1003 - Scottish Gigue (9)
Scottish Gigue
(Paris – Edimbourg – Paris)
14-28 juillet 2019
(Journal extime)
9
21 juillet
Nuit
Réveillé par les allées et venues de mon hôte au cours de la nuit, je me rendors et me réveille très tard, trop tard pour aller à Glasgow, où il devrait de toute façon pleuvoir.
Matin
Je vais jusqu’au château de Craigmillar. Depuis l’arrêt de bus, je passe à travers un parc et des chemins herbeux (je songe aux tiques, qui pullulent paraît-il, et à M.-C.). Le ciel est couvert, ce qui sied au château tel que je pouvais me l’imaginer.
Je m’acquitte de six livres pour le visiter, ce qui, comme le château est bien conservé, occupe assez agréablement le temps.
Et la campagne environnante délasse de la ville.
Après-midi
C’est un peu sur un coup de tête que j’achète un billet de train pour Linlithgow.
Il ne pleut pas (pas encore ?), et la balade que j’avais projetée d’abord dans Edimbourg me semble pouvoir être remise au lendemain.
Cependant, une petite pluie fine, alors que je sors de la gare, se met de la partie. Mais ce crachin bénin vaut après tout mieux que les chaleurs attendues la semaine prochaine à Paris, où le lendemain de mon retour devrait être étouffant puisque 41° y sont prédits !
La visite du palais prend du temps avec tous ses paliers, tous ses escaliers, la plupart sans issue. Tout cela fait beaucoup de marches à ascensionner.
La grande salle, à ciel découvert, impressionne. La fontaine est très belle, la flèche de l’église voisine, hideuse.
* * *
Je reste fasciné devant la pilosité de cet homme qui me fait face dans le train du retour : les sourcils presque blonds, une toison très noire, abondante, montant du torse, sans vraie lisière avec la barbe presque rousse, les cheveux d’une autre couleur encore, intermédiaire entre toutes. Les yeux sont d’un bleu très clair, limpides et cristallins.
Nuit du 21 au 22 juillet
Pensée nocturne
Je me retourne, je me retourne, je me retourne, je me retourne, je me retourne et me retourne dans mon lit. J’ai l’état d’âme d’un poulet à la broche que le sommeil ne rôtit guère. Il faudra bien pourtant que demain me mange ou m’avale.
Mon hôte doit se trouver dans la même situation. Je l’entends qui se lève et va aux toilettes. Comme par un fait exprès, il fait grincer les portes terriblement, alors que les miennes en pareilles circonstances sont toutes coites (sauf celle des toilettes, impénitente grinc[h]euse). C’est cette discrétion qui doit me rendre antipathique, me dis-je (!) pour me consoler du peu d’aménité dont il fait preuve à mon égard.
— « L’hôte » ? Peu de chance, en vérité, que je retrouve son prénom, sauf à relire nos échanges liminaires.
Pensées nocturnes [suite]
— Non, il n’imite pas les sentences et maximes de cet écrivain. (Celles-ci manquent de parenthèses et de tirets !)
J’ai en commun, en toute modestie, avec Eric Chevillard d’héberger mes phrases sur overblog.
Je partage, également, quelques-unes de ses opinions et visions. Ainsi de celle-ci :
Cette passion que l’on a d’entendre et de rencontrer les écrivains… Alors qu’ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes dans leurs livres, peut-on supposer, et qu’il est bien rare qu’autrui nous paraisse ainsi dans tout son raffinement. Pourquoi ne pas nous en satisfaire (et rêver même que chacun désormais se présente à nous sous la forme d’un livre où il aura donné le meilleur de lui-même) ? Ou faut-il penser que notre curiosité avidement se porte d’abord sur tout ce que l’écrivain a su écarter de son œuvre — l’hésitation, la confusion, etc. — et que nous brûlons de connaître aussi, plus que tout, le simple particulier, voire le pauvre type qu’il ne peut manquer d’être hors de ses livres ? Et qu’alors seulement, ayant entendu parler le bègue, on voudra savoir peut-être comment il tourne ses phrases.
(l’Autofictif père et fils, 11 juin [2010], pp. 212-213)
C’est bien pourquoi je n’ai aucun désir de rencontrer Eric Chevillard, à qui pourtant — je l’ai déjà cherchée — je trouve une bien belle et bonne tête. De toute façon, son hétérosexualité appert (voire se manifeste) à presque toutes les pages !
(Je ne pénètre jamais dans cette foire au livre qui a lieu chaque année dans la ville où je vis. Non que je pense qu’un bon écrivain est un écrivain mort. Mais je suis presque certain que les écrivains que je tiens en bonne estime ne s’y trouveraient pas.)
(En revanche, je reste inconsolable de la mort de Mathieu Riboulet, dont je suis certain aussi qu’il n’est pas près d’être remplacé dans le créneau qui était le sien (un écrivain gay à la prose impeccable). C’est le seul auteur peut-être que, pour des raisons opposées à celles que je viens (par plaisanterie) d’énoncer en ce qui concerne Chevillard, j’aurais voulu rencontrer, pour m’en faire un amant… un ami… un correspondant... !)