Archive GA LXXVII - April in Paris (2)
April in Paris
(nouveau journal extime)
2
Transports en souffrance
Avant avant l’avant-veille (jeudi 15 avril [2010])
En attente de nouvelles de mes interlocuteurs. Pourquoi n’avoir pas davantage de décontraction ? M’inquiète particulièrement le silence de B***. De tous, je l’aurais dit le plus fiable — incapable de défection. Aussi ce silence est-il à n’y rien comprendre : je donnerais cher pour en connaître la raison.
La fois dernière à Paris, j’ai concrétisé par deux rencontres une correspondance déjà substantielle, vieille (si je puis dire !) de trois mois. Nous sommes aujourd’hui dans un même rapport de temps, B*** et moi. Et… par conséquent… ce silence est… à n’y rien comprendre — vraiment !…
Autant en octobre j’étais enthousiasmé des virtualités du site, autant, échaudé par des réactions inattendues dans des échanges que je pensais soit nourris soit bénins mais sincères (ou francs) de mon côté, j’ai appris à être, depuis, plus circonspect — sinon plus défiant…
En même temps, s’est trouvée différée depuis bientôt deux mois une promesse de réponse détaillée à nos messages souvent croisés, alors que je n’aurais pas osé demander pareil retour circonstancié.
— Mais, pourquoi se mettre martel en tête, pourquoi n’avoir pas davantage de décontraction, pourquoi n’être jamais quiet ? N***, après tout, n’avait fixé de rendez-vous que la veille même de mon départ ! Et notre relation entre-temps s’est indéniablement creusée ; elle s’est, entre-temps, approfondie.
Et il reste encore, en l’occurrence, quatre jours…
Encore une idée à laquelle je reviens : bientôt neuf mois que je suis inscrit sur le site. « Pour quel levage ? », me demandais-je en rentrant de Paris en octobre. Aujourd’hui, puisque j’y songe : pour quel accouchement ? (N***, lui, a plié bagage, ayant usé jusqu’à la corde, dit-il — à peu près —, la vie virtuelle…)
Neuf mois : la parturition — si le travail est, lui, indéniable — fait un peu long feu — sauf (naturellement… et — même si suis de moins en moins en gésine — j’en remercie mes interlocuteurs…) quelques pages d’écriture !
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Mais… que valent — au fond — et : spécialement lancées dans cet espace virtuel-ci — quelques pages d’écriture ?
Précisément, elles valent l’interlocution qu’on y gagne — quand on la gagne. A condition, toutefois, cela me paraît de plus en plus évident, que les mots de l’échange se concrétisent par et dans une rencontre qui ait du face à face, de l’animation, de la concrétion, de la réalité.
Car – j’y reviens de temps à autre… — que de dissymétries entre les personnes sinon ! (et que de dissymétries entre les personnes de toute façon !)
Avec Aymeric, avec N***, des alluvions au moins accompagnent… le cours du fleuve !
Autre question, qui n’est pas sans lancer de lancinants remords : n’ai-je pas préféré cet espace virtuel à d’opportunes réalités (quoique — nécessairement — à peu près invisibles, ces dernières !) ou d’autres modalités ? (Il faudra que je sache pourquoi boude JM, si cela a jamais à voir avec cela — ce dont je doute —, ce qui revient à dire qu’il faudra soit le travailler au corps pour qu’il exprime ce qui le tenaille, soit faire comme si de rien n’était ; dans les deux cas, cela sera difficile à dégrossir.)
(Alors que j’écris ces lignes-ci, Aymeric m’envoie un message qui précise — le mot est indéniablement juste — notre rendez-vous lundi. Comme pour attester l’écart entre l’imaginaire (même non fantasmé) et la réalité (même si celle-ci n’a jamais rien de vraiment appréhendable) !)
Et viens de recevoir, après l’avoir relancé, un message de J*** ! « Patience et longueur de temps… ».
Je songe au mot de Ponge — et souscris : on a toujours raison de préférer La Fontaine à Schopenhauer !)
Vendredi 16
Nicolas avait promis une réponse du mercredi au jeudi, qui n’est toujours pas venue… N*** n’a pas répondu, mais il a sans doute estimé qu’il n’en était pas besoin, que nous nous verrions dans tous les cas, que cela pourrait se décider au dernier moment… C***… tarde à faire connaître son jour !
Aujourd’hui, jour de Vénus, j’effeuille la marguerite.
Je n’attends pourtant de ces rendez-vous projetés rien d’autre que des rencontres amicales. Quoi qu’il en soit, tou(te)s ces inconnu(e)s me donnent le tournis !
N*** a raison de dire que les espaces virtuels sont avant tout ludiques. Il m’arrive de m’en amuser, d’ailleurs. J’ai néanmoins toujours un peu tendance à grever le jeu d’un peu de sérieux — qui ne convient au jeu, c’est probable, qu’à demi…
Même si… des jeux « sérieux », il en est malgré tout !
Samedi 17
J*** annule notre rendez-vous ! La fois dernière, il avait agi de même, dans une semblable « valse-hésitation ». (Mais peut-être son excuse est-elle vraie ?) Je continue de m’étonner du silence de B***. L*** se fait, lui, toujours attendre.
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J’apprends cependant en différé — car A. de passage chez moi prend doucement sur mon temps — des « nouvelles du monde » :
Sur le front du transport aérien, la moitié nord de la France connaît une paralysie quasi complète pour cause d'éruption volcanique en Islande, et d'autres aéroports sont également touchés plus au sud. Au total, 35 plateformes sont touchées par les fermetures ou vont l'être.
Les volcans — ces forces chtoniennes, tectoniques… et tutélaires — ont en tout cas bien raison de permettre à la terre de secouer ses puces et d’empêcher un peu les hommes de se livrer à leurs misérables activités. Pareilles nouvelles anticipent-elles néanmoins sur un retard de « mon » TGV (humain misérable que je suis !) — tout comme la fois dernière ? Et ne serai-je pas marri d’un tel contretemps, vouant aux gémonies les horribles grévistes (chéris d’habitude, mais, bon, cette fois je pourrais en perdre mon sang-froid et mon jugement) qui m’empêcheraient de circuler et d’arriver à temps à mon rendez-vous avec Aymeric ?
Et… du coup… B*** n’est-il pas arrimé à sa ville exotique, retardé d’atterrir, et — par là même — de m’écrire pour me préciser — précisément… — un « rendez-vous » ?
[vingt minutes plus tard]
Je lis ce dialogue sur le site, pour quoi je me sens, en l’occurrence, obliquement concerné :
Un gigantesque nuage noir, dû à une éruption volcanique, paralyse l’ensemble du trafic aérien dans le nord de l’Europe, jusqu’en France.
— Comme quoi quand la nature reprend le dessus, l'homme ne peut que plier et enfin prendre conscience qu'il est bien peu de chose. L'éruption du volcan en Islande qui paralyse tout le trafic aérien nous le prouve et tout compte fait c'est très bien.
Réponse :
« C’est très bien » : oui, disons que vous avez de la chance de ne pas vous trouver bloqué à l’étranger, avec des frais d’hébergement qui continuent de courir sans savoir jusqu’à quelle date, des jours de congé que vous perdez aux guichets d’une compagnie aérienne, des proches et des amis qui vous attendent et des délais professionnels dont vous ne savez pas si vous pourrez les honorer...
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Voilà qui pourrait (donc) assez bien expliquer le silence de B*** !
Voilà qui rappelle, également, des conversations avec R. et C., à qui j’opposais souvent le bénéfice du doute… formule que je pourrais m’appliquer à moi-même aujourd’hui !