1094 - À la napolitaine (2)
À LA NAPOLITAINE
RÉCIVIDE
ET (NOUVELLE) TRANCHE (DE VIE)
(Journal extime)
PARIS - NAPLES - PARIS - ****
(16 février - 1er mars 2020)
2
Dimanche 16 février [suite], fin d'après-midi et soirée
A l’extérieur du musée, comme annoncé par une météorologie soucieuse désormais de lancer des alertes, le vent souffle à pleine forge (pour une fois, la tempête se prénomme au masculin, puisque baptisée Denis !).
Le café où nous allons habituellement est fermé et nous nous rabattons sur un bar à l’angle de la rue Verneuil.
Nous parlons de nos lectures. Sa nièce à Noël a offert à Aymeric la Panthère des neiges de Sylvain Tesson. Le livre lui tombe quelque peu des mains. Les subjonctifs imparfaits de celui qui s’écoute écrire lui paraissent en particulier rebutants. J’en conviens d’autant plus volontiers que je les déteste autant que les passés simples — et tâche toujours de les éviter (ce que, en toute conscience, je n’ai pas fait plus haut, mais pour de simples raisons d’euphonie).
Il a lu le nouvel opus, dont j’avais noté la parution, de Mathieu Riboulet.
J’évoque les entretiens entendus à France Culture avec Bernard Stiegler dans “A voix nue”.
Je raconte par le menu comment se sont envenimées les relations entre Claudie et R., Claudie ayant découvert un jour un graffiti vengeur — après qu’elle a évincé une énième fois R. de son existence — sous sa fenêtre au rez-de-chaussée de son immeuble, tracé au marker : « Ici, habite une lesbienne ». Son sang n’ayant fait qu’un prompt tour, Claudie s’est emparée d’une fraiseuse meuleuse (ou je ne sais) pour effacer l’opportun message, en se jurant ne plus jamais revoir son auteur.
Malgré la violence de la supposée opprobre, malgré la tristesse de savoir R. définitivement toxique pour ses relations et intoxiqué lui-même, j’ai peine à ne pas m’amuser malgré tout en rapportant l’anecdote à Aymeric, imaginant Claudie s’attaquant avec rage à l’inscription pour la faire disparaître.
Aymeric me dit que l’agacerait l’écran cassé de mon téléphone — souvenir cuisant de Modène —, alors que j’ai fini par me résoudre à ne pas le remplacer, les prix pour le faire m’ayant paru prohibitifs. (Je m’enquerrai le lendemain auprès d’un réparateur à nouveau : si je veux conserver l’identification digitale et être certain que les fonctions tactiles de l’appareil soient préservées, il m’en coûterait 159 €. C’est presque la moitié du prix du téléphone : je supporterai donc quelques temps encore ce stigmate indiscret.)
J’ai fait des courses et, comme j’avais un bon souvenir d’un repas indien acheté Gare de l’Est, je propose que nous dînions ensemble.
Las, celui que j’ai trouvé le matin dans les bacs d’un magasin de surgelés sera autrement plus médiocre, tandis que les indications pour chauffer une nourriture indigente s’avèreront des plus fantaisistes et nécessiteront d’y revenir plusieurs fois.
Après avoir hésité sur plusieurs itinéraires proposés sur nos téléphones intelligents par le site de la RATP, nous prenons le métro jusque chez Pascal et F.
Nous marchons un peu pour trouver un magasin ouvert où acheter une bouteille de vin. Deux militaires en treillis la mitraillette à la hanche — pareille vue me glace toujours un peu — nous demandent de nous pousser un peu pour choisir une boîte de sardines, tout en déplorant de ne pouvoir choisir comme nous le jus de la treille, qui, de fait, les aurait mieux régalés. Nous échangeons quelques propos bon enfant, qui font mentir un peu la vue de la mitraillette.
Aymeric dit ne jamais être ivre.
Notre conversation, durant le dîner, tourne essentiellement sur les temps difficiles qui courent et nous font courir, parfois en tous sens.
Aymeric ne croit pas que le mouvement contre la réforme des retraites aboutira.
Je retrace surtout les luttes qui ont eu lieu sur un terrain professionnel. Ce faisant, je m’irrite intérieurement que les faits se brouillent un peu dans ma tête, alors qu’il y faudrait de l’exactitude. Ainsi, évoquant le Conseil d’Etat me vient à la place le Conseil constitutionnel, entre autres considérations que je sais vagues ou erronées.
J’envie l’entraînement, l’aisance, la faconde avec laquelle plusieurs de mes collègues aguerris savent s’emparer des événements, désigner les phénomènes et les épingler. (Précisément, Stéphane m’a répondu et envoyé un message comme quoi il ne viendra pas à la manifestation du lendemain. Je le regrette, car j’aurais aimé avoir cette occasion de le connaître davantage…)
Aymeric ne trouve pas déplaisant son nouvel emploi, même si le salaire n’en est pas très élevé. Mais il n’a aucune garantie de ce qu’il adviendra de lui après mai. On lui a proposé un concours pour fonctionnaire de la catégorie B. Il n’en connaît pas les modalités, et dit ne plus avoir l’âge à cela. Je lui dis douter que ce soit pour autant un concours difficile.
Il ira peut-être en Sicile en été avec son compagnon. Il n’est guère enthousiaste à l’idée de devoir prendre l’avion.
Il est un peu plus de vingt-et-une heure trente quand je demande si nous ressortons prendre un dernier verre. Comme le trajet de retour est long et qu’il travaille le lendemain, Aymeric décline, mais s’attarde encore un peu.
Je le raccompagne jusqu’à la station de métro la plus proche.
Alors que je le quitte, je ne peux m’empêcher de me dire que le repas était plutôt mauvais, et l’exposition, décevante, que la journée sur ces deux points n’était pas à la hauteur de mes attentes — ce qui continue de m’irriter. Pourquoi, cependant, faudrait-il, même avec les gens que l’on aime, que tout soit toujours parfait ? — Je chasse ces humeurs importunes.
Rentré, la fatigue est d’ailleurs telle que, après avoir téléchargé les photos prises l’après-midi, je ne me sens plus l’énergie de mettre par écrit de premiers linéaments. Je parcours deux pages et quitte le livre, empressé de me livrer au sommeil.
Nuit
Réveillé après un cycle de quatre heures, je lis un peu pour tromper l’ennemi, escomptant que l’insomnie finira pour s’assoupir.