Archive GA CDXV - Paris-Naples / Napoli-Parigi (journal extime) - 23 avril-5 mai 2013 (14)
Paris-Naples / Napoli-Parigi
Journal extime
(23 avril - 5 mai 2013)
14
3 mai
RV avec Valérie (et T. ?)
V en avance sur le trottoir face à moi Pl de la Sorbonne ne m’a pas vu
Le coffre-fort.
T. arrive bientôt. Passation du livre.
PM avec T.
Gibert. Je propose d’aller voir l’expo du musée Cluny. Se plaint d’avoir trop marché. L’a déjà vu. De devoir faire la queue. Pas de file d’attente. Mais non.
Ns recherchons la place Maubert dt parle Eco ds 1 de ses romans : Th déçu.
Guide vert dt des passages st surlignés, nous cherchons ensuite les arènes de Lutèce.
Co ns sommes proches de Jussieu, ns ns posons ds ce bar où j’ai mes habitudes.
Puis Institut du Monde arabe. Terrasse.
Il est 17 h 20 : pas retour chacun ds son studio ou appart.
Place des Vosges. Autre halte place du marché Ste-Catherine (je songe à L***, avec qui j’avais RV
Dînons très correctemt & copieusemt rue de Lappe.
Je n’ai js passé tant de tps avec lui, q je vois pourtant ttes les semaines. Moments agréables où nous avons devisé.
------------
3 mai
J’ai rendez-vous avec Valérie à midi. Peut-être (ainsi que déjà évoqué) T. viendra-t-il également.
La rencontre serait doublement exotique : T. et Valérie ne sont pas rencontrés depuis cinq ou six ans au moins ; nous avons tous coutume de nous retrouver à ***, et non pas — même si, avec Valérie, c’en est la seconde fois — à Paris.
J’aperçois Valérie, en avance comme à son ordinaire, sur le trottoir face à moi, Place de la Sorbonne. Elle ne m’a pas vu et paraît un peu tendue.
Je la rejoins. Il vente un peu, mais il ne fait pas si froid. Je propose que nous nous installions à une terrasse de café, d’où nous verrons bien arriver T.
De fait, il est bientôt là. La conversation se fait plutôt naturellement entre eux, entre eux et moi. Chacun est sans doute soulagé qu’il en soit ainsi. Je sors bientôt le livre écrit par cette connaissance qu’ont en commun T. et Valérie, prêté par ce dernier et que je lisais assez péniblement à Naples, mais que Valérie se montre curieuse de découvrir — et qu’elle devra donc rendre à T., ce qui obligera ces deux-là à se revoir, ce en quoi, dans mon esprit, réside la principale raison d’être de cette passation. Naturellement, Valérie est pressée. Elle a déjà mangé. Elle nous laisse pour reprendre un travail qu’elle n’a quitté qu’une petite heure et demie — et dont je note qu’elle ne s’est pas plainte.
*
* *
Toute une après-midi s’offre à nous, T. et moi, qui plus est dans des circonstances inédites. Nous prenons la mesure l’un et l’autre, lui plus sans doute que moi, de l’enjeu que cela représente. Comme nous en sommes tout proches, T. propose d’aller chez Gibert. Je le suis volontiers dans les rayons, tout en cherchant moi-même quelque livre d’occasion qui pourrait me convenir. Et sortons cependant sans rien avoir acheté.
Je suggère de voir l’exposition du musée Cluny. Mais T. a trop marché, a déjà vu jadis l’endroit, ne veut pas faire la queue. Je crois pouvoir le faire changer d’avis en nous rendant sur place, où, de fait, la file d’attente se réduit à quelques personnes seulement. T. m’oppose néanmoins une nouvelle fin de non-recevoir. Je n’insiste pas. Il m’entraîne alors place Maubert, dont parle Umberto Eco dans un de ses romans (j’ai oublié lequel entre-temps), où, face à ce carrefour réduit à quelques immeubles sans âme particulière, T. se dit déçu.
Je comprends bientôt qu’il a déjà balisé son itinéraire : il compulse régulièrement son Guide vert, dont certains passages sont surlignés en jaune, à la recherche des arènes de Lutèce. Je me montre curieux de cet endroit dont j’ai entendu parler mais sans y avoir jamais mis les pieds. Au passage, je photographie la station de métro attenante et ses architecture et décoration bien reconnaissables des années vingt-cinq ou trente
— tout en songeant à son cousinage avec Vaneau, aujourd’hui défigurée par les travaux.
Puisque nous en sommes proches et que, finalement, nous avons déjà passablement marché — cette fois, je rejoins son sentiment du début d’après-midi —, je suggère à T. de nous poser dans ce café près de Jussieu où j’ai mes habitudes. Nous y buvons une première bière.
T. a entendu parler de la terrasse panoramique de l’Institut du monde arabe, dont je connais bien la bibliothèque pour y avoir bénéficié du Wi-Fi lors de séjours précédents. Je doute qu’on puisse y accéder, mais, comme nous en sommes tout proches, nous nous y rendons, bientôt propulsés en quelques poignées de seconde par un ascenseur qui nous hisse là avec une amabilité et un silence obéissants. Nous nous attardons un peu à contempler les deux îles face à nous et Notre-Dame où je songe une nouvelle fois que je ne suis jamais allé.
En sortant, sur le parvis, nous croisons, entouré de quelques personnes qui trottent à son rythme, un ancien ministre de la Culture, qui, se voyant reconnu, nous salue avec onction comme si nous étions de ses connaissances ou s’il se croyait encore en campagne. En commentant ensuite cet événement minuscule, nous nous reprochons d’avoir spontanément obéi à quelque politesse automatique en lui répondant, alors même que nous avons parfois raillé ensemble l’enthousiasme « foormidâââble » — T. imite assez bien ces intonations — dont il assortissait ses commentaires et apparitions en homme volontiers courtisé par les médias, et nous pouffons comme des gamins de cette mésaventure.
Je ne sais plus ensuite qui a l’idée d’aller revoir la brique rouge de la Place des Vosges — où je me souviens avoir déjeuné avec S. et son père il y a de cela bien longtemps, la plus belle place de Paris disait naguère ma mère, fâchée depuis avec les noms et la géographie. Nous continuons donc à fourbir nos semelles jusque là tout en les traînant un peu — si bien que je suggère une seconde halte Place du marché Sainte-Catherine — et je songe à L***, puisque c’est là que nous nous sommes retrouvés la toute première fois après nous être fixé rendez-vous devant Saint-Paul.
Il est l’heure déjà de l’apéritif, bientôt de dîner, et je laisse à T. le soin de trouver une adresse dans son guide vert où nous pourrions dîner dans le quartier de Bastille.
Nous dînons correctement et copieusement rue de Lappe.
*
* *
Je n’ai jamais passé tant de temps avec lui.
Je vois pourtant T. toutes les semaines, chaque vendredi ou presque — T. étant attaché à toutes sortes de rituels destinés à le rassurer, de même que, lorsque nous retournons dans de mêmes endroits, il tient à occuper la même place — ce sur quoi ironisent parfois les serveurs, qui sourient du couple singulier que nous formons, attaché à sa table habituelle et commandant toujours les mêmes plats —, me demandant parfois de me mettre à tel endroit plutôt que tel autre afin de lui éviter une promiscuité qui l’angoisse, ce qui ne me dérange nullement puisque je me sais parler si peu fort que nos voisins immédiats ne sauraient surprendre telle anecdote intime… Le temps passant, en effet, et lui-même m’y encourageant, T. est devenu un confident avide des détails croustillants (pourtant jamais méchants) que je distille à plaisir auprès de lui, et ce, tout à rebours de ce que je peux écrire ici de manière extime et pesée — au point qu’il m’est parfois arrivé de me demander s’il ne vivait pas par procuration mes rencontres souvent peu raisonnables (et fort peu raisonnées d’ailleurs) avec des garçons qui pourraient être mes fils mais qui paraissent venir naturellement à moi comme dans une parabole évangélique inversée — lui ayant, semble-t-il, renoncé à toute aventure qui pourrait, le lendemain, paraître frustrante. Ces soirs-là comme ce soir-ci, nous devisons agréablement, pendant que je m’emploie à trier le bon grain de l’ivraie dans l’examen tout extérieur que T. me permet des moments de mon existence que je lui retrace, préparant quelquefois d’ailleurs ce que j’écrirai ici.
(Retraçant cette soirée, je me dis que T. est peut-être en passe de devenir l’ami masculin que jouait naguère J.-M., certes moins distant et plus impliqué, J.-M. ayant une empathie d’aîné à mon égard...)
Mais c’est aussi très progressivement que nous sommes devenus intimes. Nous nous connaissons depuis un peu plus de vingt ans, avions sympathisé d’emblée — même si nous nous voyions dans un première période, plutôt longue, de loin en loin. Quand je l’ai connu, T. avait vingt-cinq ans, était plutôt joli garçon, un blond aux yeux bleus légèrement plus petit que moi, ce pour quoi, je suis toujours sensible, cela n’arrivant guère, et me sens toujours comme investi, pris alors d’un penchant plus ou moins protecteur.
R. n’appréciait pas trop T. Aussi ne prenions-nous, T. et moi, que des verres en journée, à des intervalles, me semble-t-il, alors irréguliers. (C’était, il faut dire, avant que T. ne conçoive une phobie des assemblées nombreuses, avant une dépression qui a laissé des séquelles aujourd’hui encore. Il y a une dizaine ou douzaine d’années peut-être, un soir où nous dînions — je revois encore précisément où — T., d’abord embarrassé mais résolu, m’a fait l’aveu qu’il était homosexuel. Je ne m’attendais pas du tout à ce coming out, ni non plus qu’il n’ait pas compris d’emblée que R. et moi, même si nous ne vivions pas ensemble, formions un couple, et ce sont donc des méprises que nous nous sommes employés ce soir-là à dissiper.
De ces toutes premières confidences ont découlé toutes les autres, qui sont devenues régulières ces six dernières années, depuis qu’il a fallu me séparer de R.)