1023 - En Bretagne (4)
EN BRETAGNE
(journal extime)
(9 août - 21 août 2019)
4
11 août [suite]
Après-midi
Je sacrifie à ma première [?] crêperie (j’y ajoute même une bolée de cidre). Une sorte d’établi tournant permet à un préposé aux crêpes de verser la pâte qui prend alors sur des plaques chauffantes sans presque discontinuer. Pour aggraver l’impression déjà pénible d’inauthenticité, on me sert ma crêpe roulée dans un cornet ! Comme je m’en ouvre au serveur à qui je paie tout en lui disant trouver peu pratique ce mode de consommation quand je lui aurais préféré une assiette, une fourchette et un couteau d’autant que je m’y suis graissé les doigts — après tout, c’est lui qui m’a demandé comment mon repas s’était passé… —, il m’offre pour réponse un rince-doigts, trait d’humour ou d’ironie que je ne sais comment interpréter, mais que j’empoche sans m’en servir.
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Je retourne au Musée des Arts, non sans faire le détour par la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, dont je ne me rappelais pratiquement rien.
(Comment ai-je pu oublier pourtant le tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix ? Sans doute n’ai-je visité les lieux qu’une seule fois, mais — si je me souvenais bien de la place toute proche et sa colonne Louis XVI (l'appelant dans mon esprit "Place Royale", à tort, puisque cette dernière, je le découvrirai bientôt, se trouve ailleurs) — comment cela a-t-il pu tomber dans pareil souterrain d’une mémoire si obscure qu’on peut, à juste titre, s’en désespérer ?).
Michel Colombe, Tombeau de François II de Bretagne et de Marguerite de Foix, 1502-1507
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« Mais il est inutile et décevant d'essayer de traduire en paroles l'impression que peut faire un tableau. C'est déjà beaucoup de se sentir un peu moins pauvre en quittant le musée qu'en y entrant, et surtout d'emporter le sentiment d'avoir vécu, pendant quelques minutes, un peu au-dessus de la vie ordinaire. »
Julien Green, Journal intégral (1919-1940)1, édition établie par Guillaume Fau, Alexandre de Vitry et Tristan de Lafond, Robert Laffont, “Bouquins”, 2019, p.281.
Du musée, il ne me restait, en fait, que quelques salles à parcourir. Mais l’intérêt ne faiblit pas.
Edgard Maxence (1871-1954), l’Âme de la forêt, 1898, Huile sur toile
Maxime Maufra (1861-1918), la Récolte des goémons, 1891, Huile sur toile
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Sorti de l’endroit, je constate, en consultant mon téléphone, que la réservation effectuée quelques heures plus tôt à La Cigale au moyen d’Internet est demeurée sans réponse. Je décide de m’y rendre à pied, occasion de vérifier si ma mémoire toponymique est bonne encore — et réactualiser quelques souvenirs.
Je découvre une première installation dans le cadre du Voyage à Nantes dans un passage.
Une autre installation (Reconstituer par Stéphane Vigny) Place Royale a été investie par des militants qui posent la question de la responsabilité de la police dans la disparition depuis le 22 juin de Steve — dont on soupçonne fortement qu’il a disparu dans la Loire. La figure de la République qui domine la fontaine paraît s'emparer, elle aussi, de ce questionnement...
Je retrouve le chemin pour le passage Pommeraye, non loin de là
— et, toujours sur les traces de Jacques Demy, de Dominique Sanda et d'Anouk Aimée, poursuis, sans peine, jusque La Cigale.
Un serveur agréable prend la réservation et me laisse faire des photographies dans les salles (il est presque 16 heures et certaines salles sont vides).
Je poursuis mon pèlerinage. A plaisir et sans nostalgie. D’abord devant le Katorza — où la figure de Buster Keaton, prêt à faire un plongeon malheureux2, m’émeut avec force —, puis rue Kervégan.
Je m’arrête dans un café dont les toilettes m’amusent tant du fait de leurs fûts de bière éventrés que de l'inscription qui les accompagne (je fais un cliché en pensant à Paul), afin d’effectuer une connexion Wi-Fi, pour m’apercevoir que j’ai pris près de deux cents photographies — dont, il est vrai, beaucoup en double ou triple afin de ne pas rater mes prises.
Soir
Je trie et légende les photos de la journée.
Je me couche ensuite — et lis.
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1 [Ajout du 22 mars 2020 :] C'est ma lecture du moment, rapportée de mon dernier voyage à Paris, treize cents pages idéales — s'il arrive que je sois agacé — pour un confinement. J'en reparlerai sans doute. C'est à Green que j'ai emprunté « lassement », jamais lu nulle part, que j'ai adopté aussitôt dans mon goût immodéré des adverbes (auquel, pourtant, je tente d'opposer de plus en plus de résistance…).
2 [Ajout du 18 mars 2020 :] J'apprends incidemment, en consultant la brochure éditée pour “Le Voyage à Nantes”, que la silhouette de Buster Keaton relève aussi d'une installation de Stéphane Vigny, lequel, « [à] l'aube des cent ans de l'emblématique cinéma Katorza, […] propose un hommage aux sources du cinéma burlesque. […] [L]e célèbre Buster Keaton demeure imperturbable, alors qu'une partie de l'enseigne du cinéma s'effondre sur lui. » Au moins le dessin du projet, différent de la réalisation définitive, offrait-il le secours d'une bouée au pauvre malheureux amené — m'avait-il semblé — à se jeter de son plongeoir dans le vide !