928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

Publié le par 1rΩm1

 

Dimanche 16 décembre 2018

 

J’avais vu l’affiche dans les couloirs du métro parisien à mon retour de Belgique en août, et en avais trouvé le prétexte très stimulant.

 

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

J’aimais aussi l’ambiguïté de son titre. Je fais donc un détour en me rendant au Luxembourg pour voir l’exposition à Metz, Peindre la nuit.

 

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

Je dois néanmoins m’y résoudre : cette apostille au Nom de Belgique est un trompe-l’œil et sonne creux. Ma mémoire, confuse, me joue de plus en plus de tours…

Exposé sur fond noir et éclairé en conséquence, comme l'étaient toutes les œuvres sur un premier niveau, je croyais, en effet, ce tableau de la main d’un symboliste belge ; or, en revisitant ma galerie photographique — si l’époque et l’intention peuvent en partie correspondre —, le nom de l’artiste (Winslow Homer) m’a paru plutôt anglais : le peintre était, de fait, américain.

 

Winslow Homer, Nuit d’été, 1890, Huile sur toile, 0,767m x 1,02m, Paris, Musée d’Orsay

Winslow Homer, Nuit d’été, 1890, Huile sur toile, 0,767m x 1,02m, Paris, Musée d’Orsay

La raison de ma méprise est-elle cette encre de chine et aquarelle de Léon Spillaert, dans la même première salle [?], qui donc, étant un des (é)lancements fonciers et fondateurs, a fait que j’ai presque tout placé de ce premier endroit sous le signe d’un symbolisme belge — belgitude qui n’était (donc) que fantasmée ? L’œuvre, sous vitrine, se prêtait peu à la capture ; aussi n’en ai-je noté que les références, me promettant de la retrouver ensuite…

 

Léon Spilliaert, Digue et plage, Chalet Royal et galeries d’Ostende, 1908-1909 Encre de Chine et aquarelle sur papier, 64 x 48 cm Collection privée © Internet

Léon Spilliaert, Digue et plage, Chalet Royal et galeries d’Ostende, 1908-1909 Encre de Chine et aquarelle sur papier, 64 x 48 cm Collection privée © Internet

A sa recherche aujourd’hui [mai 2019], une anamnèse, toutefois, s’est produite, puisque, dans un format vertical et géant, a ressurgi, telle la cape qu’intempestivement un mouvement déploie, tout en claquant, une carte postale achetée de ce dessin au Musée de l’Orangerie [?]…

 

Léon Spillaert (1881-1946), Digue la nuit, reflets de lumière (détail), 1908. Fusain et pierre noire sur papier velin industriel couleur crème. H. 53,2 ; L. 37,6 cm. Paris, Musée d'Orsay.

Léon Spillaert (1881-1946), Digue la nuit, reflets de lumière (détail), 1908. Fusain et pierre noire sur papier velin industriel couleur crème. H. 53,2 ; L. 37,6 cm. Paris, Musée d'Orsay.

Quoi qu’il en soit, ce sont bien des souvenirs et superpositions au cours de mes déambulations qui ont dû déclencher le geste photographique — des pas dans les pas, encore et toujours, tels ceux lors de l’exposition Kupka, parcourue avec Aymeric, quand je capture ce nocturne d’avant le passage à l’abstraction

 

František Kupka, le Parc de Saint-Cloud, la nuit, 1906, Huile sur carton

František Kupka, le Parc de Saint-Cloud, la nuit, 1906, Huile sur carton

ou ce tableau dont je ne suis pas sûr qu’il était exposé alors, mais que j’ai pu voir un jour ou l’autre au Centre Pompidou à Paris…

 

František Kupka, Chute, [1910-1913], Huile sur toile, 74 x 84 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne

František Kupka, Chute, [1910-1913], Huile sur toile, 74 x 84 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne

— ou bien ceux à Metz même, en compagnie de Laure, N. et Judith, en 2015, en visitant l’exposition Leiris & co et qui, pour l’heure, signaient mes retrouvailles avec ce tableau de Bacon :

 

Francis Bacon (1909-1992), Female nude standing in doorway [Femme nue debout dans l'embrasure d'une porte], 1972. Huile sur toile, rehauts de pastel, avec cadre doré, 198 x 147,5 cm.
Francis Bacon (1909-1992), Female nude standing in doorway [Femme nue debout dans l'embrasure d'une porte], 1972. Huile sur toile, rehauts de pastel, avec cadre doré, 198 x 147,5 cm.

Francis Bacon (1909-1992), Female nude standing in doorway [Femme nue debout dans l'embrasure d'une porte], 1972. Huile sur toile, rehauts de pastel, avec cadre doré, 198 x 147,5 cm.

— Leiris, que je retrouve (encore et toujours) à travers aussi Raymond Roussel et son appropriation fabuleuse d’une étoile prosaïque élevée à la dignité d’une merveille dérisoire échouée sur des territoires qui ne l’attendaient pas, capturée, étiquetée, enchâssée, minuscule, et cadenassée, afin qu’elle ne s’échappe plus et que s’agrandisse le Rêve…

 

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)
928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

Et, si je ne l’ai vu à l’exposition les Impressionnistes à Londres au Petit Palais, toujours en compagnie d’Aymeric, c’est bien dans la capitale anglaise que Claude Monet a peint ce tableau.

 

Claude Monet, Leicester Square, la nuit, 1900-1901, Huile sur toile

Claude Monet, Leicester Square, la nuit, 1900-1901, Huile sur toile

Les tableaux ou dessins de Max Ernst et de Paul Klee, eux, m’évoquent, à Berlin, la collection Scharf-Gerstenberg

 

Paul Klee, Nuit de Walpurgis, 1936

Paul Klee, Nuit de Walpurgis, 1936

Max Ernst, Vision provoquée par l’aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927, Huile sur toile, collection particulière

Max Ernst, Vision provoquée par l’aspect nocturne de la porte Saint-Denis, 1927, Huile sur toile, collection particulière

Max Ernst, Dans le bassin de Paris, Loplop, le supérieur des oiseaux, apporte aux réverbères la nourriture nocturne, 1929. Collage original pour “La Femme 100 têtes” (chap. I, pl. 11). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Paris, Centre Pompidou, Musée d’art moderne.

Max Ernst, Dans le bassin de Paris, Loplop, le supérieur des oiseaux, apporte aux réverbères la nourriture nocturne, 1929. Collage original pour “La Femme 100 têtes” (chap. I, pl. 11). Gravures découpées et collées sur papier collé sur carton. Paris, Centre Pompidou, Musée d’art moderne.

— et je m’accuse donc une nouvelle fois de ne laisser aimanter mes pas de cuistre que vers de mêmes ou semblables déjà-vus …

 

 

Vassily Kandinsky, Ein Kreis (A) (Un Cercle (A)), janvier 1928. Huile sur toile, 35 x 25 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne.

Vassily Kandinsky, Ein Kreis (A) (Un Cercle (A)), janvier 1928. Huile sur toile, 35 x 25 cm, Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne.

Anonyme [culture sugpiaq, archipel de Kodiak, Alaska], Masque Unnuyayuk “Voyageur de la nuit”, XIXe siècle. Bois, pigments, tendon, fibres végétales. Musée de Boulogne-sur-Mer.
Anonyme [culture sugpiaq, archipel de Kodiak, Alaska], Masque Unnuyayuk “Voyageur de la nuit”, XIXe siècle. Bois, pigments, tendon, fibres végétales. Musée de Boulogne-sur-Mer.

Anonyme [culture sugpiaq, archipel de Kodiak, Alaska], Masque Unnuyayuk “Voyageur de la nuit”, XIXe siècle. Bois, pigments, tendon, fibres végétales. Musée de Boulogne-sur-Mer.

plutôt que de céder à des sollicitations inconnues, ce qui peut se produire mais, tout aussi bien, ramènerait à quelque nouvelle ressemblance, quelque autre réminiscence — encore et toujours.

 

Augusto Giacometti (1877-1947), Sternenhimmel (Milchstrasse) [Ciel étoilé (Voie lactée)], 1917, Huile sur toile, Coire (Suisse), Bündner Kunstmuseum

Augusto Giacometti (1877-1947), Sternenhimmel (Milchstrasse) [Ciel étoilé (Voie lactée)], 1917, Huile sur toile, Coire (Suisse), Bündner Kunstmuseum

Jean Fautrier (1898-1964), Nu noir, 1926, Huile sur toile

Jean Fautrier (1898-1964), Nu noir, 1926, Huile sur toile

Geneviève Asse (née Bodin, Fr 1923), Ouverture de la nuit, 1973, Huile sur toile, Rennes, Musée des Beaux-Arts

Geneviève Asse (née Bodin, Fr 1923), Ouverture de la nuit, 1973, Huile sur toile, Rennes, Musée des Beaux-Arts

Helen Frankenthaler (US, 1928-2011), Star Gazing [Regarder les étoiles], 1989, Acrylique sur toile, New York, Helen Frankenthaler Foundation

Helen Frankenthaler (US, 1928-2011), Star Gazing [Regarder les étoiles], 1989, Acrylique sur toile, New York, Helen Frankenthaler Foundation

Et, si la belgitude n’est parfois au rendez-vous que de façon fortuite ou forcée, cette dernière œuvre consonne tout de même nécessairement avec elle, tout au moins avec ma visite récente au Musée Magritte à Bruxelles — tout comme, allèguerais-je, beaucoup de ces nuits représentées ont la boussole au nord, résonances nordiques dues peut-être aux palettes et aux symboles auxquels le motif amène

 

René Magritte, le Rêve de l’androgyne, 1938, Encre noire et gouache blanche, collection particulière
René Magritte, le Rêve de l’androgyne, 1938, Encre noire et gouache blanche, collection particulière

René Magritte, le Rêve de l’androgyne, 1938, Encre noire et gouache blanche, collection particulière

— et j’ai songé parfois aux symbolistes des pays baltes découverts à plaisir au Musée d’Orsay.

 

Risquant un œil au dehors, le photographe enfin s’est pris un instant de fascination pour ces motifs géométriques, ces rythmes et couleurs impressionnant sa rétine —

 

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

que j’ai associés, je ne sais pourquoi à ce paysage aux corbeaux d’Egon Schiele vu au Leopold Museum de Vienne

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

Et sans doute est-il aisé (trop peut-être…) d’opposer ce cliché pris à travers les baies du Centre Pompidou-Metz à cet autre ordonnancement d’une vue méridionale qui m’attend quelques temps après pour me mettre un peu la tête hors de l’hiver…

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)
928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

(à suivre)

 

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Postcript à cette apostille

 

Ce 15 juillet 2015, parcourant avec Laure, Judith et N., l’exposition Leiris & co du Centre Pompidou-Metz, qui m’évoque l’exposition consacrée à Daniel Kahnweiler vue à Villeneuve d’Ascq en octobre 2013, je ne fais pas face encore à ma disgrâce le surlendemain.

(C’est pourquoi sans doute je n’ai jamais publié ces photographies, à moins que cela ne tienne au fait que presque toutes sont floues, ou ratées. Ayant acquis à la sortie le catalogue de l’exposition, il faut aussi dire que je ne saurais rivaliser avec la précieuse et riche iconographie de ses pages.

Mais là n’est pas vraiment la question. Il faudra que, quelque jour, je raconte ma dernière rencontre avec Julien, plus jamais revu depuis — pour me prémunir d’en être malheureux. — Je n’ai jamais non plus explicité notre rencontre, la toute première, dont j’ai pourtant collecté, avec fougue et ravissement, chaque instant saillant, chaque découverte digne de mémoire…)

 

Peu de clichés à sauver — donc — de ce jour de juillet, lesquels clichés sont toutefois estampillés chacun d'une histoire, d'un souvenir de lecture, de quelque alluvion mémorielle, qu’il serait toutefois souvent trop long d’expliciter :

 

Joan Miró, Sans titre (l’Ecrivain), Montroig, 8 novembre 1924, Mine graphite, aquarelle, crayons de couleur et deux timbres collés sur papier, 47 x 62 cm, collection particulière

Joan Miró, Sans titre (l’Ecrivain), Montroig, 8 novembre 1924, Mine graphite, aquarelle, crayons de couleur et deux timbres collés sur papier, 47 x 62 cm, collection particulière

Michel Leiris, Bagatelles végétales (illustré par Joan Miró), Paris, Aubier, 1956

Michel Leiris, Bagatelles végétales (illustré par Joan Miró), Paris, Aubier, 1956

André Masson, Souvenirs de Medinacelli, 1935, Crayon et encre sur papier, Paris, 31 x 48 cm, collection particulière

André Masson, Souvenirs de Medinacelli, 1935, Crayon et encre sur papier, Paris, 31 x 48 cm, collection particulière

Wifredo Lam, Belial, Empereur des mouches, 1948, Huile sur toile, 200 x 200 cm, Londres, collection particulière

Wifredo Lam, Belial, Empereur des mouches, 1948, Huile sur toile, 200 x 200 cm, Londres, collection particulière

Parmi tous les manuscrits exposés, le Journal qu’a tenu Leiris toute sa vie d’adulte durant est ouvert à l’entrée du 28 octobre 1929 — laquelle contient ce lapsus « remarqué seulement » ensuite (en 1946 !) par son auteur —, le jour même où il entame une psychanalyse (donc) avec Adrien Borel :

 

Michel Leiris, Journal (cahier bleu), F° 63-64, avec une photographie d’Adelaide Hall

Michel Leiris, Journal (cahier bleu), F° 63-64, avec une photographie d’Adelaide Hall

Me touche particulièrement cette photographie de Leiris en compagnie de Colette Peignot, la Laure1 d’écrits publiés par Leiris et Bataille — écrits qu’il me faudrait lire un jour2 — et dont Leiris a raconté l’agonie dans l’Homme sans honneur.

 

Anonyme, Michel Leiris et Colette Peignot, Epreuve gélatino-argentique, 10,3 x 7,8 cm, Paris, BNF, fonds Peignot

Anonyme, Michel Leiris et Colette Peignot, Epreuve gélatino-argentique, 10,3 x 7,8 cm, Paris, BNF, fonds Peignot

Et c’est cette autre photographie de l’écrivain

Michel Soskine, Michel Leiris, s.d., Epreuve gélatino-argentique, 27 x 19,7 cm, Paris, Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet

Michel Soskine, Michel Leiris, s.d., Epreuve gélatino-argentique, 27 x 19,7 cm, Paris, Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet

qu’il convient peut-être de mettre en regard avec l’étonnant portrait de Lou Laurin-Lam, qui, tout en en reproduisant la falaise plissée du front comme l’exubérance du crâne, paraît décaper du vieil homme tous les tourments afin de retrouver le moi primitif, end-otique, enfantin, d’un être — aussi nu qu’aurait voulu l’être Montaigne pour son lecteur — qui caresse la merveille en tendant, avide, une main vers l’oiseau.

 

Lou Laurin-Lam, Michel Leiris

Lou Laurin-Lam, Michel Leiris

Parmi les objets africains exposés — les autres prises sont décidément trop floues pour figurer ici —, je fais longuement le tour de ce tambour monumental.

 

Tambour, fin du XIXe siècle, Côte d’Ivoire (cultures Akan, Baoulé), 200 x 200 x 58 cm, Paris, Musée du quai Branly

Tambour, fin du XIXe siècle, Côte d’Ivoire (cultures Akan, Baoulé), 200 x 200 x 58 cm, Paris, Musée du quai Branly

— Et, parmi les autres toiles exposées dont je rate le b(r)acon(nage), le Bacon, à la vitre duquel se reflètent malheureusement (déjà) le treillage et les spots des plafonds…

 

928 - Apostille à toute belgitude récente (2)

 

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1Cette amie, écrit Leiris, avait choisi pour se dépeindre le prénom émouvant de “Laure”, émeraude médiévale alliant à son incandescence un peu chatte une suavité vaguement paroissiale de bâton d'angélique (Fourbis, p. 495).

 

2En 2019 paraîtront aux Éditions les Cahiers les Écrits complets de Laure (édition établie et annotée par Anne Roche et Marianne Berissi) [ai-je appris en consultant Internet — pour ripoliner ma mémoire bien défraîchie].

 

 

 

 

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