1022 - En Bretagne (3)
EN BRETAGNE
(journal extime)
(9 août - 21 août 2019)
3
11 août, Nantes
Matin
Le Musée des Arts est plus riche que je me le rappelais (je l’avais visité quelque vingt ans auparavant). Les cartels explicatifs sont bien faits et intéressants — ceux du moins que je consulte, car ils sont souvent copieux.
Georges de La Tour, l'Apparition de l'Ange à saint Joseph dit aussi le Songe de saint Joseph, vers 1640, Huile sur toile
Le musée ne possède pas moins de trois toiles de Georges de La Tour — dont l’œuvre, je crois, n’est pas très copieux —, et, comme la veille, je suis sensible à ce tableau (caravagesque) représentant l’imposition des mains de Jésus sur les yeux de l’aveugle de naissance, sans doute parce qu’« [u]ne vive émotion anime la scène, l’artiste s’attardant […] à valoriser les vertus de charité et de compassion plutôt que le miracle ».
Ce doit être ce même « caravagisme inspiré par celui de Ribera » qui m’aimante vers ce probable autoportrait d’artiste, à moins que ce ne soit l’« allégorie des arts (peinture, littérature, sculpture) » que « suggèrent la nudité, le drapé à l’antique du modèle et les attributs qui l’entourent (toile et pinceau, livres, buste sculpté) ».
Plus loin, une toile immense me retient par ses représentations allégoriques et sa tension dramatique, dont je ne pénètre pas immédiatement le sens
Theodor Boeyermans, les Vœux de saint Louis de Gonzague, 1671, Huile sur toile
— tandis que me séduit plus peut-être que d’ordinaire, par sa robuste simplicité, ce petit tableau dont j'apprends qu'il est « du début de la carrière de Watteau ».
Jean-Antoine Watteau, Arlequin empereur dans la lune, Vers 1707, Huile sur toile [d'après la comédie italienne Arlequin empereur dans la lune de Nolant de Fatouville]
J’obéis à d’autres ressorts et réflexes, qui doivent toucher des traits fort ancrés en moi — des goûts ou des tics (certains remontent à l’enfance) — ou qui constituent des pas dans mes pas, pour les autres stations devant les œuvres.
Alfred Stevens, Marine. Clair de lune sur la mer, Vers 1836, Huile sur toile
François-Louis Français (1814-1897), Au bord de l’eau, environs de Paris, 1861, Huile sur toile
Eugène-Louis Boudin, le Port de Dordrecht, 1882, Huile sur toile
Jean-Léon Gérôme, Pifferaro [joueur de fifre], 1856, Huile sur papier collé sur bois
Paul Buffet, le Défilé de la hache, 1894, Huile sur toile
Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938), la Mort de la pourpre, Vers 1914, Huile sur toile
Auguste Rodin, Victor Hugo écoutant les sirènes, 1897-1902, Bronze, fonte Alexis Rudier, 1923
Auguste Rodin, les trois Ombres, Vers 1880-1886, Plâtre modèle probablement réalisé à partir de trois épreuves tirées d'un moule de la Grande Ombre, assemblées sur une même base
Me console de n’avoir vu l’exposition le Modèle noir, de Géricault à Matisse à Orsay, qu’Aymeric a pu parcourir et a aimée, à laquelle je songe par raccroc, cette extraordinaire danse de sorcier de Hubert Ward, dont la force, le dynamisme — pour tout dire (même approximativement dans ce qu'il a de charge de colonialisme et de vision sidérée) : — l’ensauvagement amusent autant qu’ils étonnent et prennent :
...tandis que ce double autoportrait réalise en peinture mon souhait, récurrent, d’écrire à quatre mains !
Je visite également, dans la Chapelle de l’Oratoire, une exposition d’œuvres de Mircea Cantor. Et mon attention est surtout retenue par cette main tenant un stylet en feu, dont j’aimerais assez qu’elle caractérise le geste de tout artiste (la photographie s’intitule d’ailleurs The Hand of the Artist) ou la mise en danger à quoi s’expose l’écrivain — alors même qu’une involontaire ironie veut que mon geste photographique, sans portée, se reflète sur la vitre du cadre.
Je ressors de l’endroit après plus de deux heures pour aller déjeuner et sans avoir tout vu.