1029 - En Bretagne (8)
EN BRETAGNE
(journal extime)
(9 août - 21 août 2019)
8
14 août [suite]
Fin d’après-midi
Concarneau. Ville close. Bcp de touristes, « l’1 des plus fortes concentrations au m2 ». Il ne pleut plus.
Arrivée. Courses.
Couteau pour peler une pomme. Colère.
Ecris à Aymeric et T.
Hésite encore pour Pascal et F.
[La retranscription de mes notes est à quelque degré un exercice de remémoration salutaire, mais j’avoue mes souvenirs pris en défaut, et j’ai dû m’aider du courriel envoyé à T. pour reconstituer le fil de ces événements ressortissant à l’« infraordinaire » de cette fin de journée :]
Sur ma route vers Brest, je fais halte à Concarneau. Je gare la voiture assez loin du centre, obéissant aux injonctions du GPS. De fait, beaucoup (trop) de touristes s’agglutinent vers le front de mer et la forteresse — « l’une des plus fortes concentrations au m2 », ai-je lu [je suppose, en effet, que la citation provient du guide]. Il ne pleut plus, mais ces remparts, assez laids, ces ruelles bordées d’échoppes à touristes et trop achalandées, ne donnent guère l’envie de s’attarder.
J’arrive en fin d’après-midi à Brest.
Je fais quelques courses dans une supérette assez éloignée de l’appartement où je loge et rentre dîner.
Le couteau dont je me sers pour peler une pomme est si peu affûté que je suis obligé d’entamer exagérément la chair du fruit, ce qui me met en colère contre ces logeurs qui mettent à disposition de leurs locataires les rossignols dont ils n’ont plus l’usage — logeurs par lesquels on est de moins en moins accueilli, puisque quelques digicodes de porte d’entrée ou des boîtiers sécurisés contenant des clés suffisent comme sésame pour accéder à leur antre : précisément Yohan m’avait fourni toutes les instructions nécessaires pour que j’entre « sans que [s]a présence soit nécessaire »...
Soir
J’écris à Aymeric et T.
J’hésite encore quant à savoir si, au retour, je m’arrêterai chez Pascal et F. Cela supposerait de les en avertir, et peut-être de les déranger.
Salut T.,
Ai quitté Nantes avant-hier, en faisant mes adieux au Passage Pommeraye (il y avait beaucoup moins de monde à dix heures et des poussières du matin qu’en pleine journée !).
Oui, la Cigale est relativement cher — on fait payer le décor, un peu comme à l’E****, à hauteur d’environ 20% d’une même addition ailleurs —, et d’ailleurs on y mange un peu moins bien qu’autrefois, même si l’on sait toujours y faire la sauce au beurre blanc ^^ !
Depuis, après quelques crochets divers — j’ai vu à Rochefort-en-Terre (« village de caractère » qui doit se distinguer ainsi du Rochefort[sur-mer] du décidément très présent Demy ^^!) un premier calvaire breton —, suis parvenu à Quimper avant-hier soir, où je suis resté une partie de la journée. Je cherchais la fraîcheur en Bretagne : cochon qui s’en dédit ! — Il a plu toute la matinée sans discontinuer, et il pleuvait encore l’après-midi quand je me suis mis en route vers Brest, où il fait encore bien gris :(
[…]
Enfin, pour répondre à ta question, je rentrerai soit le 21, soit le 22 si je joins Pascal et F. et qu’ils sont chez eux pour m’accueillir… Dans tous les cas, ne tiens pas compte de moi pour [voir] Paul et Marthe, fais à ton idée.
Amitiés,
Romain
15 août
Matin
L’immeuble où je loge, au dernier étage pourtant, s’avère sonore. Des allées et venues dans l’escalier me réveillent. Il est tôt.
J’entreprends un premier tour en ville. De Vauban à Vauban, de Concarneau à Brest, une continuité s’établit. Pourtant, ce sont encore et toujours des lieux que je ne reconnais pas.
J’ai beau invoquer quelque lézard qui susciterait l’anamnèse, puisque, devant le château de Brest, je me rappelle avoir contemplé deux décennies plus tôt — mais c’était un jour ensoleillé, autrement « plus brûlant qu’aujourd’hui » alors même qu’il menace de pleuvoir sur Brest —, à défaut de marins, une bestiole qui se pâmait au soleil… Or, tout ce que je réussis à produire (en l’écrivant) est la réminiscence d’un rêve qui actualise cette vision : la tête d’un lézard agonise alors que la tête vit encore !
N’ayant aucun désir de visiter le musée de la marine (qui n’est pas encore ouvert), je prends le téléphérique pour les Ateliers. Le ciel est gris gris gris.
Les lieux sont presque déserts. C’est l’Assomption, il est vrai.
Franchissant le Pont de Recouvrance, je visite ensuite la Tour Tanguy qui affiche « ouvert », aimablement accueilli par deux femmes à l’entrée.
J’apprends — à moins que je l’ai oubliée… — l’origine de l’appellation « rue de Siam1 ».
Et je m’amuse des paroles de A Recouvrance, lues dans un livret [?] préfacé par Pierre Mac Orlan.
(Je ne peux me défaire ensuite de l’air — et des paroles — de “La Chanson de Margaret”. [Je n’ai pas trouvé sur la toile la version, que je connaissais, chantée par Barbara. Mais celle chantée par Marie Dubas, certes infiniment plus lente, me plaît beaucoup aussi.])
Comme, avant de partir, j’ai photographié un itinéraire du quartier dans la documentation mise à disposition par mon logeur, j’entame un premier circuit en direction de l’appartement. Mes pas dans leur itinéraire ont d’abord ressuscité — précisément — le protagoniste de A Recouvrance, Jean de Quéméneur, assorti de Fanny de Lanninon, dans une version uchronique de leur rencontre (si du moins je saisis bien l’intention) et la logique d’un univers parallèle qui, pour une fois, corrigerait heureusement un destin tragique — même si la sculpture a l’air d’indiquer entre les personnages une tension toute contraire, il s’agirait d’empêcher que l’un, le pauvre, ne tombe — et que l’autre, la pauvresse, ne meure sous des tapis de bombes…
Je reflue ensuite pour déjeuner en direction de l’appartement où je loge.
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1Cf. l’article que lui consacre Wikipédia : « Elle doit son nom actuel au débarquement de trois ambassadeurs du roi de Siam Narai, menés par Kosa Pan, dans ce port, le 18 juin 1686. Accompagnés de six mandarin, trois interprètes, deux secrétaires et une vingtaine de domestiques, chargés de nombreux présents, ils venaient rendre visite au roi Louis XIV à Versailles. Venus par mer, ils avaient voyagé à bord des navires l’Oiseau et la Maligne. Empruntant à pied la rue Saint-Pierre pour se rendre à l’hôtel du même nom, ils émerveillèrent les Brestois qui rebaptisèrent leur rue. »
Je ne suis guère étonné de lire dans ce même article ces propos de Jacques Prévert quant à ce qu’est devenue cette rue après les bombardements intenses de la Seconde Guerre mondiale : « Dans un entretien télévisuel, le poète l'a décrite comme “une rue chaude, dans tout le sens du terme[” ?], l'opposant au grand boulevard glacé qu'elle devint à la Reconstruction ».