1144 - Où rien pourtant n'est Venise (Lettre à J.-M.) (3)
[in memoriam J.-M.]
13 juillet 1982 [suite]
Vous parlerai-je ici de l’état de mes systèmes affectifs ? J’ai crainte que ce soit déplacé après ces choses prosaïques, médicales et rationnelles. Toutefois, on peut le faire, en manière de parenthèse…
Germain [ajouté : tiens ! tiens !] [en note : Qui est-ce ?…], après une absence d’une dizaine de jours, est revenu habiter la Place S**** depuis plus d’une semaine. J’avais espéré qu’il s’en était allé prendre des vacances pour me laisser un peu en paix, mais mon désir s’est vu contrarié. Oserais-je écrire qu’à son retour, il était plus beau qu’auparavant ? [ajouté : Je crois que j’ai osé — c’est donc ce qu’on appelle une prétérition…]…
Depuis, je le vois donc assez souvent, n’omets pas de le saluer quand nous nous rencontrons ; mais la passion est sinueuse, décline et décroît, se revivifie et éclate en des détours mystérieux dont je commence, je crois, à me lasser… — ou bien alors est-ce de moi — et non de lui — dont je suis las ?… toujours est-il que je suis en plein désarroi, complètement incertain tant de l’état de mon âme que celui de mes sentiments, et j’en suis à espérer des violences, des déchirures, qui viennent à mettre fin pour moi à ma déroute… je suis reste donc en pleine attente.
Par ailleurs, je me suis « offert » une aventure nocturne, il y a quelques temps, qui s’est plutôt mal passée, et dont je garde un souvenir, somme toute, amer (ajouté : J’ai parfaitement conscience, par ailleurs, d’en avoir innocemment, inconsciemment décidé l’échec… avant même qu’il ait eu lieu…). C’est dire, en quelque sorte, que je ne vais pas vraiment bien, mais que rien finalement ne va très mal — de cette tension entre la situation réelle, objective, et des affections que subit mon moi, il résulte des humeurs cyclothymiques, quand ce n’est pas beaucoup de neutre et de vague à l’âme. Comme le dit le poète, « l’espérance est violente »… Ou bien alors, l’attente devenant trop insupportable, je m’en irai à V**** pour organiser un séjour d’oubli… Pour l’instant, je l’ai dit, le désarroi est grand.
Fin de la parenthèse. Ou plutôt non : je ne pense plus rien de tout cela, après relecture. Peu importe, d’ailleurs, ce que je pense. Disons que je vois mes erreurs de jugement d’hier, et pas encore celles d’aujourd’hui. Le chemin est encore long à faire. (Fin de la parenthèse.)
Je vais cesser ici cette lettre conçue au fil d’une longue journée traversée de chaleurs intenses. Je vous écrirai bientôt sans doute, peut-être plus longuement car il est certainement des choses que j’ai omis de dire. Peut-être également vous enverrai-je, si j’ai le courage de m’y mettre, le début d’un roman d’été, qui viendrait orchestrer certains commentaires partiels de ma correspondance, (ajouté : celle-là qui s’étale) depuis les Cévennes jusqu’à Strasbourg. Bref, de toutes façons, je pense à vous.
Romain
P.-S. - L’envie d’un post-scriptum se fait forte. Ici, rien n’est clos, c’est une lettre qui part à l’aventure… Veille de 14 juillet, l’on a aussi des envies de fête, vivement contrariées par la chaleur, l’ennui pesant de se bouger. D’ailleurs, ce soir, je travaille à L****, au moins jusqu’à minuit (à moins que je ne rate, comme la semaine passée, le type qui doit m’y emmener). Peut-être y aura-t-il du beau monde dehors en quête de drapeaux, de flonflons, de bruits divers — que j’aurai l’avantage d’entendre assourdis —, belle consolation.
Second P.S. (14 juillet) : Rencontré Patrice — ton frangin, J.-M. — hier soir. Eu ainsi de vos nouvelles. Félicitations pour vos exams !
Je ne rectifie pas mon en-tête, bien qu’il semble que tu sois seul à Strasbourg, J.-M. J’espère que le contenu de ma lettre n’en sera pas faussé pour autant. Amitiés.