959 - Ricaduta siciliana (9)
À PAS RÉPÉTÉS
Ricaduta siciliana
(de Paname à Palerme, de Palerme à Paname)
Journal extime
(10 février - 21 février 2019)
9
16 février
Matin
Le malentendu devait couver depuis quelques temps : des frictions ont lieu avec M.-C. La raison en est minime mais, brusquement, je la vois défaite. Véritablement, son visage accuse le coup, et je la vois toute prête à pleurer. Je me déteste instantanément de l’avoir mise dans cet état.
(Recoupant, plus tard, ce qu’elle pourra me dire, je comprendrai que, d’une part, ce qu’elle appelle « mon sens de l’organisation » lui rappelle son père, qui caporalisait ses deux enfants et les menait à la baguette lors de voyages, d’autre part, qu’elle n’a pas osé me dire auparavant que le rythme de nos journées était trop dense pour elle — et qu’elle s’épuisait à me suivre.
Or, ceux qui vivent seuls, comme M.-C. ou comme moi, tâchent toujours avec autrui d’éviter les frictions, se sachant en quelque sorte de mauvaise compagnie — moi le tout premier ! —, puisque libérés habituellement de compagnes ou de compagnons.
C’est redouter naturellement aussi que ces frictions se produisent, en tendant un dos d’autant plus sensible à l’électricité qui circule entre les individus…)
La leçon, sur le moment, est rude, mais chacun s’emploiera désormais avec ses faibles forces à arrondir les angles obtus et vifs de ce qui l’irrite en l’autre.
Nous retournons villa Malfitano : je choisis un trajet qui nous épargnera des pas, même si je sens encore M.-C. méfiante — et serai heureux que, de fait, le bus qui nous conduit est non seulement plus rapide mais nous rapproche de notre but.
Le congrès de la veille se poursuit. On nous vend un billet, mais personne, finalement, ne nous fait la visite guidée. Qu'à cela ne tienne : nous nous égaillerons dans les pièces comme bon nous semble !
L’aménagement de la villa est inégal, écartelé, semble-t-il, entre deux façons générationnelles de concevoir la décoration intérieure, ce qui occasionne compromis et hiatus. Meubles et bibelots, en particulier, paraissent parfois désuets. Certains détails ne sont toutefois pas sans grâce.
Nous rentrons ensuite doucement à pied et cherchons la Villino Florio, plus ancrée dans l’esprit art nouveau que la villa précédente (le Guide vert la donne comme un « [b]el exemple du style Liberty à Palerme » et en précise l’architecte : Ernesto Basile), mais dépourvue de meubles.
L’entrée en est gratuite : aucune raison, par conséquent, de se plaindre ni de l’absence de meubles ni de celle de documents d’accompagnement ou de guide ! Néanmoins, une femme nous explique en italien que beaucoup d’éléments ont été copiés à l’identique, après qu’un incendie a eu lieu en 1962.
Nous rentrons déjeuner.
Après-midi
L’idée est que j’irai seul à Monreale, M.-C. n’ayant pas envie d’y retourner. J’en ai, au contraire, un très bon souvenir — peut-être parce que j’y avais rencontré un charmant compagnon — et j’aimerais en voir aussi le cloître, inaccessible lors de mon dernier passage.
Après avoir quelque peu erré avant de trouver l’arrêt du bus qui pourrait m’y mener, je dois déchanter : les horaires que j’avais notés sont erronés. Et, comme le prochain départ est indiqué à 16 heures, l’attente s’en trouve un peu longue.
Pris d’une intuition, je vérifie que des visites seront encore possibles et m’aperçois alors que la cathédrale est fermée le samedi après-midi.
Je rentre donc.
M.-C. n’a pas bougé de l’appartement.
Nous nous mettons en route pour visiter plus avant le Palerme historique, au cœur duquel nous logeons, mais dont nous n’avons encore emprunté que la rue principale — la Via Vittorio Emanuelle — (ou presque). Et c’est les yeux distraits et ravis par les façades lépreuses des palais palermitains que nous circulons à travers places, rues et ruelles
— tandis que je me dis préférer ô combien ces quartiers populaires encore, menacés néanmoins de disparaître en tant que tels, Palerme étant à l’évidence la proie d’une gentrification galopante (or, j’ai dit déjà, je crois, préférer Palerme à Syracuse, quelque peu proprette) telle que j’ai pu la constater en moins de deux ans, à des centres historiques re-toilettés, comme celui de La Valette…
Nous visitons la Chiesa di San Giovanni degli Eremiti, que nous nous accordons à trouver photogénique, ce qu’il reste de l’endroit happant fortement l’imagination.
Je prends également un cliché dans l’église qui la jouxte d’une sorte de mannequin démembré qui exhibe ses brisures et stigmates avec une telle outrance (aux yeux du profane ou du païen que je suis) qu’il en paraît comique.
Nous entrons ensuite dans la Chiesa del Jesù, d’un baroque exubérant que la lumière du couchant n’éteint ni ne calme tout à fait.
Et c’est par un trajet aux zigzags incertains que nous parcourons à nouveau le Mercato Ballarò.
Je prends quelques clichés nocturnes par curiosité avec le téléphone portable et suis plutôt agréablement surpris du résultat, autrement meilleur que sur mon ancien appareil photographique.