1092 - À la napolitaine (1)

Publié le par 1rΩm1

 

 

À LA NAPOLITAINE

 

RÉCIVIDE

ET (NOUVELLE) TRANCHE (DE VIE)

 

(Journal extime)

 

PARIS - NAPLES - PARIS - ****

 

(16 février - 1er mars 2020)

 

1

 

 

Dimanche 16 février [suite]

Après-midi

J’appelle Judith. Elle et N. vont, comme Aymeric et moi, visiter l’exposition autour de Huysmans critique d’art au musée d’Orsay1. Nous nous y retrouverons peut-être. Je souligne l’éventualité : je ne suis pas certain qu’Aymeric, que je dis « farouche », ait envie d’une rencontre à laquelle rien ne le préparait.

Nous prenons rendez-vous en vue de nous retrouver au début de l’après-midi.

Je reçois en chemin un SMS d’Aymeric. Il aura dix minutes de retard.

Un autre message de Judith me parvient : ils sont sur le parvis du musée et proposent que nous les rejoignions.

 

Aymeric — et je m’en étonne — bénéficie d’une entrée gratuite : il m’explique que son contrat d’emploi actuel étant précaire, il n’est pas encore radié de Pôle-Emploi.

Nous explorons donc une exposition dont nous ne disons pas tout de suite qu’elle est décevante, mais, en vérité, elle ne réserve guère de surprise. Le parcours de l’écrivain et de son esthétique y est balisé de façon plutôt convenue, et les toiles sont essentiellement indigènes.

1092 - À la napolitaine (1)
1092 - À la napolitaine (1)

Nous nous amusons tout de même des phrases assassines de Huysmans reproduites à propos de tel ou tel artiste, ou des listes proscriptives qu’il a dressées des peintres qu’il n’aimait pas. Aymeric devant le Rolla de Gervex, vu et revu au hasard de telle ou telle exposition, me dit que la moitié gauche en est tout de même très belle : de fait, le personnage masculin a de la prestance

Gervex (Henri), Rolla, 1878, Huile sur toile, 175 x 220 cm

Gervex (Henri), Rolla, 1878, Huile sur toile, 175 x 220 cm

(j’aime assez pour ma part aussi la partie tout à droite reproduisant l’ameublement) ; mais la courtisane dans sa pause alanguie pourrait susciter toutes les préventions qu’avait l’écrivain contre Cabanel ou Bouguereau.

1092 - À la napolitaine (1)

Huysmans, contrairement aux trois autres dandys alignés sur le mur de gauche en entrant, n’a jamais eu droit, semble-t-il, à un portrait posé en pied. Faut-il s’en affliger ? Aymeric me fait remarquer son physique peu avenant.

Emile Lévy, Portrait de l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly, Huile sur toile

Emile Lévy, Portrait de l’écrivain Jules Barbey d’Aurevilly, Huile sur toile

Giovanni Boldini, le Comte Robert de Montesquiou, 1897, Huile sur toile, musée d’Orsay

Giovanni Boldini, le Comte Robert de Montesquiou, 1897, Huile sur toile, musée d’Orsay

Antonio de La Gandara, Jean Lorrain

Antonio de La Gandara, Jean Lorrain

Les autres salles égrènent des œuvres bien connues du fonds même du musée.

Edgar Degas, Dans un café dit aussi l’Absinthe [Ellen Andrée et Marcellin Desboutin], Vers 1875-1876, Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay

Edgar Degas, Dans un café dit aussi l’Absinthe [Ellen Andrée et Marcellin Desboutin], Vers 1875-1876, Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay

J’ai plaisir à revoir les « noirs » de Redon (qu’Aymeric ne semble pas trop apprécier), la moitié en étant toutefois accrochée trop en hauteur, forçant le spectateur à se hausser de la nuque et rendant les dessins difficiles à photographier.

1092 - À la napolitaine (1)
1092 - À la napolitaine (1)
1092 - À la napolitaine (1)

Nous nous amusons à nouveau d’un manuscrit subtilisé au Ministère de l’intérieur — à moins que tout bonnement Huysmans y écrivît à ses heures perdues de fonctionnaire peu requis par la besogne (ce qui me paraît avoir été le cas)…

1092 - À la napolitaine (1)

Aymeric me rappelle qu’A Rebours a été écrit à Fontenay aux Roses, la Thébaïde du héros étant en quelque sorte fantasmée à partir du pavillon même qu’habitait l’écrivain.

Un artiste contemporain s’est plu à reproduire la tortue de Des Esseintes. Au moins celle-ci n’est pas morte des traitements insanes infligés par l’esthète jusqu’au-boutiste rêvant, avant Dorian Gray, de faire de sa vie — et des autres, bêtes y compris — une œuvre d’art ou des ruines fumantes

Francesco Vezzoli (Brescia, né en 1971), Tortue de soirée, 2019, Laiton, bronze, or rose, améthyste, pièces d’argent grecques, topazes, citrine, péridot, rubellite

Francesco Vezzoli (Brescia, né en 1971), Tortue de soirée, 2019, Laiton, bronze, or rose, améthyste, pièces d’argent grecques, topazes, citrine, péridot, rubellite

(et, je ne sais pourquoi, je songe à Hélène devant Troie — encore ai-je raison, pour ma rêverie, de convoquer Moreau, brandi ensuite par l’écrivain comme antidote au naturalisme de Zola — et, naturellement, mis à l’honneur…)

Moreau (Gustave), l’Apparition, Avant 1876, Aquarelle, Paris, musée d’Orsay
Moreau (Gustave), l’Apparition, Avant 1876, Aquarelle, Paris, musée d’Orsay

Moreau (Gustave), l’Apparition, Avant 1876, Aquarelle, Paris, musée d’Orsay

Moreau (Gustave), Galatée, Vers 1880, Huile sur bois, Paris, musée d’Orsay
Moreau (Gustave), Galatée, Vers 1880, Huile sur bois, Paris, musée d’Orsay

Moreau (Gustave), Galatée, Vers 1880, Huile sur bois, Paris, musée d’Orsay

1092 - À la napolitaine (1)

Alors que nous déambulons, je reçois un message de R., qui me perturbe beaucoup et que je confonds un instant avec un SMS. Je crains alors assez absurdement qu’il ne soit là ou qu’il ne m’ait vu, voire que, comme Claudie en avait eu par moments l’impression, il m’épie, me suive à la trace, espionne ma vie, attende une occasion de paraître ; mais je chasse aussitôt cette pensée importune.

Je raconte sommairement à Aymeric les dernières tentatives qu’il a faites pour me contacter — avec promesse d’un développement ultérieur à ce sujet.

 

Je reçois un autre message, de Judith, qui vient de sortir de l’exposition et propose de nous retrouver quand nous aurons terminé.

Quand nous sortons à notre tour, mais une trentaine de minutes au moins plus tard (j’ai déjà remarqué que N. parcourt les expositions au pas de charge ; Aymeric, quand je lui en parle, lui prête un coup d’œil aiguisé et nourri d’une culture qui lui permettrait d’embrasser ainsi l’essentiel ; mais j’ai plutôt tendance à penser qu’il exécute d’une œillade maussade les trois quarts de ce qu’il voit), je propose donc de rejoindre Judith et N.

Aymeric accepte la proposition avec une bonne grâce qui fait mentir mes propos à Judith auparavant.

Nous errons un peu avant de trouver le bon escalier qui mène au restaurant, ce qui fait perdre un temps de temps encore.

 

Un peu comme je m’y attendais, Judith et N. se sont envolés dans l’intervalle.

 

-=-=-=-=-=-

1Nous avions voulu voir celle-ci, Aymeric et moi, en février de l'année de l'année précédente, alors même qu'elle ne commençait qu'en décembre. Et notre déception s'explique sans doute en partie pour cette raison...

 

 

 

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