1178 - Journal de l'hôpital (7)
Journal de l’hôpital
(25 mai - 5 juin 2020)
Journal d'un rescapé
Work in progress
7
29-30 mai 2020/ 3 mars 2021 sq.
J’ai intégré la veille le service de neurologie, qui me soustrayait enfin de l’étage réservé aux urgences ; mais c’était pour me livrer dès potron-minet à un voisin de chambre — la paix chez soi, dans cette chambre sommaire que j’entendais habiter aussi bourgeoisement qu’un hôpital le permettrait, m’étant cruellement tout d’un coup retirée.
Dès qu’arrivé — on l’a installé sur le lit en le glissant le plus précautionneusement que l’on l’a pu : suite à un accident vasculaire cérébral, il est paralysé des membres et ne peut remuer ni sentir ces derniers —, il fait allumer la télévision sur une chaîne qui diffuse des chansons, insipides ou idiotes, à fort volume.
Il somnole bientôt, le téléviseur déversant toujours son flot d’insanités.
Je coupe le récepteur.
Réveillé, il le rallume.
Au bout d’un demi-jour de ce régime — même si je peux m’échapper dans les couloirs (est-ce que ce jour-là qu’une kinésithérapeute est venue vérifier si je marchais normalement et pouvais me déplacer sans encombre ? c’est probable, elle apportant l’unique nouvelle réjouissante à propos de mon actuel état de santé, en spécifiant que ma marche n’a été en rien affectée par mon accident) —, je n’en puis plus et demande à une aide-soignante s’il est possible de me mettre mon commensal, de plus en plus indésirable, sur écoute d’un casque qui permettrait de lui faire profiter des programmes télévisés — lesquels sont bien évidemment d’un tout autre choix de celui qui aurait été le mien, si j’avais le désir de subir la télévision…
Je note dans mon journal improvisé alors ces lignes lapidaires (et lacunaires), qui datent du lendemain :
« Le grand con de [voisin] »
(en fait, c’est mon partenaire de chambre qui me désigne ainsi lors l’une de ses conversations téléphoniques, pléthoriques, durant son séjour avec sa femme)
Je me serais [comprendre : je me suis empressé] de les lui mettre
(il s’agissait des écouteurs, livrés gratis par le "service télévision", en ces temps d’épidémie…)
Je lui [ai] offerts [sic] Télérama
(pour qu’il puisse consulter les programmes télévisés)
Ce n’est pas gagné !
(ajoutais-je, néanmoins impavide, certain de l’emporter, pied à pied, et de conquérir un peu plus de tranquillité…)
* * *
Il faut dire à sa décharge que nous nous sommes (très) progressivement bien entendus. Quand les écouteurs lui glissaient des oreilles après somnolence, je me chargeais, après m’être consciencieusement frotté les mains — à rebours d’un procurateur romain célèbre — de gel hydro-alcoolique, de les remettre, l’essentiel demeurant, si je ne pouvais échapper à mes interminables coups de téléphone, d’être délivré du mal télévisuel — et que subsiste, à l'Est de la chambre, une parcelle de paradis.