920 - Ricaduta italiana (VIII)
RÉCIDIVE ITALIENNE
Journal extime, automne 2018
(Paris, Venise - Ferrare - Bologne, Paris)
VIII
26 octobre
Matin
Je suis éveillé bien avant que sonne l’alarme programmée sur le téléphone.
Je manque de quelques secondes le bus. Le suivant se fait attendre. L’intérieur en est bondé.
À la gare, la consigne joue les tarifs uniques au prétexte de la grève des transports régionaux : douze euros jusque vingt-trois heures. Je crois me rappeler une boutique à l’extérieur qui proposait de mêmes services. Elle ouvre, précisément, et je laisse ma valise au format « cabine » pour la journée après m’être acquitté de cinq euros.
J’enjambe, par le premier pont, le Grand Canal pour visiter San Rocco,
Pordenone, Saint Martin et saint Christophe (haut) ; G. Fumiani, Jésus chasse les marchands du Temple (bas).
traverse la place en diagonale ensuite pour la Scuolo Grande di San Rocco et me résigne, mais avec curiosité, à payer pour une inévitable exposition des œuvres de Tintoret, dont, depuis le rez-de-chaussée en passant l’escalier jusqu’à l’étage supérieur, du sol au plafond, sont tapissés les lieux.
La Crucifixion (Sala dell’Albergo)
Je vais ensuite jusque l’église de San Sebastiano.
Le maître omniprésent des lieux étant Véronèse, je me montre (frondeusement) ravi d’avoir avoir un peu la tête hors du Tintoret.
Soudainement, je prends conscience, en visitant la sacristie, que nous étions venus là, M.-C. et moi.
Je déjeune d’une salade. Entre le même père de famille et ses deux enfants que j’avais remarqués en déjeunant l’avant-veille dans la trattoria où je m’étais installé près de la Place Saint-Marc, lesquels ne marquent aucun signe de reconnaissance (ainsi va-t-il souvent de ces cellules familiales autocentrées qui déclenchaient la fureur de Gide en un célèbre anathème…).
Je renonce à l’Accademia, qui a presque doublé ses prix, profitant elle aussi de l’aubaine du cinq-centième anniversaire du petit teinturier devenu grand peintre.
La fondation Tedeschi, l’ancienne grande poste de Venise, est devenue un grand magasin où s’étalent toutes sortes de grandes marques aussi grandes qu’inutiles…
Une lueur, cependant, clignote dans mon esprit en notant que le bâtiment est doté d’une terrasse panoramique : ce doit être l’endroit dont m’a parlé le chœur des logeurs en m’en vantant la vue imprenable et en me conseillant de m’y rendre et de préalablement réserver le moment de mon passage. Je décide donc d’obéir en différé à cette injonction des logeurs.
J’attends une douzaine de minutes avant d’accéder à la terrasse, dont, de fait, on jouit d’un joli point de vue.
Je me rends ensuite à la Maison d’or (Ca’ d’Oro), un endroit auquel nous avions précédemment renoncé M.-C. et moi, du fait de travaux qui en interdisait partiellement l’accès. Si les œuvres ne sont pas toutes également enthousiasmantes, j’y effectue tout de même de belles prises.
Andrea Briosco detto il Riccio (1470-1532), Storie della Vera Croce : Sogno e battesimo di Constantino, bronzo
Je ne suis pas non plus insensible à l’érotisme de cette toile où Hercule — s’il s’agit de lui — est peint sous les espèces d’un adolescent, frêle et féminin, plutôt que sous les apparences d’un colosse brutal anéantissant monstres et plaies.
Je visite ensuite Sant’Alvise, où je retrouve des tableaux religieux peints par Tiepolo.
En fouillant dans mes poches à la sortie, je m’aperçois que j’ai perdu mon billet « Chorus » grâce auquel j’avais entrepris le tour d’un certain nombre d’églises, investies plus systématiquement que je ne l’aurais fait avec M.C., que la visite des édifices religieux lassait vite.
Je prolonge en conséquence ma pause dans un café jusque l’heure du train. Je renonce au ghetto juif, parcouru de toute façon l’année précédente.
Soirée, Ferrare
La gare, aux abords peu aimables, est assez loin du centre historique. Je pousse ou tire ma valise selon les trottoirs, non sans errer quelque temps avant de trouver la ruelle dont j’ai l’adresse. Quand je parviens enfin devant l’immeuble où je dois résider, mes coups de sonnette restent sans effet. J’envoie donc un message et presque aussitôt la mère de mon logeur se trouve devant moi : elle prenait l’apéritif dans un des bars animés alentour en attendant ma venue.
L’appartement avec ses deux pièces plutôt petites est tout de même agréable, les murs pavoisés d’affiches de cinéma et quelques livres agrémentant encore les lieux.
J’achète quelques victuailles dans un magasin vu lors de mes déambulations, puis me prépare un dîner médiocrement appétissant.