1040 - En Italie (3)
Si au moins…
ça pouvait ressembler…
à l’Italie !
[journal extime]
(19 octobre – 2 novembre 2019)
3
Lundi 21 octobre
Matin
Une file considérable se trouve devant le Centre Pompidou à 10 h 40.
Je me résigne, selon l’expression, à faire la queue.
Je lis donc — comme avant de partir la fois précédente en Italie du Nord — Stendhal, même si, cette fois-ci, ce n’est plus la Chartreuse de Parme mais le Rouge et le Noir.
Parvenu enfin devant le guichet, je m’entends dire qu’aucun accès à l’exposition Bacon en toutes lettres n’est possible avant midi et demie.
Comme j’ai fait la queue presque quarante minutes, je me résigne à attendre à nouveau et revois le collection permanente.
Je ne cède tout de même pas pour la énième fois au geste photographique face à certains tableaux.
André Masson, Homme dans un intérieur, [Hiver 1923-1924], Huile sur toile, Donation Louise et Michel Leiris, 1984
Pablo Picasso, le Verre d’absinthe, [printemps 1914], Bronze et cuillère à absinthe, partie supérieure recouverte de sable et partie inférieure peinte en blanc, Donation Louise et Michel Leiris, 1984 ; Henri Laurens, Construction, 1915, Bois et tôle de fer polychromes ; Juan Gris, Arlequin, [1923], Tôle peinte, Donation Louise et Michel Leiris, 1984
Kupka (František), Traits, plans et profondeur I, [1920-1922] Huile sur toile
George Grosz (1893-1959), Remember Uncle August, the Unhappy Inventor, 1919, Huile, crayon et collages sur toile
Mais j’ai plaisir à revoir les trois Bleu de Miró.
A 12 h 25, toutes les places ont déjà été vendues. Je me résous alors à partir et à réserver pour mon retour. Qu’il n’y ait pas de prévente sur place pour la demi-heure qui suit est tout de même bien irritant.
Fin d’après-midi
Un même rendez-vous que la fois précédente a été fixé devant le puits artésien du XIIIe arrondissement pour nous retrouver, Aymeric et moi. J’ai dû rechercher dans nos messages l’adresse, Place Paul Verlaine.
Aymeric me fait plaisamment remarquer combien, devant la piscine, la foule est moindre que lors du pic de chaleur de l’été dernier : de fait, il n’y a personne. Un quidam avisé est tout de même venu remplir une bouteille.
Nous nous posons dans un premier café. Aymeric dit vouloir boire la même bière que moi, mais pas une pinte. Le serveur se trompe, et sur la quantité, et sur la bière.
Je raconte assez longuement ce qui, ces dernières semaines, a rendu pénible l’exercice de mon métier. Je raconte aussi comment s’est constituée une liste pour les élections professionnelles, élaboration à laquelle j’ai participé. Comment sur les deux autres listes des réaménagements ont dû s’opérer — ainsi que les « circonstances exceptionnelles » qui ont mené à pareils remaniements : un candidat d’une première liste s’est avéré un militant du Rassemblement national, tandis qu’était évincée la tête de liste de la seconde après qu’avait éclaté une affaire de mœurs. Quand j’évoque l’affaire X, Aymeric a la même appréciation que j’avais eue en en apprenant les détails : « une connerie ». Et je dis comment, finalement, la nouvelle liste l’a emporté en nombre de sièges sur les deux autres qui lui préexistaient.
En retour, Aymeric me détaille ses propres obligations professionnelles. Comment il apprend à se détacher de contingences dont il n’est de toute façon pas l’auteur et dont il n’a pas la maîtrise. Comment s’organise la fusion entre les deux universités. Comment certains, hostiles à telle modalité d’application, ont retourné casaque. Comment certains encore entendent être consacrés « doyens ». — « Des gamins » conclut-il laconiquement.
Comme je le lui demande, il me donne des nouvelles sommaires de T***.
Nous parlons de l’Italie du nord. Il s’étonne que je parte en train.
Il prétend que passent comme un charme les sept heures du trajet. Il me vante les paysages après qu’a été passée la frontière. Je dis alors que je prendrai toutes les dispositions pour travailler avant d’être parvenu en Italie.
Il me donne par ailleurs quelques informations qui, sur place, me seront utiles.
Je lui retrace ma matinée.
Il a vu l’exposition Bacon et celle consacrée au Greco.
Il me parle de séries, dont l’argument tient en une phrase. Il me dit que, malgré l’accroche, certaines, pour être bonnes, n’en sont pas moins rapidement poussives ou convenues, et qu’il ne les regarde pour la plupart pas jusqu’au bout.
Il en fait les principales ennemies de la lecture auprès des jeunes gens.
Les deux heures passent vite. Nous nous mettons en route pour le restaurant indien où j’ai réservé.
C’est la troisième occasion d’y dîner, ainsi que le fait remarquer Aymeric, qui tient que cela est sans précédent. Mais je suis bien certain d’avoir mangé trois fois chez le prétendu chef italien — en réalité un Arménien, m’a dit Aymeric plus tard — de l’ancien quartier où il travaillait et avoir été invité par ce personnage à l’abord un peu rude, mais dont, au bout du compte, les procédés étaient autrement aimables. (Alors que nous nous dirigions vers le restaurant, je lui dis que cela fera bientôt dix ans que nous nous connaissons, soustraction devant être faite de trois ou quatre jours.)
On nous abandonne entre les mains une tablette pour commander les plats et nous demeurons un instant perplexes sur la façon dont procéder. (Cela n’empêchera pas d’ailleurs une erreur par deux fois dans les plats qu’aura commandés Aymeric, décidément en délicatesse avec les garçons ce soir.)
Aymeric sera en vacances la semaine suivante.
Il ira en Bretagne. Il en profitera pour vider avec ses frère et sœur la maison familiale, en vue de la louer. Il mentionne alors l'hésitation de son frère à ce sujet, qui y mène encore régulièrement sa mère. Il me raconte aussi que, le portable de celle-ci étant défaillant, il n’a pu la joindre durant toute une semaine. Sa mère n’a dorénavant plus aucune notion du ou des jours qui séparent les appels téléphoniques qu’il lui passe, tant et si bien qu’il faut y trouver, sinon une consolation, du moins un accommodement…
Au registre des dernières fois difficiles, il lui faut verser le fait que le dernier Noël était le Noël dernier qui se sera déroulé dans la maison familiale…
A sa demande, je retrace ma journée à Saint-Malo, en m’aidant des notes lapidaires de mon carnet. La mémoire y supplée tant bien que mal…
Les plats que nous avons choisis sont très bons.
Après-dîner
Nous prenons un dernier verre.
Aymeric se plaît dans son nouvel appartement. Il ne regrette pas son ancienne maison. Il se plaint néanmoins de ses voisins, du bruit que font les sauts de leurs enfants, du bruit en général, leur plancher étant son plafond. (Je lui raconte comment j’ai chapitré ma voisine il y a peu sur sa façon de claquer la porte de l’entrée d’immeuble, d’ouvrir et de fermer sa porte, de dévaler les escaliers sans souci de l’heure ni des autres cooccupants.) Il n’a pas encore vraiment entrepris d'égayer son espace. Il n’en a décidément pas le goût, dit-il.
Il ne lit pas beaucoup, n’est pas allé au cinéma. Il m’évoque tout de même un ouvrage de Henry James, Retour à Florence, dont le titre m’est inconnu.
A contrejour, un nimbe l’enveloppe. Je suis content de le voir et note cette lumière en correspondance à l’intimité de nos causeries. (J’évoque Duncan et N***, que j’ai renoncé l’un et l’autre à prévenir de mon passage à Paris. Je lui raconte aussi comment Claudie a repris contact avec moi — et lui dis combien suscite parfois en moi d’interrogations ce retour, qui me fait plaisir, mais qui interroge : j’espère que, derrière elle, R. n’est pas embusqué et n’entend pas renouer d’une façon ou d’une autre par son intermédiaire. De mon côté, je n’ai jamais évoqué R., ni elle, non plus. Mais cela ne signifie pas grand-chose, et je reste prudent, tout en lui laissant le bénéfice du doute.)
Nous nous quittons à presque 23 heures Place Paul Verlaine, où il a garé son vélo.
* * *
Il m’enverra un SMS pour me dire que le réveil, le lendemain, aura été un peu rude.
De mon côté, je dors mal, comme presque toujours à chaque veille de départ. Réveillé vers 4 heures, je suis à peine rendormi que j’entends C*** marcher en chaussures (plombées ?) au-dessus de ma tête.
Je somnole jusque l’heure programmée du réveil à presque 7 heures et demie.