1111 - Lettre-fleuve (lettre à J.-M.), 7

Publié le par 1rΩm1

 

in  memoriam  J.-M.]

 

 

1111 - Lettre-fleuve (lettre à J.-M.), 7

12 avril 1982 [suite et fin]

Oui, le rêve est inaccessible. J’ai posé mes fantasmes comme on pose les armes.
Il n’en reste moins que ce rêve morcelé ne révèle pas une réalité amère, car je l’ai bien regardé (je ne l’ai jamais eu aussi longtemps à portée de mon voyais), et ce que je voyais, même si je me persuadais de plus en plus que ce n’était pas fait pour moi, me plaisait infiniment malgré tout. Philippe n’est pas vraiment beau ; non, il a cette transparence particulière qui opère comme un charme très fort sur les uns — et n’opère pas du tout sur les autres. J’entendais sa voix qui m’arrivait par instants, chaude, mesurée, grave, ainsi qu’un rire qui en était le juste écho. Beaucoup de calme, de ce qu’on appelle « constance » dans ses attitudes, une assurance de soi, rien du p’tit mec du style je-suis-là-tout-affolé-je-suis-la-toute-affolée, mais, au contraire, à certains endroits, des signes un peu rustiques, bruts, non polis — comme on dit d’un roc qu’il n’est ni taillé ni poli. De fortes cuisses aussi (ce qui me confirme mon goût pour les cuisses un peu épaisses, un peu larges, dans des corps plutôt minces), des épaules, un bassin plus méditerranéen que parisien… Un joli sourire, juste un pli sur des lèvres fines. Des cheveux châtain plutôt foncé. Peu de système pileux. Peut-être vingt-et-un, vingt-deux ans. 1 mètre 72 environ, pour 62 kilos logiques : la fiche anthropométrique de Philippe, faite à la hâte, en deux ou trois coups de crayon composés par mes regards. Voilà. (Détails de la tenue vestimentaire — l’apparat étant toujours signe, appelant un déchiffrement quelconque : pantalon de velours noir de forme floue, boots noires, chemise verte à petit col, cravate verte coordonnée fine comme une cordelette, pull chiné dans les tons grenat, veste en cuir bordeaux, cache-nez d’apparence classique. Certains de tous ces détails viennent casser l’image d’un corps harmonique, en particulier, la cravate, des pieds un peu grands — pointure 41 —, le vert   — quand on a les yeux bleus ! — et la quasi-absence de poils sur les joues et les bras… Tout s’érige en système de corps différent, qui appelle le respect mais brise un peu le désir physique — encore qu’il y ait ces cuisses… comment dire ?… un peu larges… un peu… bref, qui me plaisent beaucoup !)
Au total, malgré tout, malgré une observation inquisitrice, Philippe n’a pas désembelli ce soir. Mais il n'est plus le même à mes yeux. Il me fait moins délirer, même s’il a acquis certaines lettres de noblesse et acquis, très certainement, l’objet d’une sympathie objective. Je tais ici l’horrible épreuve qu’a constitué la confrontation du réel d’avec le phantasme. Je préfère le portrait, plus serein, que je viens de faire — et qui est comme l’expicit final d’une « krônick » déraisonnée…

*  *  *

J.-M., je songe qu’il serait temps que j’achève ma lettre pour toi. Car même si elle demeure un peu folle, je veux l’envoyer, cette lettre.
Il se peut que j’éprouve encore l’envie de t’écrire, plus tard, d’autant que que je n’aurai personne à voir dès demain — auquel cas, je commencerais une seconde lettre, que je posterais plus tard. Mais je vais cesser ici : j’éprouve, après tout cela, un certain besoin de céder au silence.

Je suis tout au moment où l’on se reverra.
D’ici là, mes amitiés.

Romain


P.-S. - Mardi [13 avril], 17 heures

J’ai reçu ta carte, ce matin. Merci. Ici, il a neigé, et je veux voir en l’évolution du baromètre depuis le début comme un écho de ce qui la traverse. A présent, 17 heures, le ciel bleu est brusquement partout, au-dessus de nous, comme une promesse raisonnée, une avant-saison d’un temps clément. Ciao.

P.-S. n°2 : Olivier-les-yeux-verts et X-les-maxillaires font leur apparition. Le ciel bleu incite aux sorties…
Je connais des rimes plus intenses que celles-là, où les yeux s’accordent parfaitement avec l’en-haut.

 

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article