1217 - Si tant est que ce ne soit pas une maladie… (12)
Si tant est que ce ne soit pas une maladie…
Carnets d'un convalescent
(Journal extime)
Work in progress
12
29 août 2020
Matin
Vais à la poste afin de vérifier l’affranchissement des deux cartes que je destine à Enzo et Monna.
(L’ai-je déjà dit ? :) J’éprouve un véritable contentement à ce que les pucerons laineux ont quasiment disparu de la plante de J.-M. Celle-ci semble apprécier de séjourner à l’extérieur. De très nombreuses petites feuilles apparaissent un peu partout.
Après-midi
Simone et la vie matérielle : les conversations tournent toujours à propos de cela, comme si sa vie personnelle, affective, n’importait que peu (ce qui me désarçonne toujours, d’autant que Simone était, dans le passé, une confidente impeccable et féconde…). Cependant, le discours qu’elle tient sur le port du masque et sur la pandémie du coronavirus s’avère d’une grande pertinence.
* * *
Quand nous nous retrouvons à la terrasse d’un café, T. se montre étrangement tendu.
Les réparties de Dimitri : il le tance à propos de la raquette électrique que T. s’était procurée pour faire mourir les guêpes d’une simple décharge électrique : « Bonjour la biodiversité ! » Il ajoute à mon adresse, tout en pouffant, que cela aurait été d’une redoutable efficacité si je m’en étais servi en classe pour les jeunes filles à chignon qui sévissaient quand j’étais son professeur. Le trait est d’autant comique qu’il y avait, de fait, une véritable épidémie de chignons parmi de nombreuses élèves de cette année et de la suivante, ainsi que l’avait bien noté Paul, qui avait également eu en cours ces jeunes filles ensuite.
30 août
Matin
Occupé avant toute chose à reprendre la relation du journal à la date du 2 avril.
Après-midi
J’accepte une pâte de verre que me propose mon père.
Soir
Ma mère, me dit mon père au téléphone, était très agitée. Elle a parcouru les bâtiments en divers sens. Elle voulait ensuite à toute force repartir avec lui.
Je reçois un message d’E***, qui propose de se voir après la semaine de rentrée.
31 août
Matin
Je pense à T., à sa prérentrée.
Je fais le ménage. La poussière sur le luminaire en papier n’a pas dû être faite depuis longtemps…
Séance difficultueuse chez l’orthophoniste. Les exercices de prononciation énoncés et répétés le plus vite possible finissent en hachis de syllabes. Au jeu des charades, cela va plus mal encore. Et de mal en pis avec les quatre lettres choisies, alternativement par elle puis moi, qui doivent constituer l’initiale des termes d’une phrase à seulement quatre membres : rien alors ne me vient !
Je me dis cependant à part moi que j’aurais bien moins besoin de ces séquences ludiques que de m’entraîner à davantage de diction. (Que de fois ai-je pensé à Cl*** ces temps derniers ! Heureux temps où il ne s’agissait que de parfaire l’interprétation de textes, de fables de La Fontaine notamment : le Loup et le Chien, le Savetier et le Financier, la Jeune Veuve, les Femmes et le Secret…)
Après-midi
Dans un message, T. fait part des contrariétés accumulées au cours de la matinée. Il n’a pas obtenu encore son emploi du temps…
Comme je vois que Tristan est rentré, je frappe à sa porte juste avant de me rendre à l’hôpital. Evidemment, sa mère a oublié de joindre un chèque pour les charges de la copropriété…
* * *
Avant la consultation avec le neurologue, on me fait faire, ainsi que je l’avais demandé, un électroencéphalogramme.
L’examen dure une vingtaine de minutes — et s’avère assez contraignant. Assigné à l’immobilité, il s’agit d’obéir aux injonctions de l’infirmière : fermeture et réouverture d’yeux, respirations profondes qui finissent par emballer les rythmes cardiaques, tandis que s’allument et s’éteignent de petites lumières de plus en fréquentes, de plus en plus violentes… Je suis content de voir l’examen s’achever.
J’écris dans la salle d’attente, où, cette fois, je dois subir un écho-doppler. J’aperçois le professeur R***, que j’espère voir plutôt qu’un inconnu. Il m’aborde bientôt pour me dire qu’il va chercher les résultats de l’électroencéphalogramme et que le service est en retard.
Pour temporiser, je vérifie les papiers que m’a adressés la mère de Tristan pour la copropriété.
Enfin je suis reçu. Le professeur R*** me dit de m’installer, de m’allonger, en me demandant toutefois de patienter : il a une urgence à régler… Il ne m’a pas été dit de me déshabiller, ce qui me soulage de le devoir le faire…
Je patiente donc. L’infirmière qui lui sert de secrétaire me vient me voir — je l’ai toujours trouvée douce et agréable —, et nous bavardons en attendant. J’entends des bribes de la conversation téléphonique que le professeur R*** tient avec son ou ses interlocuteurs : « Ce n’est pas un AVC. » Il retient une chambre dans un hôpital extérieur pour la patiente, dont il précise l’âge et la qualité — détails que je n’ai pas retenus.
Enfin, il se livre à mon examen, non sans avoir fait précédemment un compliment sur mes chaussettes, ce dont je m’amuse (retenant, à ce propos, une plaisanterie sur mon boxer, qui, me dis-je in petto, n’est pas mal non plus !). Sa proximité, le contact de son bras avec ma peau — main, cou, visage — pendant l’écho-doppler me plaisent autant qu’ils me rassurent. Et… ces bras… ces bras longs… toujours ces bras — comme (mais je raille, non pas de lui : de moi-même) un prolongement de sa puissance, de sa certitude (« Ce n’est pas un AVC. », avait-il auparavant asséné)…
« Tout est bien », conclut-il. (J’ai entre-temps oublié ce qui était « super ».)
En revanche, quand je les lui communique, les résultats du bilan sanguin effectué le 20 août ne le satisfont pas : il gratte une ordonnance de son écriture haute et large (impérieuse!) pour deux nouvelles prises de sang, l’une dans six mois, l’autre dans un an. Car, précise-t-il, nous ne serons pas amenés à nous rencontrer auparavant…
Il dicte son rapport pour mon médecin. Je lui demande alors de m’en communiquer une copie.
Soir
Nous avons rendez-vous pour aller au restaurant, T. et moi.
Son emploi du temps n’est pas si mal, à ceci près qu’il devra se lever tôt puisque certains de ses cours auront lieu avant dix heures — malgré les prescriptions médicales communiquées à son administration.
Nous errons longtemps (nous sommes lundi) avant de trouver le lieu où dîner. T. se dit prêt à dîner dans divers endroits, y compris des lieux où il ne va guère volontiers (comme dirait Paul, T. « est difficile »). Le serveur du restaurant tibétain me reconnaît. La soirée est agréable, nous sommes bien servis, et l’ardoise, sans conséquence.
Nuit
J’entame les lettres de prison de Gabrielle Russier, demeurées depuis longtemps dans ma bibliothèque (un héritage de Raymonde ?) mais jamais lues auparavant. L’introduction de Raymond Jean s’avère moins ardue à lecture que je l’avais craint.