1147 - Carnets d'un confiné (55)
CARNETS d’un CONFINÉ
55
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
7 mai
Matin
La danse des images recommence, mais moins longtemps, devant mes yeux quand je me lève.
Je travaille mes trois heures du matin en convoquant toutes les astuces que je peux pour que mon travail porte le plus possible de fruits… La tête fonctionne encore, dis-je pour me consoler de mes visions troublées… J’envoie même à Claudie certains documents.
Correspondance avec Benoît
(fragments retrouvés)
MOI - Jeudi matin (18 février) [2011]
Benoît,
Il m’est revenu que le Benoît que j’évoquais hier avait un cheveu sur la langue, qu’il était affligé d’un charmant zézaiement qui devait passablement le complexer. Cela donnait à sa voix non son grain — sa voix semblait n’être pas faite encore, fourchant parfois dans des aigus intempestifs — mais, à sa parole, sa mouillure bien à elle. Très grand ainsi que déjà dit, l’air clérical, des lunettes aux verres assez épais. Il était d’un abord difficile, rebutant ses interlocuteurs — et il m’intimidait fortement. Plus âgé que moi, il était en classe de terminale quand j’étais en seconde, et j’enviais cet aîné de « faire » alors « de la philosophie ». Pire : je le jalousais un peu, de savoir que S. était assez amoureuse de lui, qu’elle lui réservait donc du temps — et m’en consacrait moins de ce fait. Et j’étais admiratif en quelque sorte : ce laid (je me posais déjà la question : pourquoi la disgrâce physique, voire le handicap, aimantent-ils tant les femmes — et… certains hommes peut-être aussi ?), ce disgracieux réussissait, sans l’avoir cherché, là où j’échouais, et je lui reconnaissais, sans l’avoir beaucoup lu, un vrai talent de poète. (Il m’est resté une phrase de lui : « Les vrais déserts sont très peuplés », dont je crois qu’elle était élevée chez lui à la dignité d’un aphorisme.) Aujourd’hui, je regrette de l’avoir, sans le manifester vraiment, rejeté, ou, dit autrement : je regrette de ne l’avoir pas mieux connu. Il me semble qu’il est parti très vite après le lycée, a dû réussir l’Ecole des Chartes, et, quoi qu’il en soit, a coupé tous les ponts avec ses anciens “amis”.
Pourquoi te raconté-je cela ? En fait, j’ai bien peur d’avoir quelque peu transformé notre correspondance en une sorte de mixte de “blog” et de “journal intime”, j’espère que tu ne m’en voudras pas (trop) de cela. Précisément, alors que le journal intime me répugne quelque peu, j’ai toujours eu plaisir à écrire des lettres aux amis absents ou éloignés (quand ce n’était pas moi-même qui l’étais), lettres qui glissaient quelque peu, en s’allongeant irrésistiblement, vers la forme journal, contant des événements par le menu, voire, parfois, précisant le menu ! Ont pris le relais les mails, depuis.
Cependant, la lettre à un « inconnu » a des vertus que la lettre aux familiers n’a pas. Je développais cela avec une amie, A., précisément, il y a peu :
"Il peut paraître curieux […] que des correspondances avec des quasi inconnus aident à mieux ressaisir la matière de son existence qu’avec des proches. Les sortes de lettres que je peux t’écrire, elles, se nourrissent des intervalles rétrospectifs qui ont eu lieu, de fait, entre deux [de nos] communications : la connaissance que l’un a de l’autre autorise toutes sortes de raccourcis, d’allusions, d’angles morts. Mais, avec mes correspondants [actuels], j[e suis] entraîné […] plus loin, amené à me saisir plus vif et plus entier dans des autoportraits narratifs, à travers des anecdotes, suscitées par les uns ou les autres, qui se vou[dr]aient significatives [de nos échanges] — et [redoublent assurément] le plaisir d’écrire […]."
Et je me vois, de fait, entraîné plus loin, déporté, débordé, mais heureux de l’être, pour mieux me ressasser (en reproduisant ces lignes adressées à A., je n’ai pu faire autrement que, puisque m'adressant à toi, d’en transformer ou sarcler quelque peu la matière) — pour mieux me ressasser ou me « (res)saisir » ?…
Quoi qu’il en soit, je préfère infiniment au journal intime, intransitif, nos échanges : je n’écris plus absolument, « j’écris à », verbe transitif quoique indirect. Et c’est à toi, Benoît, que je m’efforce d’écrire — ne parlant pas à moi ni de moi seulement…
Mais je me suis laissé dériver encore hors de ma liste — et suis menacé de longueur à nouveau… et t’en menace malheureusement tout autant !
Lundi (22 février)
Cuisses. Je crois préférer les cuisses effilées aux musclées, même si, pareil à toi, j’aime à en sentir les muscles chez le partenaire, spécialement les muscles arrière (si puissants). En revanche, j’aime les caresses affectueuses, furtives, discrètes, à peine appuyées, sur l’avant des cuisses à travers le tissu d’un pantalon. Telles qu’elles saillent à travers le tissu, précisément, les cuisses effilées de quelqu’un peuvent m’émouvoir puissamment – oserais-je : cuissamment ? — (complexe de celui qui se trouve « les jambes trop courtes par rapport à son torse » ?). Souvenir des cuisses effilées de N***… pour lesquelles j’ai caressé un instant le projet… de les caresser dans le geste décrit plus haut !
A propos des musculatures, je n’aime guère, tout comme toi, le corps des sportifs ni celui des bodybuildés… à l’exception du corps des danseurs, dont la masse musculeuse me paraît harmonieusement répartie sur toute l’anatomie, sans ces laideurs hypertrophiées des anatomies (trop) sculptées… …
Et songe, cette fois, à C***, qui m’a si gentiment livré la clé de sa « parade sauvage ». (Ajout, d’aujourd’hui : Je ne m’attendais évidemment à ce que soient des photos si “déshabillées”, mais elles relèvent d’un exhibitionnisme arrangé, à la fois sérieux et ludique, et je les trouve toutes très belles, voire, pour l’une ou deux d’entre elles, pour te pasticher, très « b… tes »… (ce qui ne veut évidemment pas dire très « benoîtes » ! — un peu facile, celui-là, mais je n’ai pas pu résister… —, ce serait d’ailleurs plutôt le contraire !)
PS – Dans la liste que je m’étais faite, il reste encore :
messages instantanés - historien - agnosticisme - intransitif (voir premier “post”) - grain de la voix - blogolist - chaînes - langage cru - lieux de drague/ lever quelqu’un - inscription GA
Je n’en viendrai jamais à bout ! C’est pour cela que je préfèrerais répondre à tes messages et rebondir sur eux plutôt que me livrer à pareils circuits et inclusions qui paraissent mieux te réussir qu’à moi…
Lundi (5 avril)
Aymeric semble dormir encore… Son séjour nancéien paraît bénéfique sur son sommeil !
Et c’est au moment où il repart (vers midi) qu’il se décide à faire beau…
La semaine prochaine, arrive A. pour une petite dizaine de jours. Ensuite, je serai à Paris. Tout cela a déjà des allures de vacances de printemps. J’en attends d’ailleurs une vraie détente… Je cesse là mon paquet de textes. Mais au moins n’aurai-je plus de paquets de textes désormais ! — Et certains propos consonnent d'ailleurs plus ou moins avec ce que tu écris du "journal", heureuse coïncidence comme il s'en produit, me semble-t-il, assez souvent entre nous.
Bien cordiales pensées,
Romain
7 mai 2020 [suite]
Faut-il penser que, privés désormais de mes échanges avec Benoît, révolus de dix années, je devrais cesser séance tenante ces carnets, faute de matière plus dense (car ces derniers cèdent à la routine, à l’évidence) ?
(Je viens, cependant, de mettre un peu à la main à l’entrée du 16 mars, à laquelle je trouve quelque intérêt… A voir et à ajuster.)
Après-midi
Promenade. Conversation avec ma voisine squelettique sur un bord de trottoir. Nous y prenons du plaisir. Elle est allée chercher les deux masques que distribue la municipalité. Selon elle, l’attente au téléphone pour s'inscrire n’est pas trop longue. Et, sur place, il n’y a aucune attente, après prise de température et lavage de mains.
Je reçois un message de M.-C. qui s’en prend violemment — et assez inexplicablement — au texte d'Eric Chevillard que je lui adressé la matin, ainsi qu’à Marthe et T.
Fin d’après-midi
Une assemblée virtuelle des personnels était décidée. Peu de monde s’est connecté. Nous ne serons jamais plus de douze à la fois.
Comme je refuse de parler au nom des collègues, il m’incombe — me dit Elvire — d’écrire un texte qui préciserait ma pensée ! Le pensum que cela implique me scie d’avance tête et main…
Deux collègues parlent d’une reprise au printemps 2021 !
Soirée
Rien de bouleversant dans le discours qu’a tenu l’après-midi Edouard Philippe.
La fin du tunnel n’est pas pour demain.