1082 - Lettre-fleuve (lettre à J.-M.), 5

Publié le par 1rΩm1

 

[in  memoriam  J.-M.]

 

1082 - Lettre-fleuve (lettre à J.-M.), 5

 

Dimanche (non, lundi de Pâques) [12 avril 1982] — il est 16 h 20

 

Mon stylo n’en pouvait plus d’avoir à assumer mon babil et a rendu mon dernier souffle entre mes doigts : la feuille se charge de noir à cet endroit de ma lettre.

 

Pardonne-moi  si ma lettre, aujourd’hui,  bascule un peu : à côté de moi, deux jeunes gens ont une conversation sur eux-mêmes qui ressemble à de la cruauté mentale.

Ça m’amuse beaucoup, bien qu’il [entre] beaucoup de perversité dans ce jeu-à-deux (à moins qu’il y ait beaucoup d’humour, en fait, au [n]ième degré)… Je suis leur témoin indiscret ; aussi je pique du nez sur ma feuille pour me faire plus ou moins invisible — mais je reste toutes oreilles tendues… (Le jeune homme — qui s’appelle Pierre, et que tu connais d’ailleurs — est sympathique au demeurant, et cela m’amuse de le “regarder vivre” dans cette condition quasi psychodramatique… ?…) (La petite jeune fille, elle, m’est assez antipathique, dans ses efforts maternants et agressifs tout à la fois…) Mais tout cela est vain ; il faudrait en fait que tu suives comme moi ladite conversation…

Tout cela est sans doute proportionnel à mon envie d’intervenir et de casser ce jeu ridicule et méchant… — Mais, bien entendu, cela ne me regarde pas…

 

J’ai terminé, hier, ma lettre pour Pascal, qu’il va falloir que je songe à envoyer. Si je veux en faire de même pour ce “journal-de-vacances” déjà trop long, je me vois bien en peine de boucler tous ces récits effilochés. (« Ce qui fait qu’en fait mes relations avec les garçons sont très ambivalentes » — fragment de la conversation de la table d’à côté. Récitant : le jeune homme.)

 

 

1 h 45 du matin

 

François m’a coupé ici, rendant vains tous mes efforts pour mettre un peu d’ordre dans la conversation sauvage qui me parvenait et pour t’en faire un peu part.

 

Je vais reprendre à ma chronique de cœur en écrivant le tout dernier épisode de désespoir, le dernier épisode de mes amours malheureuses… en espérant ne pas trop t’ennuyer.

Je reprends à peine pied, je viens juste de quitter Simone, avec j’étais, comme on dit, en train de toucher le fond. Je n’ai pas dû être de très agréable compagnie, non, mais j’ai fait tous les efforts que j’ai pu. T’écrire a sa thérapie, ou bien alors je me suis fait une raison sur le chemin du retour, ou c’est vraiment inexplicable, mais je me sens mieux à présent. — Donc je reprends ma krônick

Germain-Firmin-Xavier — selon les cas — n’est plus sorti de la pensée depuis la première fois où je l’ai vu, il y a un peu plus d’une semaine environ. J’aimerais l’appeler Philippe à cette heure-ci, en souvenir de divers Philippe aux yeux bleus. J’en ai fait ma Maladie de Pâques, qui dévorait tout avec elle, allant de l’euphorie à la dysphorie la plus totale.

Mon sommeil en était troublé, mes rêves, mon appétit, ma concentration au clavier du piano, mes travaux de fac — bref, toute l’éthologie habituelle de ce qu’on appelle « pathologie sentimentale ». La meilleure pharmacie, dans ces cas-là, c’est encore de faire face et d’attendre le moment opportun pour entrer en contact, ne serait-ce que pour avoir la révélation d’une voix, pour voir s’esquisser une sourire, etc. — Ce que je fis, malgré la tentative dune rupture « bête et brutâle »,  en prenant table deux fois par jour au “Commerce”. Ceci explique l’épaisseur que commence à prendre cette missive, car l’attente est toujours insupportable, et parce que, d’autre part, il m’était infiniment agréable de t’écrire…

Mais, souvent, Philippe ne paraissait pas, ce qui me laissait un arrière-goût de crassier éteint dans ma bouche, comme si j’avais avalé deux ou trois paquets de cigarettes en l’attendant…

 

 (à suivre)

 

 

 

 

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