1113 - Carnets d'un confiné (37)
CARNETS d’un CONFINÉ
37
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
19 avril
Matin
Peu d’échanges ont eu lieu entre collègues depuis hier soir, sinon pour apaiser la tension. Je n’aurais pas aimé que la querelle reprenne de plus belle.
Journal emboîté
J’illustre mon dernier article d’une photographie prise le 8 avril : les giroflées ont plus de quinze jours d’avance sur l’avril de 2010 !
Le journal s’achève sur une note douce-amère. De fait, à le relire, il n’éclate pas de la joie de celui d’octobre de l’année précédente…
Aller chez N*** : cela a pu m’arriver trois fois, je pense. La dernière fois, ce devait être lorsque Romain nous avait rejoints.
J’ai souvent pensé que jamais N*** n’avait proposé de manger chez lui, alors même que je ne saurais compter le nombre de fois qu’il aura mangé chez Judith ou Pascal et F. J’y vois tout de même le signe d’un déséquilibre patent dans nos relations.
Rien n’est apaisé entre nous. Il attend, dit-il dans son dernier message en janvier, des excuses de ma part. Il oublie tous les éclats, les attaques, les récriminations, les mauvais procès… — si quelqu’un devait s’excuser, ce serait bien lui.
Correspondance avec Benoît
LUI - 2 février, 22:47
Cher Romain
Pardonne-moi si je prends un peu de temps pour répondre à ton dernier message. Quelques contraintes professionnelles m’empêchent de prendre le temps qu’il faudrait pour te répondre ; pas envie de bâcler ma réponse, en outre : ton dernier message, comme les autres, m’incite à « creuser » ma réflexion, à l’engager sur des chemins qu’elle emprunte rarement — à remettre aussi la main sur deux ou trois références. Ce week-end, sans doute aurais-je l’esprit assez libre pour cela.
Amicalement,
B.
LUI - 7 février, 21:26
Cher Romain, bonsoir.
Juste un mot d’excuses : pas le temps, pas en état de te répondre comme je le veux à ton dernier message (week-end gâché par un rhume menaçant de virer à la bronchite). (Juste assez d’énergie et de concentration pour poster des textes griffonnés la semaine dernière ; le dernier, sur mon « idiolecte » assez réussi, je trouve.)
Et puis, quel bonheur que ton dernier post ! Proximité aussi : appris la guitare tout seul à 16 ans pour jouer Dylan, Clapton et Simon & Garfunkel ; exercices fastidieux vite abandonnés ; aujourd’hui ne jouant plus que des transcriptions de compositions renaissantes ou baroques pour luth ou théorbe, et regrets de ne pas plutôt avoir travaillé sérieusement ce genre d’instruments avec un professeur.
Amicalement,
B.
MOI - 7 février, 22:24
Benoît,
Je découvre ton message... et te pardonne ton rhume ! Mais je "copie-colle" le message en réserve :
Benoît,
Je rentre d’un week-end dans le nord de la Meurthe-et-Moselle, à quelques kilomètres à vol d’oiseau de la frontière belge, chez mes parents, où nous avons fêté les soixante-dix ans de mon père. Pas de message de ta part, mais je lis ton dernier “post” (il me semble que tu as dû remanier et “re-poster” le précédent ?) et m’étonne de ta lucidité sur ta propre écriture — avec laquelle je partage en tout cas amour des tirets, italiques, guillemets, incises, décrochages et autres jeux énonciatifs — mais serais incapable de préciser, sauf peut-être mon amour des adverbes en —ment, quel est mon matériel lexical de prédilection ! Ton indexation de toi au quotidien m’impressionne aussi beaucoup… Obéis-tu à un plan, à une mise en coupe ? (Question sans doute naïve !) A ce propos, et pour rebondir sur ton tout premier message privé, as-tu lu l’ouvrage de Quignard Une gêne technique à l’égard des fragments ?
Et, à propos de message privé et pour faire la « chaîne », sais-tu que je suis dans l’impatience d’une réponse promise et (semble-t-il) différée ? (Ce n’est, naturellement, qu’un aimable rappel…)
Cordiales pensées,
Romain
En te souhaitant un prompt rétablissement (ne laisse pas s'installer la bronchite !).
LUI - 7 février, 23:15
Cher Romain,
Merci.
Oui, repostage de ‘Mes natures mortes’, puisque je me suis rendu compte après coup que (abruti par les médicaments), j’avais en fait tapé le premier état d’un texte de mon journal « papier » alors que je l’avais en partie réécrit, il y a une semaine.
Lucidité s’expliquant peut-être par l’agacement parfois éprouvé devant mes tics langagiers, quand je réécris justement telle ou telle entrée de mon journal ?
Pas de plan préétabli, non : simplement, des griffonnages au fil de la plume, à la base ; mais j’en sélectionne certains pour les réécrire et ne poste que ceux dont la réécriture me satisfait. Donc un double crible par lequel se manifeste peut-être un « plan » inconscient.
Lu ce Quignard, mais il y a longtemps : souvenir très vague. (Quignard « jouant » plus ou moins La Bruyère « contre » le Blanchot de L’Ecriture du désastre ?)
Voilà tout ce que cette crève me permet maintenant d’écrire d’à peu près clair.
Amicalement,
Benoît
Je m’amuse de l’enchaînement en tous points fortuit entre les lignes écrites précédemment à propos de N*** et ce qui m’y paraît poindre d’une humeur chagrine envers B***…
Serais-je comptable dans mes amitiés ? — Sans doute, mais pas plus peut-être que ne sont généralement les personnes, qui attendent qu’un équilibre se fasse entre dons et contre-dons jusqu’au jour, où l’amitié véritable s’étant installée — ce qui se produit parfois —, « l’on ne compte plus » — plus du tout.
Je me souviens avoir attendu ce texte promis par B***, qui n’est jamais venu. Ce serait mentir de dire que je ne lui en ai pas voulu — de l’avoir tant voulu, ce texte. Car, à l’évidence, en la matière comme dans d’autres, mes attentes étaient plus fortes que les siennes, et j’espérais aussi beaucoup le rencontrer.
N***, lui, a proprement déchiré le tissu de nos relations avec ses acrimonies, ses querelles, ses piques assassines, ses jérémiades, et comme jeté aux orties l’amitié. Ses susceptibilités sont immenses, et je ne les ai pas toujours mesurées, pas mieux sans doute que ses fragilités.
— S’est-il toutefois posé autant de questions que moi à son endroit ?
Après-midi
Sieste assommée de sommeil.
J’appelle Marthe. Paul est parti promener le chien après que T. les a appelés. Nous devisons un peu. L’aspirateur — l’aspirateur de Paul, qui lui voue un affection toute particulière et dont Marthe doit nettoyer régulièrement le filtre saturé des poils des chats et chien — fonctionne à nouveau, la chatte va mieux : autant de bonnes nouvelles qui soulagent les tensions entre eux !
J’appelle Claudie — appel différé depuis hier et qui dure pas moins d’une heure dix ! Ma patience est à bout. D’autant que les considérations de Claudie vont au plus noir — et que je ne suis pas sûr de toujours suivre ses raisonnements.
Je rappelle Paul malgré tout. Il écoute je ne sais quel opéra et ne se montre pas très loquace. En outre, il veut écouter le discours d’Edouard Philippe.
Je me rase, prends une douche, me promène. La monotonie gagne, mais je ne saurais demeurer une journée sans marcher.
Soir
Je regarde la rediffusion d’une interview de Serge Gainsbourg à mon domicile rue de Verneuil.
Puis je me joins aux collègues occupés à amender le texte de vendredi après un ultime ajout. Une formulation pose problème, à laquelle chacun contribue. Le clavardage en parallèle me distrait beaucoup. Je me sens de plain-pied avec l’effervescence commune, en regrettant qu’Amélie n’y participe pas. Je plaisante avec Elvire, qui se dit empêchée de Misanthrope : moi, dis-je, de l’Histoire de Melody Nelson mise en images par Jean-Christophe Averty. A propos de la féminisation de l’écriture, sur laquelle elle se montre très pointilleuse, je cite (sans doute en adaptant quelque peu la chanson) :
Être un elle ou une il
Une elle sur une île
Ou un il sous mon aile
Mais qui est qui ?
Parmi tous ces travesti-e-s ?
Cherchez la femme !