1148 - Carnets d'un confiné (56)
CARNETS d’un CONFINÉ
56
[Journal pas toujours extime]
(14 mars, […] 1er MAI 2020 … …)
8 mai
Mal dormi. M’ont assailli des pensées nocturnes noires. — Et si mon congé m’était accordé alors que le joug sanitaire serait le même, ou moindre dans son frein mais encore suffisamment fort pour interdire certaines déplacements, activités, voyages… ?
Je passe une bonne partie de la matinée à m’acquitter de la corvée commanditée la veille par Elvire. C’est peu dire que j’ai un mal de chien à ce type de prose. J’envie Amélie, Elvire, Stéphane d’avoir cette capacité à écrire presque “au kilomètre” ce genre de texte.
J’appelle M.-C., elle, beaucoup plus à l’aise avec la littérature militante. Elle me dit que le texte plus personnel que j’avais produit lors d’un premier jet va davantage au fond des choses, et que je devrais l’adjoindre à mon courriel.
Alors que je tente d’éviter la polémique, elle lance le sujet elle-même, multipliant les arguments ad hominem contre Eric Chevillard, qu’elle accable de toutes sortes de griefs, d’écrire au Monde, de faire de l’humour facile, d’avoir une vision égotiste et cynique, etc. Je m’étonne qu’elle puisse s’emporter ainsi — et d’être aussi imperméable à ce qu’a de fantaisiste, décalé, et, au contraire, difficile, la production de ce genre d’écrit.
Elle cède néanmoins un peu de terrain. Elle me dit faire une analyse par téléphone, où elle s’interroge sur les raisons qu’elle a d’avoir des avis si tranchants et si tranchés. Je lui dit qu’elle n’est pas, à mon sens, sans se blesser aux arêtes, précisément, de ce besoin. J’ai déjà vu combien elle peut facilement saigner à vif de ces armes qu’elle retourne souvent contre elle.
Je téléphone ensuite à T., qui relève — à nouveau — la fréquence de mes appels. Jamais nous ne nous sommes autant parlé, prétend-il. C’est bien vrai pour ce qui est de le faire au téléphone, mais nous avons des conversations autrement nourries — et sans doute plus intéressantes — quand nous nous voyons.
Je lui parle de la vidéo de Cemil, qu’il n’a pas encore regardée, faute d’avoir vu mon message.
Précisément, Christine, dans un message un peu désespéré du fait de l’incertitude dans laquelle la plonge la situation sanitaire, me dit qu’elle a transmis mes compliments au jeune homme, qu’elle fêterait sa réussite au concours — qu’elle met en doute d’une phrase à l’autre — en sa compagnie et celle d’autres amis — et que je serais aussi cordialement invité. Elle ajoute avec humour : mais je préfère vous le dire il y a aura une assez forte concentration de profs.
Après-midi
Sieste.
Il fait chaud et lourd dehors au moment de la promenade. Je m’aventure de plus en plus loin, mais dans des endroits sans aucune espèce d’aventure cependant.
Cette fois, comme je l’ai déjà fait avec Claudie, mais pour meubler utilement ces promenades un peu vides, j’appelle Marthe, qui a vu et aimé la vidéo de Cemil.
Elle me passe Paul ensuite, qui a hâte que les magasins rouvrent — et plus encore, les cafés et les restaurants. Il me dit n’avoir que très peu dépensé ces temps derniers. Je le plaisante à ce sujet : il achète, de fait, d’ordinaire beaucoup de films et de CD de musique, au point de ne pas toujours très bien savoir ce qu’il possède déjà, nous livrant à T. ou moi les doublons de ses collections…
Elvire me rappelle à propos du texte élaboré pour les collègues. Elle n’y voit rien à redire. Je l’envoie donc après l’avoir relu et un peu peaufiné.
Soir
Je réponds aux collègues, un peu dépité de la mollesse de leurs réactions.
Echanges divers avec eux, mais aussi Amélie et T.
Serais-je en quête d’approbation (ce serait un motif un peu minable…) ? Je me trouve tout de même aussi un peu dans la situation du défenseur des causes perdues — ce qui, j’ai l’impression, m’arrive aussi souvent qu’à mon tour, c’est-à-dire très régulièrement…
Je regarde les trente premières minutes de la série diffusée sur Arte la veille, l’Agent immobilier, dont me plaît assez la cocasserie, mais je suis fatigué et vais me coucher.