1060 - Carnets d'un confiné (6)

CARNETS d’un CONFINÉ

6

[Journal pas toujours extime]

(14 mars, […] 1^er MAI 2020 … …)

20 mars

Matin

J’adresse un message puis donne un coup de téléphone à T.

Il ne va pas beaucoup mieux.

Je l’incite tout de même à sortir, dûment protégé par un cache-nez qui protègera les autres également !

Je reçois un appel de mon “conseiller financier”, confiné chez lui avec ses deux petites filles (elles pourront perturber notre conversation, me prévient-il). Comme je le lui demande, il me dit que son épouse (c’est une de mes [connaissances]) est allée travailler. « Ça me rend fou ! »

Je lui fais remarquer que les fillettes sont sages. Il me dit n’en pas être très fier, mais il leur a mis une tablette entre les mains…

J’effectue une longue promenade — que je prolonge d’autant mieux que je pressens que la possibilité en sera restreinte tandis que la météorologie des prochains jours s’annonce bien moins printanière...

Pour la première fois, je remarque cet immeuble dans cette avenue pourtant familière.

Comme de juste, le bureau de poste est fermé, ce qu’explicite assez inutilement cet avis. Le message de dépit qui y est griffonné souligne l’inconséquence du message qu’on a cru bon d’apposer.

Je songe à Aymeric en photographiant cette villa (je rate plusieurs clichés de la fenêtre)

et poursuis mon chemin jusque la poste centrale.

(Je songe, non sans pensée chagrine, que n’est pas demain encore que nous emprunterons ces lignes de fuite vers quelque autre pays !)

A mon retour, je trouve un courriel de T., adressé à Marthe, Paul, M.-C. et moi, auquel je réplique ainsi :

Bonjour à tou(te)s,

En fait, pour rebondir sur le mail de T., il faut s’y faire — photos du jour à l’appui — les lieux favoris de Paul sont fermés :(

Il n’y a même pas eu de groupe pour la Saint-Patrick (malgré l’affiche).

En revanche, on m’a laissé librement circuler jusqu’à la poste Saint-Jean, où je me suis renseigné (à deux mètres d’une hôtesse postée devant et dûment masquée) pour savoir si l’on pouvait entrer envoyer un recommandé :

— Jusque 17 heures. A partir d’un guichet automatique. I’ faudra vous débrouiller seul.

— Et ce sera ouvert la semaine prochaine ?

— On n’ sait pas. On n’ peut rien vous garantir.

Bises,

Romain

PS - Le magasin Apple en face de la FNAC affichait un message comme quoi la boutique était fermée, qu’il n’y avait pas d’argent à l’intérieur et que toutes les merveilles Apple avaient été stockées ailleurs !

Soir

Formule récurrente (contagieuse ?) — très agaçante, mais également très révélatrice de l’irresponsabilité de ce qu’est dire à tout propos et sans s’embarrasser d’un peu de réflexion — entendue de la bouche (j’écoute surtout la radio, mécontent d’ailleurs de subir France Inter pour les informations en place de France Culture) de divers commentateurs : « J’ai envie de dire… ». — A quoi, je préférerais nettement  une envie de se taire.

Je finis de regarder les Chemins de la haute ville (Room at the Top) de Jack Clayton, qui me plaît davantage que la première fois (quand était-ce ?) que je l’ai vu. Le copie rénovée souligne la beauté plastique du film et de certains plans (que je trouve sans affèterie). Et Simone Signoret est excellente, son personnage constituant d’ailleurs l’intérêt majeur du film.
 

Je lis ceci à propos du film :

(Le rôle initialement envisagé pour Jean Simmons ou Vivien Leigh lui fut finalement confié dans cette Angleterre encore très puritaine où il était difficile pour une actrice anglaise d'endosser un rôle aussi ouvertement amoral — se souvenir que l'adultère de Brève Rencontre de David Lean (1945) [qu’admirait beaucoup Vladimir Jankélévitch] reste chaste. D'où la pirouette de faire de ce personnage une Française et le choix de l'actrice.)