1163 - Journal de l'hôpital (1)
Journal de l’hôpital
(25 mai - 5 juin 2020)
Journal d'un rescapé
Work in progress
1
25 mai 2020/ 17 février 2021 sq.
Mes « carnets d’un confiné » sont dorénavant et sans remède achevés, dont les lignes courent sans discontinuer du 14 mars jusqu’au 23 mai — dès avant le premier « déconfinement », qui ne devait survenir qu’au cours de la semaine suivante.
Il y faut désormais le saut, autrement périlleux, qui m’amènera à conter les jours survenus dès après — j’ignore si une telle formule est correcte, mais au moins sonne-t-elle exacte et entretient-elle de puissants et vrais échos avec les autres adverbes et locutions prépositives tombés de mes phrases, dont la maîtrise sur l’échelle du temps, on le verra bientôt, vient à faire assez souvent défaut dorénavant, dès avant … — survenus (donc) dès après le 25 mai !
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Impossible, à présent, m’est de reculer davantage, sauf à différer certains détails tout en anticipant d’autres dans un va-et-vient ressemblant assez au mouvement pendulaire qui agiterait une relation par diffraction et réverbération des “événements” de ces dix derniers mois, ce que j’ai commencé à faire au prix d’un oubli de ce que j'ai pu écrire déjà — et au risque, par conséquent, de m’y perdre.
Impossible tout aussi bien de me réfugier, désormais, dans la seule retranscription d’anciens écrits, dont agencer la marqueterie (même si j’ai commencé mon journal parisien, d'ailleurs postérieur)… Il me faut, dès à présent, empoigner, quoi que j’en aie, la matière de ces jours qui auront eu cours à partir du lundi 25 mai.
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Les premiers temps, parti sans rien d’autre que mes vêtements, une carte d’assurance maladie ainsi que ma carte d’identité, l’on ne m’avait donné ni stylo ni lunettes. J’étais parti pour ainsi dire les mains nues, sans bagages, sans bijou, sans nécessaire de toilette — sans rien —, confié à une postérité incertaine.
Que je puisse écrire (puisque, dans un premier temps, je ne parlais plus) paraissait alors tout aussi douteux.
Pourtant, je m’étais aperçu assez rapidement que je savais encore lire à cause de l’affichette apposée dans la chambre enjoignant les visiteurs à se plier à un protocole sanitaire dont, depuis, j’ai oublié le détail. Mais j’aurais été incapable, je crois, de livrer une phrase à peu près correcte à propos de ce dont mon esprit était assailli, hormis peut-être ce qui a peuplé mes toutes premières nuits dans une intense activité mentale qui correspondait (peut-être) à la volonté de reconstituer les circuits cérébraux qui avaient été détruits.
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Des lunettes — deux paires, au vrai — et de quoi écrire me sont parvenus le samedi 30, date à laquelle je me suis essayé à de premiers écrits qui ont constitué, dans le naufrage de mon cerveau, une planche de salut tendue au rescapé…
J’ai bien entendu conservé l’agenda scolaire 2019-2010 que m’a fait parvenir à ces fins mon père.
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Mais l’éphéméride que je viens de retracer, s’il est juste dans son appréhension rétrospective (voire dans la confusion d’une conscience alors diffractée), diffère en quelque façon dans le détail, que j’aurais peine à ordonner, de mes souvenirs.
Je hasarde un autre repère. A partir du moment où j’ai enfin quitté l’étage dévolu aux urgences, le jeudi 28 mai (je ne suis pas à l’abri d’une erreur à ce propos et il reste possible que ce fût le lendemain) en cours d’après-midi (de cela je reste à peu près certain), mon père a pu me joindre au téléphone, sans doute le vendredi. Or, ce même vendredi (?), j’ai reçu une lettre, une boîte de chocolats et deux livres que, à ma grande surprise m’avait adressés Christine (j’ai oublié — s’il s’agissait, pour le premier, des Poèmes saturniens suivis de Fêtes galantes de Paul Verlaine, recueils dont, bien plus tard, Christine m’a rappelé qu’elle les avait étudiés durant son année de seconde quand j’étais son professeur — quel pouvait être le second de ces livres). J’apprenais ainsi que, malgré l’épidémie de coronavirus, loisible demeurait de transmettre aux patients douceurs (j'ignorais si elles étaient autorisée, et je n'y ai pas touché avant ma sortie des lieux) et objets nécessaires par des services hospitaliers si joliment et justement nommés — ce qu’avait donc fait Christine, instruite de certaines procédures de par la profession qu’elle exerçait encore alors.
J'ai pu, par conséquent, demander à un médecin qui passait le soir même une feuille de papier, un crayon, afin de dresser une liste d’objets de première nécessité, assortis de premiers desiderata, kit de survie pour le naufragé que j’étais, après que, quatre jours encore incertains ayant coulé, je reprenais à peu près forme humaine — si tant est que l’homme soit (ou ne soit que) pareille machine pe(n)sante et écri(v)ante.
Le médecin a téléphoné à mon père en lui lisant cette liste — conservée depuis lors. J’y recours aux lettres capitales, tracées extrêmement malhabilement : attestant bien des difficultés à venir, je vois que ce qui pourrait se comprendre « JAPON » correspond en réalité à « SAVON » ; bien des mots ont été caviardés, comme autant d’erreurs dorénavant ininterprétables, à la hauteur sans doute de la rage impuissante, encore bégayante, qui me submergeait de ne pouvoir recouvrer lesdits mots…
(à suivre)