Archive GA CCCXCVIII - Paris-Naples / Napoli-Parigi (journal extime) - 23 avril-5 mai 2013 (6)
Paris-Naples / Napoli-Parigi
Journal extime
(23 avril - 5 mai 2013)
6
27.4 [matin]
Anniversaire de Duncan. Mail + photos.
Si les rues de N. peuvent ê sales et les poubelles déborder, une femme nettoyait patiemment le carrelage de la station de métro à Universita’.
Celui-ci plutôt beau. — des carrelages bleus et ambiance maritime à la station Toledo — donc propre et bien entretenu.
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27 avril, matin
Comme aujourd’hui Duncan a vingt-deux ans, je lui envoie un mail auquel je joins quelques photos de Naples choisies parmi les plus réussies ou les plus pittoresques. J’étais à Paris quand il a eu vingt ans — et je sais bien encore quels mots j’ai pu lui adresser. Je m’étonne — et me réjouis — que nous correspondions — que nous correspondons encore. Quelques souvenirs, violents, précis, m’assaillent. Et je rends grâce aux attentions délicates qui paraissent nous lier encore après cet un peu plus de deux ans.
Si les rues de Naples peuvent êtres sales, si les poubelles semblent vouloir déborder, si les légendes peuvent paraître tenaces ou se justifier à propos de cette ville — laquelle ne ressemble pas du tout à l’image que je m’en étais faite après lecture de la Peau de Malaparte (en réalité beaucoup moins tortueuse, moins pentue, moins populeuse que je ne me l’étais figurée) —, une femme nettoyait patiemment, précautionneusement au moyen d’un seau et d’une serpillère le carrelage de la station de métro Universita’.
Les stations les plus récentes du métro napolitain sont d’ailleurs plutôt belles — et propres donc. Les carrelages bleus et les ambiances d’abysses marins de la station Toledo ne sauraient laisser indifférent même le passant pressé
(j’apprendrai, en palliant à nouveau l’absence de clichés que je n’ai pas faits, laissant l’indifférent que je peux être parfois ne pas réagir, que « la station artistique Toledo a été élue la plus belle station de métro d'Europe », ce que, à revoir ces images, je conçois finalement assez bien...)
Sans doute est-ce aussi le sentiment des autorités municipales car j’y verrai d’autres épousseteuses tout aussi précautionneuses affairées à briquer les rampes des escalators que souillent les mains salisseuses des usagers. Ceux-ci, pour l’immense majorité, paraissent des autochtones : peu de touristes dans ce métro, dont je découvrirai bientôt toutefois que, non content de n’être pas très étendu, la circulation n’en est pas toujours fiable.
27.4 [PM]
Perdu ma carte d’identité — faite récemment pour ce voyage (tête patibulaire d’un repris de justice)
J’avais préjugé d’un imbroglio/ interminable imaginé ne pas me faire comprendre A l’accueil GB le flic qui s’occupe du procès verbal parle anglais plutôt bien. J’ai tt de m mon permis de conduire (y suis bien plus à mon avantage — tout déchiré — ai js compris pq cette pièce d’identité essentielle ne doive js ê renouvelée). Tt s’arrange plutôt vite.
On téléphone au consulat, fermé — on me passe le combiné, le message étant en fcs, puis on joint le Consulat de France à Rome & j’ai au bout du fil & dame aimable qui m’explique la procédure à suivre : consulat + photos + 23
On me flèche l’itinéraire sur mon plan.
Tout cela est bon enfant.
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27 avril, après-midi
Je mets bientôt à l’épreuve d’autres de mes préjugés concernant la ville, ses édiles et ses vigiles.
Je m’aperçois avoir perdu ma carte d’identité, en effet, spécialement établie pour ce voyage, ayant à sortir du territoire français — mais non de l’Europe — et ne voulant pas refaire un passeport pas tout à fait à date d’expiration.
Peut-être cette perte n’était-elle pas entièrement involontaire : j’avais dû refaire des photos d’identité, celles-ci refusées par une employée de la mairie navrée d’appliquer des consignes qu’elle-même trouvait stupides, parce que, hiver oblige, j’y portais un col roulé et que ma tête n’était par conséquent pas assez dégagée. Les nouvelles épreuves photo-électroniques de mon faciès — auquel était proscrit de sourire ou de regarder avec un air qui sorte de la neutralité absolue — semblaient vouloir rivaliser avec l’anthropométrie criminelle classique qui humilie le fier-à-bras coincé par la rousse, avant qu’on ne le mette nu (Guillaume, Guillaume, qu’es-tu devenu ?), et j’avais sur cette carte d’identité la tête patibulaire d’un repris de justice, les lèvres minces et comme mangées du remords de s’être laissé prendre, en même temps que le regard vide d’un abruti patenté.
(C’est ainsi que je découvre brusquement — il serait temps... —, en confrontant ce cliché, dont il me restait deux exemplaires et qui ont servi pour une nouvelle carte, à mon reflet dans les miroirs, combien ma lève supérieure est fine, assez proche de celle de mon grand-père maternel. C’est à cet ascendant que je dois aussi d’être pris à l’étranger pour un Espagnol ou un Italien, son patronyme, même si la trace de ses ancêtres s’est perdue, étant d’origine ibérique — quand celui de mon père est d’origine belge, paraît-il... Je lui dois aussi sa (ou ma) corpulence et sa (ma) pilosité.)
Me rendant (!) au poste de police pour faire une déclaration de perte, c’est donc comme si c’était à la police que je me livrais... Je tiens pour ordinaire que, devant en référer à l’autorité policière, une appréhension sourde, doublée d’un sentiment de culpabilité diffus, fait le siège du malheureux usager des commissariats — et je suis, je le sais, en puissance un frère de Joseph K. que taraude certains matins quelque bourrèlement sans origine assignable !
Et c’est bien pour cela que, cheminant vers la police, je préjuge d’un imbroglio inextricable, que j’imagine ne pas pouvoir me faire comprendre et devoir donc subir un accueil sarcastique et des palabres interminables dans une langue défaillante entrecoupée de gestes et mimiques, de vocables internationaux et de faux amis franco-italiens… Et puis, songé-je, déjà malheureux et humilié, la police locale n’est-elle pas très certainement acoquinée avec une mafia bien plus puissante qu’elle ?
Passant un porche à l’endroit que je me suis fait indiquer par le restaurateur chez qui j’ai couru vérifier que je n’avais pas perdu ma carte la veille, les lieux semblent bouclés. Je pénètre dans la cour et sonne à une entrée de bâtiment qui paraît le prolongement des locaux tels que je les ai longés dans la rue. Un type ensommeillé — nous sommes en début d’après-midi — en jean et tee-shirt blanc, qui paraît s’être habillé à la hâte, vient m’ouvrir, l’air mécontent, m’explique dans un anglais approximatif que c’est fermé et me désigne un escalier et un étage supérieur où m’adresser. Ce que je fais. Je suis reçu par un policier en uniforme qui me dit dans un anglais autrement mieux maîtrisé qu’il me faut redescendre, me rendre au rez-de-chaussée d’où je viens, ce qui, d’autant que je ne suis pas certain d’avoir compris exactement où aller, me laisse penser à nouveau que je ne suis pas sorti d’affaire…
Mon interlocuteur a néanmoins dû voir mon embarras : alors que j’hésite dans la cour où adresser mes pas, penché sur la rambarde extérieure, il hèle un collègue en civil à qui il me confie et à qui, soulagé, j’emboîte bientôt le pas. Je comprends bientôt que je suis aux mains de l’officier responsable en ce samedi après-midi, qui parle plutôt bien anglais et enregistre de suite ma déposition avec une amabilité dont je doute qu’elle serait jamais telle dans n’importe quel commissariat français.
Tout s’arrange plutôt vite — d’autant que j’ai tout de même extrait mon permis de conduite de mon portefeuille pour attester mon identité (celui-ci, qui a plus de trente ans, est déchiré, presque en lambeaux, et je me demande s’il retrouve sur mes traits le jeune homme bien plus à son avantage que sur la carte que j’ai perdue — je n’ai jamais compris pourquoi cette pièce d’identité essentielle ne doit jamais être renouvelée, non plus d’ailleurs que l’examen à l’issue duquel on le délivre, sorte de blanc-seing qui permet à des vieillards cacochymes de continuer à conduire encore alors qu’à l’évidence ils n’en ont plus les compétences ni même les réflexes les plus élémentaires, si bien qu’ils encombrent les rues et les routes de leur lenteur exaspérante et dangereuse —), mais mon interlocuteur ne livre aucun commentaire ni à ce sujet ni à celui des circonstances probables de la perte de mes papiers. Les policiers présents, qui paraissent désœuvrés, écoutent, avec aménité semble-t-il, les éléments que dans son procès-verbal, en homme de scrupule, leur supérieur consigne ; celui-ci tend à une jeune femme en uniforme mon permis de conduire, qu’elle rapporte promptement en même temps qu’une photocopie. Entre-temps, on téléphone au consulat de Naples, fermé, — on me passe le combiné, le message étant en français — puis à l’ambassade de France à Rome, et j’ai au bout du fil une femme agréable qui me détaille la procédure à suivre : me rendre au consulat de Naples muni de photos d’identité ainsi que de vingt-trois euros en liquide. Un policier zélé me flèche l’itinéraire sur mon plan — il n’en était pas besoin à dire vrai, le chemin étant presque rectiligne depuis le Corso Umberto près duquel je loge — mais chacun s’emploie à m’aider, et tout cela est bon enfant, comme dans un office du tourisme bienveillant — et vient contredire tous les désagréments que je m’étais figurés.