1124 - Carnets d'un confiné (44)

Publié le par 1rΩm1

 

CARNETS d’un CONFINÉ

 

44

 

[Journal pas toujours extime]

 

(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)

 

26 avril

Matin

Je me lève, contrarié encore par les rêves de la nuit et pensant d’emblée à la situation du moment, aux jours qui viennent, à leur peu de grâce, au manque d’allant que nos journées impliquent.

Je verrais bien de passer l’aspirateur dès sept heures, de mettre des chaussures pour marcher lourdement dans l’appartement, bref, de réveiller mes voisins pour leur faire comprendre ce qu’est un sommeil empêché. Je ne le fais toutefois pas, mieux éduqué qu’eux peut-être.

 

Correspondance avec Benoît

MOI - 23 février, 00:31

Bonsoir Benoît,

Je dois être un peu fatigué en ce moment… et fâché avec la typographie, les balises, voire les mots mêmes – qui ne me viennent pas :

- « freudement » se conçoit, certes ; mais pourquoi « freudien/nement » ne s’est-il pas tout bonnement imposé à mon esprit ?

- J’ai réussi à placer mon commentaire sur ton “post” « Cuisses » en suivant la procédure que tu m’indiques ; mais j’ai fait un copié-collé du message où il se trouvait cité — et n’ai pas songé à retirer les guillemets ni la signature : j’aurais dû te laisser faire, tu n’aurais pas commis ces bourdes-là !

Autre chose qui me vient : je ne crois pas que mes messages soient d’une intellection ou d’une subtilité telles qu’ils méritent de réponse si pointue. Je suis plus un émotif, un émotionnel ; je suis plus sensible, sensitif ou sentimental que proprement cérébral. Mais je suis très curieux, très désireux (plutôt) de lire le message dont tu dis qu’il risque d’être un pavé (ce qui ne me gêne pas !), car je crois que tu m’y apprendras, par tes transversales, des choses sur moi — autant que j’aurai plaisir à te connaître toujours un peu mieux…

Cordiales pensées,

Romain

PS 1 – Ceci écrit avant de lire ton message expédié ce soir – et découvert en rentrant.

PS 2 – Tu m’as inspiré quelques lignes à propos des « cuisses » — que je garde donc pour plus tard.

 

LUI - 23/02 ; 21:20

Cher Romain,

Oui, j’ai remarqué tout cela, en quoi j’ai lu quelque fatigue, en effet.

« Je ne crois pas que mes messages soient d’une intellection ou d’une subtilité telles qu’ils méritent de réponse si pointue » : si cela peut satisfaire ta modestie (excessive, il me semble), disons qu’ils me lancent sur des « pistes » dont j’aurais du mal à « décrocher ». « Je suis plus un émotif, un émotionnel ; je suis plus sensible, sensitif ou sentimental que proprement cérébral » : réflexion d’intellectuel, non ?…

Oui, cela risque d’être un pavé… Mais que cela ne t’empêche pas de me faire lire ce que tu as écrit à propos de mon texte sur les cuisses (j’allais écrire « ce que tu as écrit à propos de mes ‘Cuisses’ » : typographie levant toute ambiguïté, mais quand même…)

A très bientôt.

B.

 

MOI - 23/02 ; 21:51

Benoît,

Merci de ton message !

Celui-ci m’a bien amusé — mais, désolé, tu devras patienter un peu pour le texte en question (je l’ai accroché au bout du texte en attente : c’est de bonne guerre, non ?).  D’ailleurs,  désolé  (à  nouveau),  mais  je  n’avais  pas  écrit  sur  “‘tes’  cuisses” (hors champ sur tes photos), mais sur celles de N***… et de R., accessoirement… et des cuisses en général !

Un détail, cependant, sur lequel rebondir immédiatement : « “Je suis plus un émotif, un émotionnel ; je suis plus sensible, sensitif ou sentimental que proprement cérébral” : réflexion d’intellectuel, non ?… » — oui, bien sûr, je me le suis dit en transversale aussitôt le message “posté”… et me suis bien dit que, faute d'avoir tourné sept fois dans ma main ma plume (honni soit qui mal y pense !), je me ferais épingler à ce propos ! (Cela m’a fait aussi penser à Barbara, se défendant bec et ongles de n’être pas une « intellectuelle ». Sensitive et intellectuelle Barbara !)

Bonne fin de soirée à toi,

Romain

 

LUI - 23/02 ; 22:56

Cher Romain,

Oui, il m’arrive d’être amusant, parfois (plus avec les femmes qu’avec les hommes, d’ailleurs ; ma présente drôlerie : conséquence de ces quelques jours passés en compagnie de mon amie alépine ?) N*** et de R. ? Je m’y perds à nouveau… Il me faudrait des photos pour m’y reconnaître.

Bizarre, cette façon qu’ont les intellectuels eux-mêmes de se (r/d)écrier au nom de la sensibilité. Opposition peu pertinente, déjà. Et puis, cette coexistence paradoxale de deux motifs : d’un côté, complaisance envers la doxa (par nature anti-intellectualiste et spontanéiste) ; de l’autre, auto-dénigrement face à un trop haut idéal d’intelligence (battre sa coulpe en se disant : « je ne suis pas assez intellectuel, je suis trop sensible »).

Quant à Barbara… autant j’aime l’artiste, autant le personnage m’agace (mais nous en avions déjà parlé, je crois).

A très bientôt.

Amitiés.

B.

 

MOI - 24/02 ; 22:28

Cher Benoît, cher ami du soir, bonsoir !

Oui, oui, la cause est entendue – et j’ai fait d’ailleurs amende honorable : je connais, moi aussi cette doxa anti-intellectualiste pour avoir souvent à me battre — non pas ma coulpe mais — contre elle chez certains élèves et, ce qui m’agace encore plus, auprès des étudiants ! Peut-être était-ce plutôt contre le désagrément d’être pris parfois pour un pur cerveau que je luttais — impression (que j’espère fausse) que j’ai parfois pu avoir venant de toi.

Quant à Barbara, certes, nous avons eu aussi cette conversation. Encore y a-t-il, selon moi, plusieurs Barbara selon les âges et selon les époques. Certaines saillies de la jeune femme quand elle était trentenaire me réjouissent beaucoup.

A ce propos, j’ai pensé à toi dernièrement en entendant Isabelle Huppert sur France-Culture. Intelligente, prudente et nuancée — et pas pontifiante cette fois-ci.

Je découvre que, tout en demeurant soi, on peut être, finalement, assez différent d’un « âge » à un autre (les guillemets disent ce que la réflexion – s’il s’agit de cela… - a d’approximatif). Par exemple, le vieux monsieur qu’était Leiris lorsqu’il écrivait Frêle bruit me semble parfois tout à fait autre que le protagoniste de l’Age d’homme : j’ai presque plus de tendresse pour le premier que pour le second… En tout cas, je suis plus sensible à cela aujourd’hui que je ne l’étais naguère… En relisant des pages antérieures – puisque je t’ai dit que je m’adonnais à cet exercice stupide -, j’éprouve parfois un curieux sentiment d’étrangeté à moi-même…

Bref, bref (je temporise – de toute façon). Encore un mot, cependant : je n’ai jamais imaginé que tu n’étais pas drôle ! Et ce que tu dis de tes relations aux femmes me plaît assez… A ce propos, tu ne m’as pas dit si tu étais à Alep pour des raisons professionnelles ou pour un voyage d’agrément.

A très vite (dirait C***) de te lire,

Romain

PS1 : N*** reste N*** — et R. demeure R. (Je ne sais pas si tu me suis.)

PS 2 : Quelle horreur, au fait, que tous ces noms de muscles dans ton “post” sur les “Cuisses”… Ça nous tuerait l’imagination (imagination pourtant — je te le concède — bien « cérébrale ») !

 

26 avril [2020], matin [suite]

Courses tout à fait improvisées : je voulais prendre de l’essence et acheter au vol des légumes et de la bière, mais renonce du fait des voitures aux pompes et, remarquant un supermarché ouvert, fais, masqué, de premières courses un peu conséquentes. Fruits et légumes sont à la fois peu engageants et chers, et je me contente d’une petite barquette de champignons bruns. Je pousse alors jusque un autre magasin, d’habitude ouvert le dimanche mais dont le rideau est baissé. Je vérifie qu’un troisième est ouvert et, comme il n’y aucun file d’attente à l’extérieur, m’approvisionne de façon conséquente.

 

Après-midi

Après une sieste un peu lourde et longue, j’appelle M.-C., qui dit trouver le temps long et en avoir un peu assez.

C’est pour l’avoir écoutée que je prends un ancien masque chirurgical que j’avais peu porté en lui adjoignant deux feuilles de papier toilette pliées en deux destinées à créer un nouveau filtre. Cela empêche de respirer tout à fait bien, et j’arrache le masque au bout de deux cents mètres.

Avec les pas perdus du matin, ma promenade capitalise six mille pas.

J’appelle T. Il ne peut plus voir sa mère, mais ne lui téléphone pas non plus : elle est désormais bien en peine d’identifier ses interlocuteurs. J’ignorais qu’elle en était à ce point de décrépitude.

Je lui raconte mon rêve de la nuit. Il me dit qu’il était « en retard, comme d’habitude ». En vérité, ce n’est jamais que cinq ou dix minutes…

Nous récapitulons de minuscules événements survenus dans les quarante-huit dernières heures.

 

Soir

Judith appelle à 19 heures. Laure est inquiète de n’avoir pas de date de reprise concernant ses cours. Elle est scolaire, selon Judith, et a besoin de vrais cours pour travailler. Je ne saurais malheureusement la renseigner.

Judith a poussé Laure à retrouver des ami(e)s, ce qu’elle fait aussi depuis quelques jours. Des gens ont remarqué les manèges de Laure et de ses camarades, mais se sont montrés indulgents.

N. donne quelques leçons de philosophie à Laure, quand du moins elle s’y montre disposée. Il est toujours aussi critique quant aux défaillances de sa progéniture et, me dit Judith, est à deux doigts de l’accuser, elle, de laxisme ou de complaisance. Je reconnais là la raideur de N., et je proteste en ajoutant que cela va, j’espère, s’arranger dès un retour à la normale.

 

Je dîne ensuite. Le filet d’omble chevalier acheté le matin est excellent. La sauce que j’ai improvisée l’accompagne bien, mais jure un peu, en revanche, avec les salsifis.

Je poursuis mon visionnage de Rocco et ses frères, entamé quelques jours auparavant.

1124 - Carnets d'un confiné (44)

Les voisins indélicats se font entendre à 22 heures, heure à laquelle je décroche ; je mets à plein volume sept à huit minutes une séquence du film, tandis qu’à l’étage je me brosse les dents. Le signal nociceptif n’aura qu’un impact limité, mais je parviens à m’endormir, d’un sommeil que contrarieront des réveils réguliers, indiquant qu’ils poursuivent leur bavardage après minuit, — puis qu’il n’en est plus rien, mais il est alors trois ou quatre heures.

 

 

 

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