1032 - En Bretagne (11)
EN BRETAGNE
(journal extime)
(9 août - 21 août 2019)
11
18 août
Il n’est pas encore dix heures quand j’entre dans Saint-Malo intra muros par la Porte St-Vincent (j’ai garé assez facilement la voiture Quai Duguay-Trouin).
La ville propose une belle unité architecturale. J’en commence le tour par les remparts au nord, stationne un instant, poursuivi d’endroit en endroit par le spectre de Vauban, devant le Fort National.
C’est la marée haute, tant et si bien que je n’accéderai pas au Grand-Bé pour méditer devant la tombe de Chateaubriand.
Je m’en console toutefois assez vite, et visite les lieux par cartographie et zoom interposés
— passant ensuite devant la maison natale du grand génie autochtone, guetté par son effigie Maison natale de Chateaubriand, Hôtel de la Gicquelais, 3 rue Chateaubriand [désormais !], dont j’aurai ainsi embrassé, en moins d’une heure, l'entière biographie.
Puis je vais à l'aventure.
Le soleil arrive peu à peu. Je prends une bière en terrasse, dont je trouve le prix exagéré. « Bienvenue dans la cité pirate ! » me répond avec humour le serveur à qui j’en fais la remarque.
Saint-Malo, ce dimanche, joue en tout cas les anti-Brest : tout est ouvert !
Après-midi
Je déjeune sur un banc proche de la voiture. Les automobilistes, désormais nombreux, tournent afin de trouver une place où stationner.
Je reprends la voiture et vais jusque Paramé — qu’Aymeric m’avait indiqué —, allant de la Grande Plage du Sillon à Rochebonne.
Boulevard Chateaubriand (les génies encombrent toujours les artères des villes où l’on retient leur souffle !), je vois d’autres villas.
Je visite ensuite les rochers sculptés de Rothéneuf, en songeant à J.-M. qui aimait l’art brut (plus que moi).
Feuilletant le guide, je découvre l'existence d'un Fort Du Guesclin — et je troque volontiers (j’aime avoir mauvais goût, et ce, contre « les vieilles pouffiasses littéromanes », telles celles qui se pressaient, paraît-il, à la fenêtre pour voir François-René se promener dans son jardin), même si c’est désormais marée basse, Chateaubriand pour Léo Ferré. Je m’attriste tout de même d’apprendre que c’est en ces lieux — qu’isole la marée haute du rivage et de la plage —
que « les mains de la mort » ont saisi Pépée, la guenon qui a eu le rôle-titre d’une étonnante chanson (moins étonnante en vérité que la façon dont cet animal s’était mis en tiers « chez les Ferré »).
Mais c’est à la Mémoire et la mer surtout que je songe.
Je poursuis ma route jusqu’à la Pointe du Grouin.
Cancale et ses parcs à huîtres sont magnifiques.
Mais que de chiens sur cette promenade en hauteur et que de familles, souvent à cran de devoir partager en vacances leurs journées dans la promiscuité !
Saint-Suliac, recommandé par Aymeric et que je parcours ensuite, est un village photogénique, qui décourage un peu cependant la prise photographique.
J’admire aussi les roses trémières.
J’égraine quelques fleurs sèches, et je dépose ces pastilles noires dans un cornet que j’improvise d’une feuille de papier [qui attend encore aujourd’hui, 9 avril 2020, dans mon jardin le geste auguste des semeurs que sont Valérie et Denis].
* * *
J’arrive à Rennes. Je loge chez la jeune fille elle-même, qui, après un échange bref et quelques recommandations d’usage, prend sa valise et s’en va. Cela me rappelle la fois où j’avais occupé l’appartement d’une jeune femme à Séville, où, plongé dans un univers féminin et célibataire, je m’étais senti en tiers dans cette intimité qui se livrait d’elle-même et où il me semblait devoir déranger les objets et déposer des traces indiscrètes.
Le studio est agréable, qui ouvre sur un jardinet privatif, abrité des regards par des haies, où m’a-t-on dit je pourrais manger (ce que je ne ferai pas, le temps fraîchissant au fil des heures). Il se compose d’une kitchenette, un bar où manger sur des tabourets, des matelas à terre en quinconce — dont l’un sera mon couchage lorsque j’aurai écarté la dizaine de coussins qui les recouvre —, une table basse, quelques étagères et un meuble bas. La salle de bain attenante est petite, et il me faudra enjamber une baignoire sabot pour prendre des douches.
Soir
Comme le logement est sans Wi-Fi (la jeune fille se dit hostile aux ondes et autres manifestations échevelées de la vie moderne — il n’y a pas non plus de téléviseur, mais cela ne saurait me manquer, et je lui donne raison sur ses préventions — ; elle me désigne un amplificateur compact sur lequel écouter, si je le veux, de la musique, appareil dont je connais l’emploi, ayant le même chez moi), je vais au centre de Rennes avec la voiture.
Je fais une première reconnaissance dans un quartier [entre la Place Sainte-Anne et la Place Saint-Michel] où s’alignent de belles maisons à pans de bois. Mais bientôt la fatigue de mes plus de 35 000 pas enregistrés sur le mouchard électronique me rattrape et m’assigne à m’alentir.
Dans ce bar, où je me suis posé, d’abord à l’extérieur puis à l’intérieur auprès du comptoir pour avoir une meilleure connexion, la lenteur est extrême à télécharger les photos prises (près de quatre-vingts, il est vrai, durant la journée). Mais il n’importe : le serveur, rose et blond, a des blondeurs et des roseurs qui reposent. Et dont je ferais volontiers un reposoir. Dommage, me dis-je, — il faut se faire une raison — qu’il n’en sache rien.
Et je songe que je serai content — après cette rude journée bellement agitée — de verser dans un lit (sans vrai verseur ni serveur)…
-=-=-=-=-=-
[ajout du 12 avril 2020 :] Aymeric, à qui j’ai demandé son imprimatur pour ce billet — et parce qu’il le concerne indirectement, et parce que je lui avais promis de longue date un « reportage photographique » de ma journée de Saint-Malo à Saint-Suliac — m’envoie ces lignes-ci :
[…] Je ne pense pas que l’Institution de St Malo soit rue du Pélicot, mais plutôt rue du Collège. C’est dans ce lieu sinistre que j’ai « séjourné » de la seconde à la terminale. […] Pour le bac de français, mon prof était un curé ivrogne, qui n’avait que notre classe comme élèves, donc peu d'heures par semaine, et qui arrivait aux cours déjà largement imbibé et il passait la moitié du cours à tousser d’une toux très chargée et on se demandait à chaque fois s’il n’allait pas régurgiter son récent breuvage ou faire une hémorragie. Ceci dit, son cours, quand il pouvait parler, n’était pas dépourvu d’intérêt. Il n’avait aucun tabou dans l’explication des textes étudiés et jamais son engagement religieux ne transparaissait dans son enseignement. J’avais un autre curé, comme prof d’anglais, connu pour son goût pour les jeunes hommes mais, s’il était croyant en l’occurrence, il n’a jamais été pratiquant, du moins à ma connaissance.
Sinon, le (mon, notre !) confinement suit son cours. Aujourd’hui, j’ai démarré ma voiture pour la première fois depuis plus d’un mois. Plus pour la faire tourner que par vrai besoin. Ça m’a quand même valu un contrôle de police. Comme je m’étais auto-autorisé à sortir, tout s’est bien passé. Il semblerait qu’on en sache un peu plus demain soir sur ce qui nous attend pour les semaines qui arrivent. Il faut qu’on en sorte de ce cauchemar.
Et je lis, tout va bien.
Avec mes amitiés
Aymeric
Je lui envoie une réponse rapide pour le remercier du « roman en raccourci » que fait naître cette évocation d’une jeunesse malouine — et rectifie aussitôt mes légendes photographiques.