1024 - En Bretagne (5)
EN BRETAGNE
(journal extime)
(9 août - 21 août 2019)
5
12 août
Je fais des rêves agités et désagréables. Morphée vaincu, je lis pour chasser tous les incubes ou autres démons indiscrets de la nuit, et finis par me lever puisque je pressens que je ne saurais me rendormir.
J’ai beaucoup de mal à trouver l’arrêt d’un bus dont je sois certain qu’il me mènera jusqu’au centre de Nantes. Quand enfin, après avoir fait un large tour de quartier, j’en suis assuré, je m’effare du nombre de ronds-points que rencontre mon véhicule, et c’est seulement à 11 heures que je me trouve débarqué au pied de la Tour de Bretagne.
Je découvre bientôt La Fabrique, « laboratoire(s) artistique(s) » — ainsi qu’inscrit sur la façade —, « entité culturelle municipale multisite », assez récente (2009) pour que je ne l’aie jamais vue, et, première occasion de se sentir revenu en enfance, je me laisse prendre par ce camion perché et ces créatures fantaisistes échappées d’un livre illustré ou d’un conte.
Mon ticket étant valable encore, je prends le tramway pour me rendre sur l’Île de Nantes.
En chemin, brusquement, une adresse me revient : si je prolongeais de quelques centaines de mètres, je serais au pied de l’immeuble où R. habitait.
Je descends néanmoins avant d'être en vue du pont qui y mène, oblique à droite en direction des Machines de l’Île. Quand j’y parviens enfin, une file impressionnante stationne devant la billetterie. J’hésite donc à voir ces animaux mécaniques que me vante le guide.
Une forte averse disperse mes dernières velléités. Et je me réfugie à l’intérieur d’un café. Alors que je m’apprête à déjeuner là et commander une salade, le serveur venu encaisser ma bière me rétorque que ce n’est pas encore l’heure. Je me le tiens pour dit et m’en vais donc à la faveur d’une éclaircie.
Celle-ci, de courte durée. Une pluie plus forte que la précédente encore tout à coup se déclare et je me réfugie sous la galerie couverte qui fait office de gare pour l’éléphant mécanique, lequel ajoute — détail trivial et réaliste — à toute cette eau son pissat ironique.
Après-midi
Je mange alors un mauvais sandwich pour tromper l’attente d’un retour au sec.
L’éléphant est parti ; mais, lent de par son mimétisme avec ses cousins d’Afrique et d’Asie, le pachyderme n’est pas bien loin, aspergeant facétieusement les passants avec sa trompe.
Entre-temps, la foule s’est clairsemée et la file est moindre devant le guichet. Mais, m’étant assez diverti, j’ai renoncé, n’ayant plus assez l’âme d’un enfant qu’on mène voir des animaux virtuels, ni même d’ailleurs des vrais.
Le temps est mauvaisement incertain. C’est au gré des éclaircies que je chemine. Mes pas me mènent ainsi jusque devant le Tribunal judiciaire, puis, enjambant la Loire dans son Bras de la Madeleine, vais jusque l’espace Jacques Demy. Il n’est guère que 13 heures et l’endroit n’est pas ouvert.
Je vais alors en direction de la Place du Bouffay. J’entre, un peu par désœuvrement, dans deux magasins de chaussures. Puis dans un magasin qui vend des téléphones portables, dans l’idée de trouver quelque support pour mon téléphone portable à fixer sur le tableau de bord de la voiture plutôt que de l'installer dans le cendrier et ne pas bien voir le GPS dont j'ai installé l'application grâce à Mahmadiou. Dans ma déambulation, j’ai l’œil attiré par cette façade des Rigolettes nantaises, dont je n’avais gardé aucun souvenir, au numéro 26 de la rue de la Marne.
Façade des Rigolettes nantaises par le mosaïste Isidore Odorico
C’est guidé par le seul hasard que je découvre d’autres lieux fléchés pourtant par le dépliant du Voyage à Nantes (pas encore en ma possession) : une pierre qui parle, une exposition sur la possible création du monde par Dieu. — Même si l'endroit ne manque pas d'attrait, je fuis.
Mais je me suis (donc) au passage muni de la carte au trésor du dépliant et j’en suis — cette fois — le parcours, jusqu’à la Tour Lu,
(Nid par Tadashi Kawamata)
Le téléphone — comme je suis incapable de téléphoner en marchant — interrompt ma promenade : Claudie m’appelle, qui n’a pas du tout retenu les dates où je serais absent de ****, alors même que j’avais remarqué quand je l’avais appelée par erreur à Edimbourg qu’elle ne semblait pas noter que, dans nos pérégrinations, on ne risquait pas de se voir avant fin août…
J’achève ma promenade par la rue Kervégan, dont je photographie les façades des numéros 19 et 13.
Puis je vais dans le même café que la veille.
J’y écris ces lignes-ci.
Soir
Je n’aurais jamais imaginé dîner un jour seul à la Cigale. Je n’en conçois aucune amertume — et préfère m’amuser de cette ironie somme toute passable.
Auparavant, j’ai commis la sottise d’entrer dans le GPS « Espace Jacques Demy » (non loin duquel je comptais me garer et peut-être pénétrer), qui m’a emmené par l’autoroute jusqu’une localité improbable hors de Nantes, tant et si bien que j’ai manqué d’arriver en retard.
Le dîner est un peu décevant. Comme dans le souvenir que j’en avais gardé, le service est expédié à toute allure. Le serveur renverse à mes pieds la jatte avec laquelle il a préparé un steak tartare.
Je joue les indulgents, en m’amusant qu’il doive se mettre à mes pieds pour réparer les dégâts. Mais cela n’est qu’une compensation faible à ma déception.
Rentré, j’écris à T. — puis à Aymeric :
Bonjour Aymeric,
Merci de ton message, auquel je réponds en différé faute à la fois de temps mais aussi d’une connexion Internet depuis que je suis à Nantes.
Trois photographies en pièces jointes qui témoignent d’une pensée en parcourant le Musée des Arts de la bonne ville de Nantes : les premières à cause d’une exposition à Orsay que je n’ai pu voir à temps (elle s’achevait le 21 juillet), et la dernière, en souvenir d’une autre expo au même endroit, que nous avons parcourue ensemble.
Amitiés,
Romain
PS 1 - (Herbert Ward, le Sorcier, 1902, bronze ; Paul Sérusier, la Moisson vers 1912, Huile sur toile.)
PS 2 - A Chartres, l’enfant de chœur de Soutine m’a ironiquement signalé être parti se mettre au vert (?) au Louvre Abu Dhabi. (Tu le verras peut-être cet automne à Paris…) Je n’ai eu pour me consoler (ou presque) que le chapeau et le pinceau du peintre ! (Heureusement, Soutine est venu à Chartres et a peint ses escaliers en 1933. Dommage que l’éclairage des lieux ait un peu éclaboussé la toile…)