1116 - Carnets d'un confiné (39)
CARNETS d’un CONFINÉ
39
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
21 avril [2020]
Matin
Nuit agitée. Mauvais rêves, dus aux effets du vin sans doute. Je ne voudrais pas que la situation de confiné m’amène à trouver des consolations dans la boisson, à biberonner plus que de raison : la contrariété m’avait aussi mené à téter la bouteille après la soirée avortée avec Nicolas. Je me souviens aussi de la fois chez F. et Pascal à Paris où mêmement je m’étais saoulé à la suite d’un autre rendez-vous manqué…
Je me réveille en pensant au corrigé de dissertation, mauvais décidément à la réflexion, ce qui va me demander du temps pour l’aménager
Correspondance avec Benoît
LUI - 13/02/10, 22:30
Cher Romain,
Difficile, très difficile de te répondre. D’un côté, envie immédiate de le faire, compte tenu de sa teneur un peu — comment dire ? « déprimée » serait excessive ; « découragée », peut-être, comme tu le dis ? D’un autre côté, nécessité de le faire de façon approfondie – parce qu’il y a beaucoup de points sur lesquels j’aurais beaucoup de choses à te répondre (sur le milieu universitaire, sur Barthes et Renaud Camus, sur l’inélégance morale des petits jeunes gens frottés de culture croisés sur GayAttitude — y compris l’hypokhâgneux ; je crois avoir eu à faire au même) ; or le temps, l’énergie physique (un peu fatigué par les antibiotiques, qui ont finalement eu raison de ma bronchite), la concentration intellectuelle me manquent (beaucoup trop de choses à « boucler » d’ici vendredi si je veux partir passer quelques jours à Alep comme je l’ai prévu) : tu liras sans doute quelques « post » (déjà écrits sur papier depuis quelques jours, juste à les taper) avant de recevoir ma réponse.
Juste une chose, pour ce qui est des photos : tu peux certes taper le mot de passe « aufhebung » (sans guillemets) sur ma page… mais tu ne verras que des photos tronquées : yeux et lèvres en gros plan — à côté de quelques petits gribouillages de ma composition. Pas par recherche d’une « opacité optimale » ; mais pour un autre problème de rapport à soi : si, sans me trouver « beau », je m’accepte dans un miroir (voire, certains jours, selon la coiffure, les vêtements, « pas mal du tout »), horreur en revanche de me voir en photographie (je m’y trouve laid, grimaçant, renfrogné, inélégant…) Problème dans le problème : téléchargeant en masse des reproductions d’œuvres d’art en vue de futurs posts, j’ai déjà dépassé ma « limite d’uploads » pour ce mois. Je verrai si je peux techniquement faire en sorte que tu voies des photos complètes avant le 1e du mois prochain.
J’ai vu tes photos. Abstention de commentaire, en général, à ce propos (projection de mon aversion pour mes photos ?) – mais ici tout de même trop frappé par ceci pour m’y tenir : ta ressemblance avec Louis-René des Forêts.
Mais je te reparlerai de tout cela, plus longuement et à tête reposée, un peu plus tard. Heureux en tous cas que mon dernier message t’ait fait du bien dans un moment ou ce pouvait être nécessaire.
Très amicalement,
B.
MOI - 14/02/10 ; 14:04
Bonjour Benoît,
Entendu à midi à la radio (que d’hiatus enchaînés !) — avant le langage des cloches — que la campanule bleue, dans le langage des fleurs, signifiait : « Merci d’être là ».
J’ai pensé à toi et à ton message découvert ce matin.
Je ne suis pas spécialement fleur bleue, mais j’aime bien les campanules — j’en ai sur ma terrasse et en bordure de jardin —, qui ont l’avantage d’une double, voire d’une triple floraison, dont la première sonne (donc) la fin de l’hiver. C’est une fleur discrète, qui tintinnabule à peine...
Moi aussi, je t’écris bientôt. Comme j’aurai plus de temps que tu ne sembles en avoir, je tâcherai de ne pas trop te déborder.
Bon début de semaine et bon séjour à Alep – si tu ne m’écris pas entre-temps.
Meilleures pensées,
Romain
PS – Je reviendrai sur les photos et mon rapport à elles (très proche du tien, en fait). Pour ce qui est des tiennes, tu peux ne pas passer par le site et recourir à cette adresse créée à l’instigation d’un Gaïen — qui, pour autant, ne m’a jamais répondu […].
(Adresse qui est encore un jeu de mots, cette fois conscient, sur Romain et qui a fourni pour pseudonyme “Cédric” !)
C’est d’ailleurs cette adresse maudite — maudite adresse — que je mettais en cause dans mon dernier message : elle semble avoir pour effet de laisser mes interlocuteurs silencieux — de leur faire faire la cloche de bois, alors même qu’ils demandaient une adresse mail ou proposaient la leur. J’espère vraiment que cela n’aura pas cet effet sur toi !
(C’est une adresse MSN — dont j’ignore d’ailleurs quelles sont les exactes fonctionnalités — à laquelle je recours néanmoins comme à une adresse mail classique ; mais tu dois connaître cela mieux que moi…)
21 avril, matin [suite]
J’appelle Marthe pour lui proposer les services de FG. Paul regarde son film du matin, me dit-elle. (Il m’avait parlé la dernière fois que je l’avais eu au téléphone de Sérénade à trois de Lubitsch — réalisateur dont il a tout un coffret et dont il entend regarder les films les uns après les autres, ainsi qu’il en a l’habitude.)
Valérie et Denis se proposent de venir entretenir le jardin cet après-midi — et de me déposer une part de gâteau au chocolat. Je n’ose refuser, mais je n’ai guère envie de pâtisserie.
Après-midi
Sieste. Je m’endors sans m’en rendre compte. Je suis réveillé par la sonnerie intempestive du téléphone. Le temps de me lever, on a raccroché.
Appel de Claudie ensuite, qui me commente, furieuse, les déclarations du ministre Blanquer. Presque une heure s’écoule avant qu’elle ne raccroche : je m’impatiente un peu.
Promenade ensuite. Je prends conscience, au bout d’une demi-heure, que j’ai laissé « l’attestation de déplacement dérogatoire » sur mon bureau sans l’avoir remplie ! Je n’ai jamais encore été contrôlé, mais je presse le pas pour rentrer.
Soir
Le gâteau au chocolat délivré s’avère (quoi que j’en aie) excellent. J’en remercie Denis.
Empêché les derniers soirs de le regarder, je poursuis l’Histoire de Melody Nelson de Jean-Christophe Averty.
Echanges encore avec Evire (sur un mode plus confidentiel) :
Merci, Evire, pour ces encouragements.
Il n’empêche que [notre] lettre aurait pu parvenir avec autrement plus d’actualité dès hier ou aujourd’hui sans ces retards imbéciles ! Ils ont donc en partie gagné, et la communication gouvernementale a pris le relais entre-temps…
Et cette énième ornière syndicale — j’observe cela depuis la réforme Allègre au moins ^^ — m’agace prodigieusement, même si je sais bien que les organisations syndicales sont nées sur le terrain des luttes et les encadrent encore ! Mais j’aimerais tellement me retrouver dans tel ou tel syndicat, FO ou Sud par exemple. Et leur aveuglement à ne pas reconnaître (ou à feindre de ne pas reconnaître ?) que les associations ou collectifs qui se constituent ont toute leur raison d’être m’agace au-delà de ce que je pourrais dire. — Mais nous avons déjà parlé de cela !
Bonne soirée,
Romain
PS - Je me souviens de M. L. — je n’ai rien contre lui personnellement, je le connais depuis longtemps, il est le frère d’un très bon ami que j’avais quand j’étais au lycée et qui est demeuré un ami — surgissant lors d’une réunion [de notre association], nous expliquant que notre combat était estimable, mais d’arrière-garde, et qu’en tout état de cause nous n’avions rien compris, en tout cas pas compris qu’il fallait rallier son syndicat pour porter nos revendications. Je me souviens aussi d’un autre cacique lors d’une AG à la Fac de Lettres (où j’ai usé il y a peu encore mes fonds de pantalon !) expliquer à M.-C., après une des interventions dans le même contexte, en gros qu’elle était une conne — à une époque globalement misogyne encore dans les rangs des militants — et où l’on ne pratiquait pas l’écriture inclusive !…
Or, si les fronts se sont renversés à ce moment-là, c’est bien grâce à des associations comme [la nôtre] ou Sauvez les Lettres ! Et les syndicats ont bien été obligés de leur emboîter le pas… — avant d’autres os qui nous sont restés en travers de la gorge (je ne parle pas des syndicats, mais des attaques contre l’école depuis…).
Elvire m'apprend avoir connu l’association Sauvez les Lettres alors qu’elle était lycéenne (j'avais calculé, en quelque occasion, son âge, oublié depuis : 32 ou 35 ans — alors que je l’aurais crue plus jeune).
Elle me répond qu'elle trouve « très utile » mon intervention des derniers jours, tout en donnant son assentiment : une journée a bel et bien été perdue.
Elle dit me rejoindre sur « l'organisation verticale » des syndicats — et termine sur un éloge des changements apportés par les collectifs au moment de l'opposition à la réforme Allègre : la « liberté pédagogique gagnée dans l'enseignement des lettres en collège à partir de la fin des années 2000 (avoir le droit de faire une progression grammaticale séparée par exemple) » leur est « clairement due », selon elle.