1047 - Carnets d'un confiné (2)
CARNETS d’un CONFINÉ
(14 mars 2020 - …)
2
Lundi 16 mars
Matin
Nous avons la surprise de trouver la banque fermée. Nous déambulons une dizaine de minutes, ma sœur et moi, jusqu’à sa voiture. Je la charge d’acheter des fleurs pour l’anniversaire de ma mère. Je ne sais quand nous nous reverrons ? (Je suis venu à pied jusque là et poursuis à pied, profitant d’un même soleil que la veille. Et fais des courses d’appoint. Je croise assez peu de clients dans ce supermarché, mais il n’est pas dix heures encore.)
Simone m’appelle sur mon portable. Elle annule — bien sûr — le cours de gymnastique du lendemain. Nous devisons sur la situation, en en analysant dans des termes similaires les implications les plus courtes telles que nous pouvons les percevoir, mais aussi les raisons qui y ont pu mener.
Après-midi
Dans les courriels reçus, certains interlocuteurs parlent de « confinement total » à venir. Qu'ils aient ou non raison, je me précipite dehors.
Occasion, me dis-je, de découvrir des endroits proches où je ne suis jamais allé. Je songe alors au cimetière israélite, où — avais-je appris récemment par R**** — J.-P. est enterré.
Je parcours un cimetière franco-allemand à l’intérieur même du cimetière — celui des goyim — souvent traversé quand j’étais adolescent pour me rendre chez ma grand-mère, en commémoration de la guerre de1870-1871.
Temps et floraison sont tout printaniers : un tapis de pâquerettes, primevères et violettes court sous mes pas.
J’avise une curieuse tombe éventrée par des tronçons d’arbre, [tandis qu’une autre] m’amène irrésistiblement à songer à T.
Je tâche d’ouvrir ma mémoire à un moment qui risque d’être rare dans les temps à venir.
Le lieu est aussi celui de tombes dévastées, de croix cul par-dessus tête, tombées sur le nez. (La pudeur pour les morts me retient parfois d’oser le geste photographique — et verrai en sortant à un autre endroit du cimetière une interdiction de photographier… Des fantômes, d'ailleurs, je le pressens, ne demandent qu'à ressurgir, et je me sens prêt à leur faire la courte échelle pour cette échappée belle…)
J’aperçois un collègue sur l’autre trottoir de l’avenue B***.
Il traverse, et nous devisons. (Je suis tout proche de chez M., mais je ne veux pas passer sans crier gare. Je l’aurais fait en des temps plus ordinaires.)
Je me rends ensuite au cimetière israélite.
Je n’y trouve ni la tombe de J.-P., ni celle de Neisha. Mais je photographie cette assez belle tombe Art nouveau.
Traversant la chaussée, c’est la première fois que je hasarde mes pas dans ce jardin Paul Verlaine, un lieu assez récemment aménagé, tout proche de la rue où habitait Neisha, après qu’y était demeuré assez longtemps Hannah.
Quelques rares usagers s’y trouvent, l’endroit n’étant d’ailleurs pas bien grand.
Les prunus sont en fleurs.
A la supérette de la station service, je croise C****, avec qui j’échange trois banalités. Au guichet, sans que j’aie posé la question, l’on m’assure que le magasin restera ouvert ces prochains jours[1].
[1] [Ajout du 7 mai :] Je me demande aujourd’hui ce qu’est devenu mon interlocuteur, que je n’ai plus revu depuis trois semaines au moins.
Les dernières fois que je l’ai trouvé derrière sa caisse, il ne portait ni masque ni gants et semblait défier tous les COVID du monde.
Mon père, pour cela, l’avait traité d’assassin. Plus indulgent, j’espère qu’aucun Goliath plus fort que lui n’aura eu raison de son entêtement à opérer à visage si découvert…
18 heures
France Culture — comme à 12 heures 30 — cède son antenne à France Inter.
Annonce est faite d’une « situation à l’italienne ». Et sont mis en cause les promeneurs des parcs parisiens durant le week-end !
Je me réjouis rétrospectivement de ma promenade de l’après-midi.
L’information dont on nous abreuve me paraît délayée et sans grand intérêt. Je quitte bientôt ces ondes insipides.
J’ai peu l’envie de travailler. En vérité, j’ai fait le strict nécessaire (ce qui ne m’a pas empêché — si j’ose dire — de travailler trois heures au moins, en l’absence de toute consigne claire : je m’en remets à mes propres initiatives, en l’occurrence, que j’ai la faiblesse de croire assez bonnes, sinon suffisantes pour l’heure, d’autant que, en l’espèce, les serveurs informatiques s’avèrent saturés…)
20 heures
Emmanuel Macron officie, raide, à la télévision. Comment ne pas entendre qu’il a prononcé x fois le mot « guerre » (mot employé récemment par M.-C. — et employé déjà par elle en 2001) ? Tout cela m’agace prodigieusement, sans compter l’attitude martiale qui l’accompagne ! (Pour le dire autrement : cela, malgré M.-C., m’agace comme, sinon un mensonge, une approximation d’Etat !)
La seule consolation que j’y trouve : toutes les réformes en cours sont suspendues. L’on songe à celles qui — bien opportunément — n’entreront pas en application, mais aux autres aussi...
L’homme dit qu’il tirera toutes les leçons de l’épreuve.
Comment ne pas s’interroger : est-ce bien sincère ? (Je n’ai pu non plus m’empêcher de m’exclamer seul devant mon téléviseur : ma parole il devient socialiste [au sens bien évidemment XIXe siècle du mot, non pas des avatars du terme depuis…] !)
— On se prend, quoi qu’il en soit, à rêver que ce puisse être le cas…
Soir
J’envoie un courriel à Christine — et un message à Marthe.
Amélie veut organiser une chaîne de solidarité avec des collègues qui seraient isolés.