998 - Scottish Gigue (7)
Scottish Gigue
(Paris – Edimbourg – Paris)
14-28 juillet 2019
(Journal extime)
7
19 juillet [suite]
Après-midi
Après avoir mangé, faute de mieux, un sandwich dans une de ces sandwicheries arborant une enseigne que l’on voit partout en Europe, je vais à la Scottish National Portrait Gallery (je me rappelle alors que je n’avais pas voulu faire celle de Londres, craignant une enfilade de têtes couronnées).
Toutes sortes de têtes, de fait, sont déclinées, des miniatures aux effigies plus grandes que nature.
Unknown Man, called Lord Preston, by Samuel Cooper, bodycolour on vellum set in a silver-gilt frame, painted about 1655 ; Prince James Francis Edward Stuart, by Anne Cheron, watercolour on card, painted in 1704 ; Napoleon Bonaparte, by Jean-Baptiste Isabey, watercolour on ivory in a chased metal frame with blue enamel border, painted about 1806
Robert Devereux, 2nd Earl of Essex, by Nicholas Hilliard, watercolour and bodycolour on vellum stuck on card set in a gilt-metal locket, painted between 1588 and 1590 ; Unidentified Lady, by Isaac Oliver and a later hand, watercolour on vellum, painted about 1628-30
Une exposition est consacrée à Robert Mapplethorpe, à sa gueule d’ange et voyou bientôt ravagée, prématurément vieillie par le sida (les spots et néons se mettent salement en tiers dans mes clichés).
J’ignorais tout de ce cycliste vainqueur du Tour de France, mais suis impressionné par sa beauté minérale sublimée peut-être à la fois par le support et la sueur qui lui mouille visage et cheveux, le transformant, lui, en gueule noire, dans la moiteur de l'effort, plus mineur de fond donc que souverain de sa petite reine.
Nadav Kander, David Millar, colour archival pigment print on aluminium, made in 2011
Cet autoportrait sans concession d’un peintre né en 1960 me rappelle l’expérience (tout aussi unheimlich) au miroir de la veille, même si les atteintes de l’âge ont été plus douces pour moi que pour lui… Je me demande d’ailleurs si, peintre moi-même, j’aurais le courage de me représenter ainsi, nu et déformé (à moins que par une contre-coquetterie, il ait exagéré sa laideur, ce qui pourrait m’arriver…) ! — De l’Âge — encore et toujours…
Pourquoi ce sont (presque toujours) de mauvais peintres qui portraiturent les personnages historiques ? Et lorsque de vrais maîtres de la peinture s’y attellent, ce sont alors les sujets peints mêmes dont s'affiche la laideur (Velasquez et Philippe IV).
Le regard de ce bon vivant indulgent qu’était Hume — à ce que j’en sais du moins —, néanmoins, se pose sur le regardeur avec toute l’aménité que je lui prête, bien rendue par le portraitiste, dont le nom, Allan Ramsay, me paraît étrangement tout à coup familier, unheimlich à son tour…
Et c'est Byron, comme à Athènes, que je tutoie...
George Gordon, 6th Lord Byron (1788-1624), attributed to Bertel Thorvaldsen, marbre, made around 1816
Je tombe, comme de juste, sur les collègues croisés les jours précédents, et ce, pour la troisième fois.
Mes yeux s’attardent sur le ventre de Ian pour me consoler du mien (j’ai fait cela depuis le matin avec les bedaines croisées : le remède, en fait, n’agit que bien faiblement…)
The Great Hall aux accents art nouveau mâtinés d’histoire nationale (comme à Prague, Vienne… sous l’influence peut-être du wagnérisme), décoré par William Hole, évite cependant le ridicule et fait son petit effet.
Je m’amuse aussi de cette réécriture parodique de Bonjour Monsieur Courbet.
Je n’ai pas pris de stylo. Ceux que la boutique du musée du musée vend étant trop chers, je m’en achète tout un assortiment dans un supermarché de la galerie marchande de la Waverley Rail Station.
Je visite — sans payer d’obole, éhontément (mais je bois vite ce type de honte) — St Giles Cathedral.
Puis j’entre dans les bâtiments de la National Library et, poursuivant le fantôme de Hume, visite une exposition sur les Lumières écossaises (Ideas that shook the World, Northern lights : the Scottish Enlightment).
Cet écrit de Rousseau que rectifie dans les marges le philosophe écossais me rappelle la National Library de Londres.
Le reste, tout en anglais, m’échappe parfois un peu — sauf ces escaliers dont l’Enlightenment ne peut que me ravir…
et ces sculptures de papier en hommage à des livres, dont celui de Stevenson, natif d'Edimbourg (comme je le saurai bientôt).
Soir
J’envoie un message à Marthe et Paul, largement inspiré de mon après-midi même, agrémenté de photos prises dans la journée :
Bonsoir Marthe, bonsoir Paul,
Sur les traces (parfois involontaires) de David Hume à Édimbourg, c’est aussi Rousseau qui s’est mis de travers(e)(s) dans mes jambes. Alors qu’hier mon esprit railleur, arpentant un cimetière, avait douté de la postérité d’un poète prétendument immortel, ledit poète (Allan Ramsay) — ai-je appris aujourd’hui — a tout de même enfanté le peintre (Allan Ramsay [on croirait du Ionesco !]) qui a portraituré nos deux philosophes... Ces deux-là se sont d’ailleurs écharpés ici même, épisode connu mais qu’attestent les dires de Jean-Jacques commentés par David dans le manuscrit joint, vu par hasard à la National Library.
Dans un tout autre ordre d’idées, j’ai songé à Pascal, à une série entamée depuis quelques temps déjà, en visitant les toilettes de la Scottish National Gallery of Modern Art...
Le dernier mot revient à Hume, of course, dans la devise inscrite sur les marches de l’escalier de la Bibliothèque Nationale.
Recevez mes amitiés,
Romain