Archive GA CDXIV - Paris-Naples / Napoli-Parigi (journal extime) - 23 avril-5 mai 2013 (13)

Publié le par 1rΩm1

 

 

Paris-Naples / Napoli-Parigi

 

 

Journal extime

 

 

(23 avril - 5 mai 2013)

 

 

13

 

[version longue]

 

 

Archive GA CDXIV - Paris-Naples / Napoli-Parigi (journal extime) - 23 avril-5 mai 2013 (13)

Cinéma PM

[Marie-Jo et ses deux amours de Robert Guédiguian au Forum des Halles]

N*** 1 h en retard « je suis perdu » clé égarée [portable déchargé]

Casse la bouteille […] en arrivant

Début “catastrophiq” Zèbre. Girafes

« Ils doivent s’aimer encore » (set de table aux fruits)

Se dit tjs en colère. Revient sur son mail.

Jean ajusté. Jambes maigres

Son Argentin

L’enlace affectueusement

Education familiale. J’entrevois un instant le pt garçon affectueux qu’il a pu ê.

 

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2 mai, soir

 

N*** doit venir vers 19 heures. J’ai préparé à manger — et, pour le dessert, acheté deux parts de cheese-cake.

Je reçois un premier appel téléphonique. « Je suis perdu ! » me dit-il. Il précise que son portable sera bientôt déchargé. Je tâche de lui expliquer où habitent N. et Judith.

Quelques coups de fil plus tard, je comprends où se trouve N*** : le restaurant où j’ai dîné la veille avec B. est tout près de la place où il se tient. Il n’est vraiment pas loin. Mais j’ai oublié le nom du boulevard qu’il doit emprunter directement en face de la rue où il m’appelle. Las, N*** n’a pas du tout le sens de l’orientation, la place est circulaire, il n’a sans doute pas non plus l’esprit de géométrie, il a peur de se tromper. Je lui intime de ne pas bouger : je vais aller le chercher et, de la sorte, le ramener à bon port. Mais, passablement énervé de ce contretemps, je n’arrive pas à mettre la main sur la clé, la précieuse clé, la seule clé qui permette dorénavant de rentrer dans l’appartement. Je ne suis pas enfermé, n’ayant pas fait jouer le verrou ; je ne peux toutefois risquer de laisser la porte ouverte durant mon absence.

Je rappelle N*** pour lui expliquer la situation, en espérant que son téléphone n’est pas complètement déchargé. Il va demander aux passants qu’il rencontre, me dit-il. Il n’a pas avec lui le code d’entrée de l’immeuble, et je le lui redonne : il le répète plusieurs fois pour le mémoriser, et je ne peux m’empêcher de songer que la soirée est cuite, qu’il va l’oublier, que je ne vais pouvoir sortir pour me lancer à sa recherche — que nous ne nous verrons pas.

Je continue de tourner dans l’appartement, fouillant d’un recoin l’autre, sans parvenir à mettre la main sur cette fichue clé.

 

Enfin je la retrouve... Et, alors que je me crois voler au secours de N***, dévalant l’escalier, — mais ma mémoire est ici en défaut, je ne sais plus exactement ni comment ni quand l’incident est survenu, si je le vois dans l’encadrement de la porte qui mène à la cour ou alors qu’il traverse cette dernière ou si je le trouve déjà accroupi en train de ramasser les éclats d’une bouteille qu’il avait apportée, ou si j’ai bel et bien assisté à la rupture du sachet de plastique qui avait servi à son transport... Seule certitude : nous sommes tous deux en train de ramasser les éclats de verre les plus gros et de commenter le comique de cet enchaînement d’actes manqués de l’un ou de l’autre qui l’ont retardé de plus d’une heure.

 

Sitôt jetés aux ordures les débris, nous buvons l’apéritif sur le canapé du salon devant la table basse, oubliant ainsi cette agitation vaine. 

 

Si je n’ai plus souvenir de tous nos bâtons rompus, je sais que, sans que j’aie vraiment aiguillé la conversation sur ce sujet, N*** se dit toujours passablement en colère des malentendus et déséquilibres divers qui s’installent de lui aux autres, d’où son emportement et son mail après l’expression maladroite que j’avais employée sans penser à mal — voire : croyant l’amuser —, mais qui l’avait heurté.

 

*

*    *

 

Il évoque aussi une rencontre dont il attend beaucoup — et m’avait longuement parlé la fois dernière ou, auparavant, dans des mails : il est depuis quelques temps en correspondance avec un sud-Américain — correspondance en état d’apesanteur, s’enflammant à mesure, et ce, non sans rapport avec le prénom igné de ce beau quadragénaire sportif (selon les dires de N***, qui me convainc par son enthousiasme communicatif) à peine plus âgé que lui mais les cheveux argentés déjà — et la carrure qui consonne avec son envie d’un physique enveloppant et protecteur.

Bientôt, I*** sera en France, et il semble que N*** ne vit plus que suspendu à la perspective de sa venue.

 

Nous dînons à la cuisine. Il commente les sets de table disposés sur la table — un zèbre, une girafe, des motifs de fruits : ceux-ci pour les parents, ceux-là pour les enfants. Et conclut, ce qui m’amuse et me conquiert comme  le  diagnostic  d'un  fin  psychologue  à  propos  des  sets  parentaux : « Ils doivent s’aimer encore ». Et je veux donc croire un instant à cet oracle pour N. et Judith.

Au moment du dessert, je m’amuse à nouveau de ce que N*** prétende que le cheese-cake que je lui sers ne peut être aussi bon que celui de sa mère ! A quoi je réplique qu’il ne saurait être aussi bon non plus que celui de Neisha, la mère de S. Mais, de fait, celui que j’ai acheté n’est à la hauteur d’aucune de nos attentes...

 

Plus tard et à son instigation, la conversation roule longuement sur les nuits qu’on partage à deux dans un même lit. Sans trouver tout à fait abominables les « sommeils dans un même linge » à l’instar du héros d’A vau-l’eau, je sais dès longtemps combien les corps ont besoin, s’ils ne veulent se mentir, de recouvrer un espace à soi. J’entends bien l’idéal de N***, qui me dit mettre au-dessus des rapports sexuels mêmes la tendresse : il m’est arrivé de la vivre — je songe à Julien un instant, le seul en six années avec qui j’ai passé une nuit entière —, mais, comme l’exception ne fait pas la loi, j’en ai pris depuis longtemps mon parti : cette séparation de corps est moins un drame peut-être qu’une affirmation d’indépendance, sinon même une nécessité, tenté-je d’expliquer — sentant pourtant que je ne saurais convaincre, que je parais avoir le cœur sec ou rebuté.

Partant, je m’irrite aussi un peu qu’il paraisse m’assimiler aux tenants de ces rencontres fortuites, mécaniques, répondant à quelque besoin utilitaire, qu’il dénonce avec tant d’emportement. Car j’aime moi aussi non seulement les préliminaires mais tout autant les moments après l’amour, n’ayant jamais réduit le sexe à la génitalité — ni n’ayant d’ailleurs véritablement éprouvé la tristitia non plus que le tædium vitæ censé rendre l’animal triste après la joie orgastique. Cependant, je me défends mal, j’en ai peur, de la rage de N***, qui s’anime sans doute non contre moi, mais vise ces consommateurs étroits, ces prétendues “bêtes de sexe” dont il a croisé la route, ou avec qui même il a dû partager la couche...

Quoi qu’il en soit, lui me raconte avoir longtemps dormi avec sa sœur, ses cousins, des moments heureux et conviviaux, ce dont on l’a brusquement privé à l’adolescence. (Ce disant, N*** livre quelques détails de l’éducation qu’il a reçue, et j’entrevois un instant le petit garçon affectueux qu’il a pu être — ce à quoi, sans crier gare, on a mis les bornes sans ménagement un jour, dans une vision étroite de la sexualité, ignorante des « amours enfantines » chantées par Baudelaire et Freud...)

 

Dans tous les cas, et depuis, dans les nuits passées avec des partenaires toujours un peu en deçà des attentes qu’on en peut avoir, « [c]e n'est pas seulement l'érection perdue : c'est  [à l’évidence] le perdu lui-même qui prend toute la place » 

 

*

*    *

 

(Quelques temps plus tard, songeant à lui certain vendredi de la mi-mai, j’écris à N*** :

 

Tu sais […] combien j'ai la mémoire des dates et des chiffres : je n'aurais pas oublié la venue ton lover argentin...

:)

J'aurais donc pensé bien à toi.

— Et toi tu dois avoir la tête fort accaparée !...

 

[…]

 

Il fait un temps calamiteux ici. Ce n'est d'ailleurs pas un temps à accueillir un Argentin en France ^^. Mais s'il a les dons de Gene Kelly, ce peut être l'occasion, non d'une valse, mais d'un très beau tango. :) Et je ne doute pas que, son prénom aidant, il brûle d'un feu intérieur... ;-)

 

Je renouvelle d'affectueuses pensées.

 

Take Care.

 

— et reçois bientôt une réponse dont l’humour qui se tresse à la tristesse me rappelle un autre message que j’avais reçu de lui en tout début d’année, lequel me poursuit après quelques mois encore — et explique peut-être les emportements de N*** auparavant et ensuite...

 

*

*    *

 

Ce soir-là, je suis content de voir N***. Plus démonstratif qu’à mon ordinaire, je l’enlace affectueusement.

 

(Cependant, à reconsidérer les différents moments où nous sommes vus depuis, je ne puis m’empêcher de songer que je me leurre peut-être sur l’idée d’un même plaisir de son côté. Je ne sais quel dépit, quelle colère, quelle amertume le travaille, qui paraissent entacher la joie même de nos dernières retrouvailles...)

 

 

 

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