923 - Ricaduta italiana (XI)

Publié le par 1rΩm1

 

 

RÉCIDIVE ITALIENNE

 

Journal extime, automne 2018

 

(Paris, Venise - Ferrare - Bologne, Paris)

 

XI

 

 

29 octobre

Matin, Ferrare

 

Je mets de l’ordre dans l’appartement avant de m’en aller. Ce n’est pas la première fois que je les remarque en Italie et je trouve astucieux ces meubles au-dessus des éviers qui servent d’égouttoir à vaisselle.

Tout en m’affairant dans les différentes pièces, je m’attache à cerner la personnalité de mon logeur — dont je ne connais que la mère. Si j’en crois les affiches de cinéma (Pulp Fiction, Taxi Driver [l’affiche est en français], King Kong ; de Fellini : Intervista, la Dolce vita — au mur figure également une photo de la Strada — ; de Kubrick : 2001 et Orange mécanique), ce serait un cinéphile. En parcourant sa bibliothèque, j’y trouve des classiques de la littérature mondiale dans la bibliothèque, tous genres confondus : Eschyle, Pavese (plusieurs œuvres), Moravia, Pasolini (son théâtre et un recueil de poèmes), Edgar Allan Poe, Henry Miller, Kurt Vonnegut (Abattoir 5), Neruda — seuls Français (traduits en italien) : Guy Debord (la Société du spectacle), Rimbaud (Une saison en Enfer, Illuminations), René Girard (le Bouc émissaire), une bande dessinée adaptée d’Histoire d’O.

C’est aussi un amateur de vin : l'attestent le DVD de Mondovino, des bouteilles en haut des meubles de cuisine ou sur des étagères en attente d’être bues.

Il aime apparemment aussi se faire à manger : du thym et de l’origan poussent dans des pots ; j’ai découvert, à l’usage, une batterie de couteaux en céramique — mais seulement deux poêles et une unique grande casserole.

Des photographies “d’art” en noir et blanc, mais d’autres, beaucoup plus médiocres — peut-être des œuvres du propriétaire lui-même. Une affiche du musée Picasso de Malaga. J'aurais eu plaisir à rencontrer mon hôte.

 

Je vais jusqu’au couvent de San Antonio in Polesine, fermé la veille.

Une vieille religieuse se charge de la visite.

Il n’est évidemment pas permis de photographier les fresques, mais possible d’acheter des cartes postales à la sortie : j’en choisis cinq et je dois glisser cinq euros dans le tronc qu’on me désigne sans vouloir toucher à mon billet : j’avais oublié que « l’argent est le crottin du diable »...

 

Domenico Panetti, l'Annunciazione, inizio sec. XVI, Monastero S. Antonio in Polesine

Domenico Panetti, l'Annunciazione, inizio sec. XVI, Monastero S. Antonio in Polesine

La décapitation de Saint-Jean le Baptiste, Ecole de Giotto, XIVe siècle, Chapelle droite du chœur

La décapitation de Saint-Jean le Baptiste, Ecole de Giotto, XIVe siècle, Chapelle droite du chœur

Le baiser de Judas, Ecole de Giotto, XIVe siècle

Le baiser de Judas, Ecole de Giotto, XIVe siècle

Gesù in croce, la Madonna e S. Giovanni,  Scuola giottesco-emiliana, sec. XIVS

Gesù in croce, la Madonna e S. Giovanni, Scuola giottesco-emiliana, sec. XIVS

 

De l’autre côté de la ville, le cimetière juif paraît inaccessible.

En vérité, il faut sonner le gardien. Je m’abstiens, ne sachant quel discours produire pour me faire ouvrir — et ne voulant en aucun cas passer pour un touriste curieux ou voyeur, n’ayant pas de parent à visiter.

 

923 - Ricaduta italiana (XI)

J’y croise aussi les traces de Giorgio Bassani.

 

923 - Ricaduta italiana (XI)
923 - Ricaduta italiana (XI)

 

Quand je retourne à l’appartement, une femme de ménage est à pied d’œuvre. Je n’ai plus qu’à prendre ma valise et m’en aller... Il est un peu tôt pour le train de 14 heures... Je déjeune près du château, avant de me rendre à la gare, en suivant un autre itinéraire qu’à mon arrivée.

Comme je l’avais alors noté, les environs en sont plutôt sinistres. Entrant ici ou là, je m’attable dans un bar pourvu d’une terrasse attenant à la gare, tout de même plus agréable.

923 - Ricaduta italiana (XI)

Cependant, des adolescentes bruyantes nous abreuvent de "musique", crachée, qui plus est, d’un téléphone portable, et je me réfugie à l’intérieur.

Il se met à pleuvoir.

 

Dans le train qui m’emporte vers Bologne, je songe que Madame L., mon professeur de piano — je disais alors ainsi, une vieille habitude m’en est restée et je ne saurais dire : « ma professeure de piano », quelque effort que je veuille y mettre —, y était née, qu’elle avait reçu le premier prix de son conservatoire — et qu’elle évoquait toujours avec une certaine émotion la beauté de sa ville natale.

 

 

 

Fin d’après-midi, Bologne

 

C’est le père, cette fois, de mon logeur qui m’accueille après que je l’ai prévenu de mon arrivée. L’appartement est bien trop grand pour moi seul.

Je m’approvisionne dans un supermarché proche sous un ciel menaçant.

Alors que je m’apprête à visiter le centre de ma ville, j’essuie un déluge, en me réjouissant néanmoins que Bologne soit une ville pleine d’arcades sous lesquelles trouver refuge. Les voitures toutefois franchissent des flaques devenues lacs, inondant les bas de pantalon.

 

Je me fais à dîner puis rédige un courriel pour Aymeric, en l’agrémentant de quelques photographies :

 

Bonsoir Aymeric,

 

Voici déjà une pleine semaine écoulée depuis la journée que nous avons passée ensemble...

Je n’ai pas vu le temps fuir ainsi.

Les trois jours à Venise ont été denses, j’ai remis des pas dans les pas anciens mais ai fait aussi des pas de côté. Le Tintoret, dont on fête le cinq-centième anniversaire de la naissance, s’est souvent interjeté dans mes pieds (je lui murmurais... Titien... Véronèse... mais il ne voulait rien entendre !).

Depuis, j’ai séjourné à Ferrare (où j’ai susurré Garofalo, dans l’oubli volontaire — sinon l’ignorance — du teinturier, l’école de Ferrare étant à l’œuvre avant lui)  — et viens d’arriver à Bologne. S’il fait doux encore ici, un violent orage a éclaté dans l’après-midi jetant une nuit de seiche dans l’atmosphère qui a fait monter l’eau de pluie au-delà même des trottoirs en moins d’un quart d’heure. Le vent rabattait les embruns malgré les colonnes de l’arche où je m’étais réfugié et mes cheveux se sont trempés en quelques instants !

 

J’ai reçu tout à l’heure un message de Pascal, qui me dit que l’appartement est libre début janvier rue P***...

 

Je sais que tu as pris des photos intéressantes du Caravage, tu me les envoies, dis ? (Il y a en a au moins une que je t’ai laissé faire, en me disant que tu la réussirais mieux sans doute ^^...)

 

Aujourd’hui, je me suis amusé d’un Christ qui met le pied à l’étrier (à l’échelle) pour monter sur son crucifix. La religieuse, austère et vieille qui a dû désapprendre à sourire quelques décennies auparavant et qui faisait visiter les fresques giottesques du monastère nous a bien signalé que c’était originale, une représentation unique en son genre : elle avait dû lire Fernandez, ma parole (à moins que ce soit elle qui le lui ai dit !) ! :

 

« Couvent de S. Antonio in Polesine, remarquable par les fresques de l’église, giottesques. On voit le Christ montant de lui-même sur La Croix, par une échelle qu’il grimpe librement [...]. C’est la seule fois, dans toute l’histoire de la peinture, où l’on a représenté le supplice du Seigneur comme le résultat, non de la persécution, mais du libre arbitre. Pour le sénateur Roffi, le peintre aurait montré ainsi sa solidarité avec Juifs, en les absolvant du crime qui les faisait honnir. » (Dominique Fernandez, le Voyage d’Italie. Dictionnaire amoureux, p. 205)

 

Gesù sale alla Croce, Scuola giottesco-emiliana, sec. XIV

Gesù sale alla Croce, Scuola giottesco-emiliana, sec. XIV

Elle m’avait à l’œil, et je n’ai pu prendre de photo de cet exercice de “soumission volontaire” : je me suis rabattu sur une carte postale, les lieux étant éclairés d’une lumière bien chiche de toute façon...

 

Je visiterai Bologne dès demain, en espérant que la pluie aura cessé.

 

Reçois de très amicales pensées,

 

Romain

 

PS - le saint Sébastien pris à la Pinacoteca du Palazzo dei Diamanti est de Pisano.

 

 

 

 

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