1176 - En attendant Vendémiaire (3)

Publié le par 1rΩm1

 

 

EN  ATTENDANT  VENDÉMIAIRE

 

JOURNAL EXTIME

 

(17-22 septembre 2020)

 

3

 

19 septembre

Matin

Je retrace dans mon carnet les événements de la veille, mais reprends aussi le début de mon journal napolitain. Cela m’occupe toute la matinée. Il y avait beau temps que je n’avais pas tant écrit, et je m'aperçois avec plaisir que fautes et confusions, sans avoir disparu, se produisent moins souvent que précédemment.

Je m’amuse d’apprendre qu’une polémique — bien dans l’air du temps — a lieu après une pétition lancée par des intellectuels parisiens en faveur de l’entrée au Panthéon de Rimbaud et Verlaine. Alain Borer a eu raison, en l’occurrence, de ferrailler avec Frédéric Martel — et de parler de « panthéonnade » !

 

Après-midi

Après déjeuner, malgré le sommeil réparateur de la nuit écoulée, je m’endors au cours d’une sieste.

Je continue d’écrire.

 

L’après-midi est déjà bien avancé lorsque je décide de me rendre au Père-Lachaise.

Je reçois un message de Duncan en réponse au mien : il est en Normandie pour l’anniversaire d’un ami et n’est pas donc disponible le lendemain.

 

Je le constate avec déplaisir : le cimetière est déjà fermé — ce qui me paraît un comble pour un samedi (il est à peine plus de dix-sept heures). Je vais être considérablement en avance pour retrouver Patrice. Je m’attarde donc dans un jardin public de son quartier, dans lequel je n’avais jamais hasardé mes pas.

Je préviens Patrice de ce que je suis en avance — et l’attends ensuite dans le bar où il a ses habitudes.

 

Enfin, il arrive. Il a vieilli (sans doute a-t-il autant pour ce qui me concerne…) durant les douze mois ou quatorze que nous ne nous sommes vus : la barbe a blanchi.

Prévenant toutes mes difficultés d’élocution, je l’informe d’abord de mon accident. Il est interloqué.

Il me donne ensuite de ses propres nouvelles. Ce n’est pas d’une naissance mais d’une double naissance — ma mémoire, d’ailleurs infidèle, croyait s’en tenir à cela — dont il me donne les détails, trois semaines après Lucie Emma ayant accouché, non d’une fille, mais d’un garçon.

J’ignorais cela, me dis-je sur le moment ; mais, en vérité, j’avais reçu un message alors — et avais félicité les grands-parents.

Anne est enchantée de la situation, tandis que lui joue un contentement plus modéré. Je plaisante : sans doute se blase-t-on vite de pareilles parturitions rapprochées.

 

Il est ravi de partir à la retraite dès le 1er avril prochain. Cependant — et je m’amuse de cet enchaînement —, il s’effare de ce que son poste soit déjà publié. D’ailleurs (ou par ailleurs ?) — il me le dira plus tard —, il s’inquiète un peu de cet avenir encore un peu trop vierge, ne serait-ce qu’en imagination, qui s’offre à lui.

Anne compte suivre bientôt. Elle espère que, son propriétaire ayant mis en vente l’immeuble et la boutique y afférent, elle sera ensuite expropriée, ce qui la ferait bénéficier d’une indemnité substantielle pour la circonstance.

(Tout cela raconté au moment où nous quittons le café et nous rendons au restaurant. En chemin, il se met à pleuvoir de plus en plus. Au début de l’averse, Patrice m’avait désigné un olivier qui aurait plaisir à profiter de cette eau tombée du ciel… Nous pressons néanmoins le pas, pour ne ressembler pas par trop à des saules pleureurs trempés.)

 

J’apprends qu’Emma a déménagé mi-juillet [?], le pavillon qu’elle et son compagnon ont acheté ayant été (enfin) livré. Patrice s’est occupé de quelques travaux, tandis qu’un ami d’Emma et son compagnon se livraient au gros œuvre.

Anne souhaite finalement demeurer à Paris. Je m’en réjouis à part moi, leur éloignement éventuel ne me souriant guère. Ils voudraient un échange d’appartements par l’intermédiaire des H.L.M. parisiennes et se sont déjà employés à rénover le leur.

Patrice se lance dans des considérations — lesquelles m’intéressent toujours — concernant diverses difficultés professionnelles survenues au cours de ces derniers mois.

Je rapporte quelles étaient les miennes durant le confinement. J’explique que, à mon sens, elles ont eu une large part dans l’accident vasculaire cérébral survenu.

Nous parlons de F. et de Pascal, par l’intermédiaire de qui j’avais eu certaines nouvelles quand je les avais vus en août, et j’en donne à mon tour. (Pascal, en particulier, était enchanté d’avoir vu Anne à La R**** au moment du deuil de Sylviane.) Précisément, Anne envoie un message, me transmet son salut.

 

Le dîner est correct, sans plus. Cependant, l’addition sera douce. — Quelle idée, cependant, a eue Patrice de commander une salade dans un restaurant indien, dont ce ne saurait être une spécialité !

Les plats s’enchaînent. Nous sommes bientôt sortis.

Je note, au retour, près de la Place Gambetta, un bel immeuble 1900, ainsi que, non loin, le cinéma art déco.

© Internet

© Internet

Nous nous installons à nouveau dans le bar où il a accoutumé de venir. Les habitués, précisément, le saluent. L’une d’elles, a-t-il appris récemment, était une militante d’Action Directe. Elle est désormais très âgée. Je rêve un instant à ce destin singulier, tout différent du mien par bien des côtés. Je commande un verre de Valençay, imité par Patrice.

Je refuserai toutefois d’en prendre un autre — il est assez tard d’ailleurs pour prendre congé — et rentre à pied jusque Oberkampf.

*  *  *

5 mars 2021 sq.

Faut-il accorder à mes actuelles difficultés pour écrire — je les constate encore à mon grand dam avec une irritation quotidiennement renouvelée en ce moment même en rédigeant — la sécheresse de ton qui semble animer la relation de cette soirée passée avec Patrice ? Pourtant, j’étais content de le revoir alors.

 

Aujourd’hui , je ne saurais manquer la date de son anniversaire, d’autant que  sonne  l’heure pour  lui  de  la  retraite,  ardemment  attendue. Comme  J.-M., il n’aimait pas trop l’évolution qu’avait prise son métier au fil des années — dans la logique d’une course au profit peu en rapport, dans ses principes, avec sa fonction, destinée en principe à promouvoir l’art.

Et lui n’avait aucune affinité avec une telle course à l’échalote. A preuve, sa réticence à devenir le chef du service dans lequel il a travaillé ces dernières années, promotion qu’il n’a acceptée qu’au terme de tergiversations serrées, sévères, avec lui-même.

A preuve aussi son commerce avec les habitués de son bistrot du XXe arrondissement, plutôt qu’avec ses collègues de travail — suis-je en droit de supposer —, alors qu’il lui serait aisé de courir les expositions ou les vernissages

Patrice — j’y songe — a l’âge aujourd’hui qu’avait son frère, son aîné de presque huit ans, quand celui-ci est est mort.

Il me rappelle d’ailleurs souvent J.-M., quoique autrement plus sec que lui, peut-être de moins manger, voire de moins boire, même si la pente du gosier de Patrice n’a rien de celle d’un anachorète — toutefois moins glissante que celle empruntée parfois par J.-M., qui n’avait pas toujours l’alcool facile et cherchait volontiers querelle lorsqu’il avait trop levé le coude.

Plus sec, mais aussi légèrement plus grand, d’une ossature moins large (est-on en droit, à nouveau, de supposer…).

Il m’inquiète quelquefois que Patrice fume encore — alors que son frère avait arrêté, certes trop tard (après avoir fumé depuis mon adolescence, comme il arrivait alors souvent en milieu rural et ouvrier sans que les ascendants n’y trouvent — au contraire — à redire) pour éviter que « le crabe » s’attaque à sa vessie, proie facile, en contractant ce « cancer du fumeur », comme le répétait J.-M. —, sans que j’aie jamais l’audace de le lui dire…

(à suivre)

 

 

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