984 - À la grecque (journal extime), 10
À la grecque
(Paris - Athènes - Paris : 7 avril - 17 avril 2019)
Journal extime
10
15 avril
Le musée des arts cycladiques n’ouvre pas avant dix heures. Une flopée de gamins attend à l’extérieur. J’y renonce provisoirement.
Dans l’avenue Vassilissis Sofia, que je longe à nouveau — elle était hier dévolue aux seuls cyclistes (ce qui m’a rappelé Londres), alors que motos, voitures, taxis et bus la sillonnent à vive allure, je sens pour la première fois me prendre à la gorge — qui en restera durablement prise — l’intense pollution de l’air.
Le métro, lui, est bondé. Je descends de la rame pour attendre le suivant.
Je remarque dans le métro des gens à prothèses : mes contemporains, désormais, portent de l'une et l'autre main toutes sortes d’objets ; outre leur portable, en vogue ici : le café portatif dans un gobelet hermétique, tout cela paraissant conférer tout à la fois une raison d’être, une contenance et une identité…
Je mettrai un certain temps à trouver la Glyptothèque nationale, le long d’une avenue au trafic plus dense encore.
Andreas Pavias (ca 1440 – between 1504-1512), The Crucifixion, second half of the 15th century, Egg tempera on panel
Je n’y trouve ni le Delacroix ni le Caravage mentionné par le guide.
Accrochés, cependant, deux tableaux du Greco.
Le Greco, saint Pierre, ca 1600-1607.
Des impressionnistes et symbolistes locaux…
Nikolaos Gysis (1842-1901), Spring Symphony, 1886.
Quelque romantique attardé proposant sa variation aux couleurs locales du motif du baiser…
Des peintres et sculpteurs aux noms inconnus, mais dont l’onomastique a toujours une consonance grecque — ce qui, comme pour le reste, constitue l'essentiel…
Manolis Tzombanakis (1943), Buchephalus, 1973. Bronze.
Thodoros Papayannis (1942), Figure (from the series My Phantoms), 1994-1995. Wood, metal and other materials.
— et dont les sujets parfois m’amusent (ainsi cette représentation de la Nana de Zola aux prises — naturalistes ! — avec son chien…).
Et, à la sortie, quelques patronymes moins exotiques...
Au rayon des cartes postales, il ne reste qu’une reproduction d’un Caravage, défraîchie. M’adressant à l’apparente responsable des lieux pour savoir s’il lui en reste en stock, elle compulse quelques piles — et s’avoue vaincue.
Je choisis une Annonciation du Greco, que je destine à T., avec qui est instituée la plaisanterie de lui soumettre ma collecte de saint Sébastien et de Vierges visitées par Gabriel. La femme m’offre alors le Caravage abîmé passé par mes mains.
Après-midi
Je retourne au Musée des Arts cycladiques. L’entrée en paraît gratuite le lundi.
Toutes les sculptures ne sont pas des statuettes, telles celles qu’on voit le plus souvent.
C’est pourquoi, comme devant le kouros du musée archéologique, je prends cette première photographie en compagnie humaine (la statue mesure 1 mètre 40, est-il précisé).
D’autres sont encore plus inhabituelles.
L’endroit, bien aménagé, n’est pas immense. On le parcourt cependant d’autant moins vite que fascinent, renversant le temps et les millénaires, ces statuettes ou figurines.
D’autres œuvres encore, postérieures, se trouvent dans d’autres pièces, dont certaines, très belles.
Bust of bearded male figure wearing a conical crested cap, Limestone, Cypro-Archaic II, mid 6th century BC.
Lorsque je ressors, il pleut à verse. Ce sont bientôt des trombes d’eau : j’ai rarement vu autant d’eau tomber. Par deux fois, les coups de tonnerre, tout proches, me font sursauter. Les chaussées, en quelques minutes, sont devenues des mares impossibles à franchir sans prendre un bain de pied.
Rentré, les chaussettes sont à tordre, tandis que les chaussures de la duchesse ne seront guère sèches pour s’en aller le lendemain…
Soir
Je reçois un message de Denis, assortie d’une image : Notre-Dame est en train de brûler complètement ! C’est une vraie catastrophe !
Sur le moment, je crois à une plaisanterie ; mais, si le message en lui-même est exagéré, allumant le poste de télévision et réussissant à me mettre sur le canal de TV5 Monde Europe, je constate que, de fait, le monument est la proie des flammes.
Difficile ensuite de se désemparer de ces images diffusées en boucle, assortis de commentaires le plus souvent vides de sens ou — et surtout — d’informations (sauf dans l’après-coup !).
Smoke and flames rise during a fire at the landmark Notre-Dame Cathedral in central Paris on April 15, 2019, potentially involving renovation works being carried out at the site, the fire service said. - A major fire broke out at the landmark Notre-Dame Cathedral in central Paris sending flames and huge clouds of grey smoke billowing into the sky, the fire service said. The flames and smoke plumed from the spire and roof of the gothic cathedral, visited by millions of people a year, where renovations are currently underway. (Photo by Hubert Hitier / AFP)
Nuit du 15 au 16
Je dors très mal, pas seulement agité par la perspective du départ — l’avion ne décolle qu’à 14 heures 15 —, mais aussi sans doute parce que mal extrait des images vues de l’incendie de Notre-Dame…
Réveillé après une heure ou moins de mauvais sommeil, je mets infiniment de temps, après avoir lu quelques pages, à me rendormir. L’orage, en outre, et la pluie se font entendre...