1196 - Journal de l'hôpital (16)
Journal de l’hôpital
(25 mai - 5 juin 2020)
Journal d'un rescapé
Work in progress
16
Vendredi 5 juin 2020/ samedi 12 juin 2021
Matin
Je suis “sortant”, rendu à ma vie d’homme libre.
Le professeur R*** se dit content pour moi — et, malgré le coronavirus (peut-être agit-il de la même façon avec les autres patients…), me serre la main avec beaucoup de ferveur.
Je croise Anouchka et suis heureux de deviser avec elle avec les faibles moyens de mon bord (elle avait fait la connaissance de ma mère lors d’une de ses hospitalisations sans faire de lien avec mon nom de famille, entre autres sujets que nous abordons). Elle me présente à une de ses collègues, en évoquant les bons souvenirs que nous avons en partage. Sa finesse, sa douceur, sa discrétion, son à-propos m’ont, pour ma part, toujours beaucoup impressionné. Elle me livre aussi quelques nouvelles de Justine et de Romain, que je n'ai pas vus depuis quatre ans.
[ajout du 15 juin 2021 : Elle m’a alors communiqué son adresse électronique, que j’ai précieusement gardée sans jamais oser lui adresser de message. Timidité imbécile qui continue de me caractériser…]
Après-midi
L’impatience est bien entendu extrême de pouvoir enfin sortir. J’ai annoncé la nouvelle en début d’après-midi à T.
J’attends. J'attends en faisant les cent pas dans les couloirs que me soient délivrés — pour être moi-même autrement délivré de ces onze jours d’hôpital — tous les papiers nécessaires à ma sortie, ainsi d'ailleurs qu'à la poursuite de toutes sortes de soins, contrôles, rendez-vous dont je serai l’objet.
Enfin ils arrivent.
J’emporte avec moi le passeport qui me livrera à diverses autorités médicales. Celui-ci rend précisément compte de l’« évolution » des jours qui ont couru (se sont traînés) depuis ma sortie du service des urgences — sorte de “journal”, extime et médical, qui, à sa façon, me représente aussi...
Evolution
Hg: 17.1 g/dL,Ht :50%
pas de trouble ionique
pas d'anomalie de l'hémostase
Principaux résultats de biologie
pas d'anomalie du bilan hépatique
LDL-c : 1.55g/L
Glycémie à jeun : 0.95g/L, HbA 1c : 5,2%
TSH : 1.1
Interprétation des examens complémentaires
EDVC : Bon déploiement du stent au sein de la carotide interne gauche,
absence de sténose hémodynamiquement significative mais retentissement modéré en aval sur la carotide interne gauche et le siphon. Toutefois, les artères cérébrales moyennes présentent des vitesses comparables.
Angioscanner du 26/05 : Stent de l'artère carotide interne gauche en place perméable avec reperméabilisation d'aval.
Séquelle cortico-sous-corticale fronto pariétale gauche dans le territoire superficiel de l'artère cérébrale moyenne avec doute sur une très discrète suffusion hémorragique corticale insulaire (ou persistance de PDC iodé suite à l'injection artériographique de la veille).
Echographie abdominale : Echographie abdomino-pelvienne sans particularité.
Pas de lésion suspecte décelée sur le parenchyme hépatique ou rénale
IRM cérébrale (2/06) : Confirmation de l'apparition d'une transformation hémorragique limitée insulaire et pariétal gauches superficielles. Apparition de nouvelles lésions ischémiques de petites tailles constituées pariétale postérieure gauche mais aussi occipitale droite.
Prise en charge du motif d'hospitalisation et évolution
*Sur le plan neurologique
persistance de troubles praxiques importants, le score NIHSS à la sortie est à 2.
*Sur le plan vasculaire
L'échodoppler des vaisseaux du cou retrouve un bon déploiement du stent au sein de la carotide interne gauche, absence de sténose hémodynamiquement significative mais retentissement modéré en aval sur la carotide interne gauche et le siphon. Toutefois, les artères cérébrales moyennes présentent des vitesses comparables.
*Sur le plan hématologique
il est constaté une polyglobulie pour laquelle un bilan est réalisé avec recherche de la mutation Jack 2 dans le cadre de la maladie de Vaquez.
Une échographie abdominale réalisée le 4/06 est redevenue normale.
Il n'est pas retrouvé d'insuffisance respiratoire chronique, de tabagisme actif, d'obésité.
Une mesure de la masse sanguine isotopique est prévue le 31 juillet à 13h30.
*Sur le plan des facteurs de risque cardiovasculaire
Les tensions artérielles semblent correctes sous traitement pour une lecture < 14090 mmHg. Les glycémies sont relativement correctes avec un seul pic glycémique à 1.4. Le LDL cholestérol est à 1,55 g/l, nous instaurons une statine.
Une polysomnographie est demandée en externe à la recherche d’un syndrome d'apnées obstructif du sommeil.
*Sur le plan rééducation
devant des troubles praxiques importants chez ce patient d'âge jeune, une consultation auprès d'un médecin de rééducation est organisée le 17/07, 14h30. La convocation sera envoyée au domicile du patient.
Nature de l’intervention chirurgicale
THROMBECTOMIE
Synthèse
Conclusion
AVC ischémique dans le territoire de l'artère cérébrale moyenne gauche sur thrombus de la carotide interne gauche.
Étiologie athéromateuse.
Nécessité d'obtenir un contrôle optimal des facteurs de risque cardiovasculaire avec un objectif de pression artérielle < 140/90 mmHg et un taux sanguin de LDL cholestérol < 0,7 g/l en prévention secondaire.
Traitement par bi-antéagrégant plaquettaire pendant 3 mois puis Kardegic seul.
Découverte d'une polyglobulie en cours de bilan.
Consultation de cardiologie en externe : réalisation d'une ETT et d'un holter ECO.
Polysomnographie co externe
Mode de sortie
Domicile
Et j’emporte avec moi dans la mémoire du téléphone la photographie, réalisée quelques jours auparavant (le 1er juin), de l’unité de soins palliatifs où J.-M. est décédé un peu plus de sept ans auparavant, lieux que je voyais tous les jours au cours de mes déambulations.
Mon père et ma sœur m’attendent sur le parking extérieur attenant (une chaussée sépare les deux centres de soins hospitaliers).
Après divers échanges, mon père et ma sœur me ramènent, non sans que je les aie rassurés quant à la possibilité de vaquer chez moi en toute autonomie...
Ma sœur, qui ne me connaît assez bien, est parvenue à maintenir à distance ceux et celles qui l’assaillaient pour avoir de mes nouvelles, voire désiraient à toute force me voir. Or, je ne désirais rien tant que du repos, ce qu’elle avait parfaitement anticipé. De même, T. m’avait mis à couvert de certains zélateurs de l’assistanat, tandis que les amis proches, eux, à rebours, avaient bien compris ma situation et attendu que je recouvre mes esprits fatigués. En vérité, je ne sais aujourd’hui comment j’ai pu répondre aux messages qui me parvenaient, après que j’ai récupéré mon téléphone mobile. Entre-temps, d’aucuns s’étonnaient. Ainsi d’E***, qui m’écrivait (le 29 mai) :
Bonjour Romain,
Nous attendons tous ton retour sans pouvoir te joindre, apparemment même l'envoi d'une petite carte nous est interdit. Je voulais donc juste te dire que nous pensons tous très fort à toi et attendons de tes nouvelles ! Toutes et tous impatients de te retrouver vaillant. En attendant, sois certains que nous veillons au respect de chaque espace après la virgule, je m'en porte garant (ou garante ?? Voilà où Romain nous est indispensable).
Je t’embrasse, Romain, et espère te retrouver très vite. Courage, sois fort !
Fais-nous signe dès que cela te sera possible,
A très bientôt,
E****
— tout en radoucissant ensuite quelque peu le propos, après que je lui ai répondu le 31 (ainsi qu’à d’autres collègues, réalisant ainsi un « tir » groupé) :
Merci, E***, merci Elvire, merci Amélie, merci Neil, merci à toutes et tous, nos messages m'ont beaucoup touché.
Je n'ai mon téléphone que depuis hier, et le moindre message me vaut une montagne à soulever, surtout sur le portable avec mon doigt encore fragile
Mais c'est tout le langage oral qu'il me faut réapprendre (quand l'écrit est encore malaisé), en outre. Mes progrès sont notoires néanmoins 🙂.
Je ne parti[ci]perai pas à la prochaine AG mais le cœur y est ! 😉
Bises à tou-te-s,
Romain
Elle renchérit ainsi :
Aaaahhh, Romain "en vrai" et himself qui nous répond !!! ça fait du bien de te lire !!! Je transfère ce message à tous, et leur conseille donc de te joindre plutôt par mail, c'est bien ça ? La communication te sera plus aisée ?
Je suis vraiment contente d'avoir de tes nouvelles directement, même si T. nous a gentiment tenus au courant.
A très bientôt alors, du moins si l'on peut venir te voir ? Tu nous diras ce qu'il en est, tu as certainement besoin de beaucoup de repos, et encore plus de rééducation pour retrouver ta mobilité faciale. A toi de nous faire signe, dès que tu le souhaites.
Même si la situation est extrêmement pénible, j'espère au moins que tu ne souffres pas ?
Je t'embrasse, et t'envoie plein de courage !
E***
— ce qui constitue autant de messages qui tout à la fois faisaient plaisir et embarrassaient dans ce que je pouvais leur trouver d’excessif. Je note que, hormis une conversation nourrie (qui relevait d’un aparté, du fait que nous étions ce jour-là un certain nombre de collègues ayant participé à l’élaboration d’une liste “alternative” — comprendre : en dehors de toute obédience syndicale, afin de faire localement mieux que les syndicats y représentés — à une terrasse de café), jamais depuis elle n’a recontactée. Je dis cela sans aigreur aucune, estimant en effet que E*** avait bien d’autres affaires dont s’occuper, elle et moi n’ayant jamais été que de simples collègues, pris, certes, dans un tissu relationnel important, mais non pas dans un cercle d’amis très intimes…