à diverses réécritures d'œuvres célèbres et anciennes — dans une confrontation que cultivent de plus en plus souvent les musées, comme s'il fallait à tout prix établir des correspondances entre l'ancien et le moderne, et comme si tenir ces deux bouts éclairait magiquement les unes et les autres (alors qu'on est plus souvent navré du raccourci produit) —, je croise cet étrange castrat prétendument inspiré d’une toile du Caravage et m'interroge : s’agirait-il du joueur de luth vu l’avant-veille ? ou du jeune homme à la corbeille de fruits dont on a longtemps pensé qu’il s’agissait d’une jeune fille ?
Et – l’image y oblige — je me console et me repose les yeux, malgré le sujet, avec cette Pièta d’Antonello de Messine, immensément douce.
Pièta avec trois anges d'Antonello de Messine
* * *
Je vais ensuite de canaux en canaux, de palais en palais,
d’église en église.
D’abord Santa Maria Formosa,
Jacopo Palma il Vecchio (1480 ca.-1528), Christo morto sostenuto da Maria, San Giovanni Battista, San Vincenze Ferreri, San Sebastiano, Santa Barbara, Sant’Antonio (1523 ca.)
puis Santa Maria dei Miracoli.
Pier Maria Penacchi (1454-1514), Vincenzo da Treviso (avant 1488-après 1524), Domenico Caprioli (avant 1488-après 1524), Plafond à caissons
J’emprunte le Pont du Rialto pour traverser le Grand Canal et visiter San Giacomo di Rialto (où je ne prends pas de photographies), puis San Paolo,
San Paolo, Oratoire du crucifix : Giandomenico Tiepolo (1727-1804), Chemin de croix (1747-1749) : Gesù aiuttato dalla Veronica
Santa Maria Gloriosa dei Frari,
Giovanni Bellini (1430 ca.-1516), Madonna con il Bambino ed i Santi Nicola di Bari, Pietro, Marco e Benedetto. Tavola cm 184 x 79 (parte centrale), 115 x 46 (parti laterali)
— enfin, San Giacomo dell’Orio.
Paolo Caliai detto Veronese (1528-1588), San Lorenzo, san Girolamo e san Prospero (1581 ca.)
Giavonni Bonconsiglio, S. Sebastiano S. Rocco e S. Lorenzo (1498), Chiesa di San Giacomo Dall'orio [carte postale achetée sur place]
* * *
J’aurai fait tout cela sans trop me perdre, sauf pour la dernière église. Le GPS activé, j’apprends que j’en suis à 90 mètres. Pour finir, je suis près du Pont des Déchaussés, tout proche de la gare, tant et si bien que je n’aurai pris qu’une seule fois le vaporetto dans la journée.