1105 - À la napolitaine (5)

Publié le par 1rΩm1

 

[Je pense à vous, au 19 octobre 1959.]

 

À LA NAPOLITAINE

 

RÉCIVIDE

ET (NOUVELLE) TRANCHE (DE VIE)

 

(Journal extime)

 

PARIS - NAPLES - PARIS - ****

 

(16 février - 1er mars 2020)

 

5

 

18 février [suite]
Après-midi

   Arrivé précisément à 15 heures devant le Musée de Beaux-Arts, je reste perplexe : les portes en sont closes et aucune exposition Charlotte Perriand n’est signalée.
J’appelle Judith et laisse un message sur le répondeur en lui demandant s’il n’y a pas un malentendu, si je ne me suis pas trompé de lieu, auquel cas il faudrait que je la rejoigne je ne sais ni où ni comment — et serai en retard.
Sans qu’elle ait, semble-t-il, écouté mon message, je reçois un SMS : elle est rue Bonaparte et sera là bientôt.
   Entre-temps, j’ai découvert le lieu où se tient l’exposition, non pas quai Malaquais mais quai Conti dans un bâtiment tout proche. Elle m’appelle quelques minutes plus tard : elle se tient dans la cour des Beaux-Arts, tout semble bouclé. Je la guide jusqu’à l’endroit où je me tiens.

   Nous visitons bientôt l’endroit, ouvert récemment, dont l’entrée est libre. Les photographies prises par l’artiste sont intéressantes : je reste un instant rêveur devant un cliché de son atelier tout près de Saint-Sulpice.
Je lui dis ma déception après avoir visité l’exposition Huysmans. N., à qui Judith a fait découvrir A Rebours, s’est laissé fasciner par la figure de Des Esseintes (je ne m’en étonne guère, son solipsisme rencontrant en quelque façon celui du véritable protagoniste du roman…).

   Judith, ensuite, dit vouloir m’emmener dans un endroit où je ne suis jamais allé.
Devant l’hôtel, elle m’explique que ça n’a pas toujours été un hôtel de luxe, puisque c’est là où Oscar Wilde a fini ses jours. (Le souvenir de Taormine me revient. C’était auparavant, souffle Judith. Je n’en disconviens pas.)

(Je ne remarquerai que plus tard que Borges y a également vécu…)

1105 - À la napolitaine (5)
1105 - À la napolitaine (5)

   Elle et N. se sont mariés là. Elle joue les cicérones. Je m’amuse. L’endroit est cossu.

1105 - À la napolitaine (5)

La décoration inspirée des ornements et du mobilier Premier Empire ne s’embarrasse pas de ses fausses colonnes ni d’un certain clinquant.
   Nous nous posons, à l’instigation de Judith, dans le salon contigu au bar. Judith commande un chocolat chaud, et moi, une bière en bouteille.
   Je raconte R., Claudie, dans le prolongement de notre incursion à Orsay, Aymeric et moi, en précisant que nous sommes partis à leur recherche, N. et elle, au sortir de l’exposition.
   Je la sens au bord des larmes après que je lui ai demandé comment allaient Laure et Lucien : Lucien est entré en une sévère dépression après avoir été abandonné par sa première amie. N. se montre impitoyable, qui voit en son fils un raté, tout en s'accusant d’avoir été un mauvais père. Lucien a accepté de voir un psychologue. Laure ne joue guère les ambassadrices auprès de son frère, même s’ils ont, me dit Judith, une complicité sur bien des points. N. fustige son fils, cède aux anathèmes : jamais il n’aurait dû amener son rejeton écouter le Sacre du printemps alors qu’il écoute dorénavant du rap ! Les conduites addictives de Lucien sont patentes : il s’adonne non seulement à l’alcool, mais consomme également de la drogue. Judith conclut : il a tout de l’enfant gâté. Ainsi il ne s'est jamais trouvé de job d’été, s’étant comme arrangé pour rater les rares entretiens qu’il a décrochés. Judith elle-même est un peu amère à ce sujet, même si elle a des paroles tendres envers son fils (je me remémore alors Khadija, son appréciation, cruelle, sur les yeux de poisson mort de Lucien mangeant son visage, ce visage absent signalant peut-être son mal-être).
    Près du bar où Judith règle nos consommations trônent des célébrités — Keanu Reeves, Eddy Mitchell, Jane Birkin… —  parmi celles que je connais, puisque, je ne m’en étonne pas, la majorité ne me dit rien.
    Judith engage la conversation avec le serveur du bar. La décoration est due à un certain Garcia.
    Dans le salon attenant à la réception, se trouvent des dessins de Cocteau.

1105 - À la napolitaine (5)

Judith m’encourage à prendre des photos.

1105 - À la napolitaine (5)
1105 - À la napolitaine (5)

    Rue Bonaparte, Judith propose une halte chez Fortuny. Je m’amuse à part moi de plus en plus. Un luminaire sur pieds me plaît beaucoup. J’en demande le prix : 3700 euros. Etrangement, je ne trouve pas cela si cher, comparé à des objets design vus ailleurs. (Très curieusement, accompagné par Judith comme ambassadrice je ne me suis senti ni déplacé ni sine nobilitas dans ces deux endroits…)

    Comme nous en sommes tout proches, je lui fais visiter l’église de Saint-Germain-des-Prés et prends au passage une nouvelle photo de l’endroit.

1105 - À la napolitaine (5)

Nous recherchons le cinéma où nous étions allés ensemble voir Carol, Aymeric m’ayant dit la veille qu’il ne se souvenait pas avoir vu de salle sur la place près de l’église. De fait, celle-ci se fond quelque peu dans le décor.

1105 - À la napolitaine (5)

    Non loin de la Place Saint-Sulpice, nous cherchons l’atelier de Charlotte Perriand, croyant en deviner l’emplacement.
   Cette fois, je la conduis jusqu’aux fresques de Delacroix de l’église (tout en me souvenant de N***, qui n’avait pas voulu y rentrer [en était ressorti avec brusquerie, en fait], disant d’un ton rogue avoir eu son compte de « bondieuseries » — ou quelque chose d’approchant — après que l’on avait vu l’exposition Tintoret au musée du Luxembourg, souvenir encore cuisant — et dont il s’est plu à réchauffer à intervalles plus ou moins réguliers les moments qui ont suivi, demandant dernièrement encore que je m’excuse ! — ce dont naturellement lui se dispense, n’y songeant pas même un instant, son agressivité me paraissant désormais se nourrir de quelque rancœur imaginaire…)

    Je l’invite ensuite dans le café sur la place, où je suis allé plusieurs fois avec Aymeric.

    Elle calcule pour moi : quatre mois seulement me séparent du moment où je pourrai dételer d’un travail dont les années m’auront passablement usé. Elle manifeste de l’enthousiasme à cette perspective.
Elle me dit que je n’aurai peut-être pas tant besoin de voyager lorsque j’aurai cessé de travailler. J’y ai moi-même déjà songé, mais j’aurai envie, sinon d’exotisme ou de dépaysement, de me laver les yeux de l’art des autres, seule activité — l’art, non la contemplation — qui dédouane d’être humain.

*  *  *

    L’après-midi a passé comme une parenthèse assez heureuse (même si je me suis reproché d’avoir innocemment posé la question des enfants…)
Consignant ces instants sous forme de premières notes, je laisse passer République et dois prendre le métro en sens inverse.

 

 

 

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