1006 - Scottish Gigue (11)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Scottish Gigue

 

 

(Paris – Edimbourg – Paris)

 

 

14-28 juillet 2019

 

 

(Journal extime)

 

 

 

11

 

 

22 juillet [suite]

 

Soir

 

L’heure est venue de me rendre à Haymarket Station.

 

Contre ma prévision, d'ailleurs infondée puisque je ne me souviens pas vraiment de ses habitudes en matière d'horaires, Nathalie est en avance. Je l’ai précédée, pour constater que, contrairement à ce qu’elle m’avait dit, il y a, non pas une, mais deux entrées ou sorties, certes proches, que peuvent emprunter les voyageurs…

 

Alors que je sors de la principale et vais vers l’autre, une vieille dame tenant en laisse un petit chien, replète et toute blanche de cheveux, m’adresse un signe et se porte vers moi.

« Comme nous avons blanchi ! », me dit-elle en m’embrassant. « Mais tu as toujours la même tête… », ajoute-t-elle (ce qui, sur le moment, évoque des souvenirs, sans pour autant désigner clairement à ma mémoire une mauvaise chanson…). Elle me désigne l’espèce de boudin canin court sur pattes qui l’accompagne en me disant que le chien est fou, qu’il est vieux, ce qui m’évoque une autre chanson, de meilleure mémoire, et je ne m’étonne pas — ou déjà plus — de ces deux assertions si caractéristiques de Nathalie…

Entre deux banalités sur le temps — plus de trente ans, en vérité — qui nous a changés (j’ai pour ma part assez de mal à superposer la jeune femme de vingt-cinq ans que j’ai quittée — quand était-ce, mais il n’y a pas si longtemps, trente et quelques années ? — à cette vieille dame affligée d’un chien qu’il faut porter dans les escaliers tant ses reins sont malades — me dit-elle), elle me demande si j’ai faim, si je préfère aller dans l’appartement de l’amie où elle est venue nourrir le chat — et surtout lui tenir compagnie (cette fois, c’est la Nathalie généreuse que je retrouve) — et nous faire livrer un repas, ou si je préfère manger ailleurs, à l’extérieur de la ville, à un moindre coût que si l’on dînait en ville.

C’est dans cet appartement tout proche de Haymarket Station qu’en l’absence d’une amie elle donne des cours particuliers de français, sa principale ressource. Elle vient de démissionner de l’Education Nationale française, dont elle était en congé depuis dix ans, après quoi il n’est plus possible de toute façon d’obtenir une nouvelle année de disponibilité. Elle s’est acheté une maison à la campagne, pas trop loin d’Edimbourg, grande mais sans confort, une ancienne maison de mineur acquise à un prix vraiment avantageux, après le décès de sa grand-mère dont elle a hérité. Elle vivote ici, mais, précise-t-elle, la vie y est moins chère qu’en France ou même en Angleterre, pour se nourrir du moins (ce que j’avais moi-même constaté, en m’en étonnant, les jours précédents).

Elle marque force exclamations et redit son étonnement que j’aie pu ainsi si facilement la retrouver. Elle ne se souvenait plus s’être inscrite sur le site des « copains d’avant » : j’ai bien fait de lui laisser mon adresse électronique, puisqu’elle n’a pas eu ainsi à passer par l’entremise du site — dont je lui dis que je me suis désinscrit aussitôt après qu’elle m’a donné son numéro de portable.

Elle me demande des nouvelles de Judith, et je tâche de résumer dix à douze années pendant lesquelles elles ne sont si vues ni écrit.

Alors que nous marchons vers sa voiture pour nous rendre à l’extérieur d’Edimbourg et dîner — choix qu’elle a elle-même tranché —, son téléphone sonne. Son fils de vingt-trois ans, dont elle vient précisément de me parler en m’évoquant Lucien né un an plus tôt que lui — je songe à part moi qu’elle doit se tromper dans les chiffres, Lucien ayant tout au plus dix-neuf ou vingt ans —, l’appelle, et voici qu’elle lui raconte nos retrouvailles, tout en dirigeant l’écran de son portable vers moi pour mieux attester l’aventure… Cependant, elle abrège quelque peu la conversation, en promettant de rappeler plus tard.

(Elle me racontait donc être venue dix ans plus tôt pour fuir « le père » — comme elle l’appelle — et échapper à son influence néfaste. Elle et **** (j’ai oublié le nom du fils entre-temps) étaient alors ravis de s’installer en Ecosse, avec le chien et quatre [ou cinq ?] autres chats. Son fils est « fou », me dit-elle. (Je m’amuse de plus en plus, « le père » ayant été taxé de la même épithète, ainsi que, précédemment, le chien…) Après une scolarité chaotique, il s’est engagé pour la Légion étrangère — j’opine tout  de même, in petto, mais toujours intérieurement : de fait, il doit être fou… —, puis s’en est échappé après deux ans. Il est à présent cuisinier à Lyon. — « Ce doit être lui qui appelle », me dit-elle alors qu’elle achève de retracer à si grands traits dix années de son existence. J’aperçois un bref instant — brun, cheveux courts, épaules nues et ce qu’on aperçoit d’un corps rougi par le soleil — l’image de son interlocuteur. « Il est fou ! » conclut encore Nathalie, mais pour commenter cette fois cette carapace de homard, puisque, m’a-t-elle dit déjà, elle a horreur de la chaleur — elle brodera ensuite à loisir sur ce thème à nouveau —, qu’elle transpire beaucoup trop, parce qu’un peu trop grosse, dès lors que la température augmente et qu’elle appréhende les 25 ou 26° à venir des jours prochains.)

Elle élude donc la conversation avec le fils — qu’elle entend mal de toute façon. Entre-temps, nous sommes arrivés à sa voiture. Elle débarrasse du siège du passager le fauteuil du chien, installe en la portant la bête à l’arrière, tout en s’excusant à mon adresse que l’animal perde ses poils. « Tu vas être tout poilu ! », prévient-elle, tout en s’esclaffant.

Nous voici partis pour un Fish & Chips au bord de la mer, « près des trois ponts ».

(à suivre)

Le pont du Forth au crépuscule © Internet

Le pont du Forth au crépuscule © Internet

 

 

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