1070 - Lettre-fleuve (lettre à J.M.), 4
[in memoriam J.-M.]
Dimanche [11 avril 1982], 15 h 45
Je reste inguérissable : je prends mon café dominical au “Commerce”. Germain — ce n’est plus Xavier, mais Germain en souvenir d’une chanson de Brel, Germain de ce bleu fascinant qui fait qu’on y revient, qu’on n’en guérit jamais. Après tout, « la rupture bête et brutale » s’abolit à la lisière de ces yeux-là. Il s’instaure une autre sorte de jeu, que je mène, où il n’y aura ni gagnant ni perdant. Et qui sait, peut-être y aura-t-il mieux qu’un jeu à ce jeu-là ? — Voilà donc pourquoi j’ai pris ici mon café dominical par un pluvieux après-midi d’avril (il paraît que c’est Pâques aujourd’hui : où sont nos tisons ?).
Ces vacances passent vite, jour après jour. Je ne fais presque pas de piano, je ne travaille plus pour la fac, je me couche et me lève tard, je dors mal, je fume énormément, je flâne, je m’ennuie un peu, j’ai, qui traîne, un mal de vivre en raison de certains (non)-événements, mais tout cela compose vaille que vaille un (non)-programme de vacances dont il faut que je profite comme d’un repos.
Je ne sais toujours pas si je partirai à V***, le temps est plus qu’incertain, et il risque d’y faire froid. En revanche, François et Simone seront partis dès mardi et, Germain excepté, il n’y aura personne à **** et cela risque de devenir contraignant… La solitude intégrale, il faudrait que cela soit vivable.
J’ai beaucoup aimé la compagnie de François et de Simone ces derniers temps. Il nous arrive à tous de curieux “chocs” en ce moment, et nous confrontons — deux à deux, car François et Simone ne sont pas réconciliés — nos expériences singulières.
Car François s’est enfin décidé à parler… C’est passé hier, ici-même, et c’est devenu fort intéressant. — François. Sacré François. C’est beau, vrai, l’amitié, ces moments d’aide-à-voir qui s’avèrent opportuns, où chacun s’aide à voir et aide l’autre comme il peut.
Hier, après être allés à un spectacle de danse à l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson, nous nous baladés en bande à la foire. Il y avait Hervé, Alain, un ami à Alain (Maxence, s’il vous plaît ! — tel était son nom…) et trois amis norvégiens ou danois qu’Hervé a rencontrés cet été. Au moment où nous posions pour la photo de circonstance (souvenir des french friends pour soirées norvégiennes ou danoises), Germain passait par là comme il passe partout à ce moment, et particulièrement dans ma tête : ce n’était plus l’objectif que je fixais.
Simone s’en est aperçue et a lancé une vaseuse (ce doit être une sorte intelligence du cœur qui lui fait deviner certaines de mes pensées, certains de mes états affectifs…). Quand nous avons promené-le-chien, un peu plus tard, je lui ai raconté mon coup de foudre, elle m’a raconté sa soirée de la veille avec un certain Martial, ce qui, au total, compose une salade de prénoms assez juteuse. Ajoutez un soupçon de Guilaine en ce qui concernait François et vous obtiendrez un plum-pudding assez épais après le hors-d’œuvre… La déraison. (Ou, par métonymie, la foire.)
Voilà comme le temps passe et on passe le temps. Place S***-Jardin, il pleut sur nos roses, il pleut dans la mémoire, ce dimanche ne sera pas transpercé de soleil. Pas plus de Germain que d’œufs de Pâques dans mon panier à mon réveil, ce matin…
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? On se pose toujours les mêmes questions…
… Et leurs baisers au loin les suivent
— Comme des soleils révolus…
(à suivre)